POLITIQUE - Un référendum d'autodétermination sur le territoire français, l'affaire n'est pas banale. Programmée depuis l'accord de Nouméa de 1998 dans le prolongement des accords de Matignon signés dix ans plus tôt, la consultation historique de ce dimanche 4 novembre 2018 en Nouvelle-Calédonie marque autant l'aboutissement d'un processus de décolonisation entamé il y a trente ans que l'aube d'un nouveau départ pour l'archipel rentré dans le giron de la France en 1853.
"Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante?" Quelle que soit la réponse des électeurs apportée à cette question âprement négociée entre les acteurs politiques en présence, l'Etat français s'est engagé à respecter leur décision et à accompagner le cas échéant la Nouvelle-Calédonie dans la direction qu'elle s'est choisie. Alors que le gouvernement s'est engagé à ne pas prendre partie dans la campagne référendaire, tout en marquant son attachement à l'archipel, l'Onu a été associée à cette consultation pour garantir la transparence et l'équité du processus.
Même si les sondages semblent annoncer une large victoire du non, les services de l'Etat se sont préparés aux deux issues. Avec une certitude en tête: que le "oui" ou le "non" l'emporte, les jours qui suivront le référendum de ce dimanche seront cruciaux pour la stabilité et le développement de la Nouvelle-Calédonie.
SI LE OUI L'EMPORTE AU RÉFÉRENDUM
Théoriquement, si le oui l'emporte, la Nouvelle-Calédonie devient automatiquement un Etat souverain de plein exercice, une première depuis l'indépendance de Djibouti (1977) et du Vanuatu (1980), ex-Condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides. Comme le pointent les universitaires Ferdinand Melin-Soucramanien et Léa Havard dans une tribune publiée sur Le HuffPost, du côté de Paris, "aucune révision constitutionnelle, aucun référendum national, aucune intervention du Parlement français ne seraient juridiquement requis pour conférer un plein effet au résultat positif de la consultation".
Mais le législateur pourrait malgré tout acter cette scission par une loi visant à mettre en place des dispositions transitoires afin de faciliter l'accession à l'indépendance et la mise en place de nouvelles institutions. Du côté de Matignon, on estime qu'une loi sera nécessaire pour acter la fin de l'appartenance de la Nouvelle-Calédonie à la France et fixer les conditions dans lesquelles certains Calédoniens pourront conserver leur nationalité française.
Quoi qu'il arrive, tout cela n'interviendra pas du jour au lendemain. Tout en actant la décision qui résulterait de la consultation de ce dimanche, les services du premier ministre précisent bien que la "nouvelle organisation des pouvoirs publics résultant de l'accession à l'indépendance ne serait pas effective au lendemain du référendum". En clair: "La France ne se retirera pas brutalement" et continuera d'assurer, le temps qu'il faut, ses fonctions régaliennes (sécurité, ordre public, monnaie, justice). C'est tout l'enjeu symbolique de la venue d'Edouard Philippe ce lundi en Nouvelle-Calédonie où il rencontrera tous les acteurs politiques calédoniens, et ce quelle que soit l'issue du référendum.
Tandis que les élus calédoniens devront poser les fondements de leur nouvel Etat et adopter leur Constitution, la France préparera, en consultation avec les autorités calédoniennes, le transfert des compétences qu'elle assume encore dans le cadre du statut d'autonomie: justice, défense, monnaie, maintien de l'ordre, droit pénal, conditions d'entrée et de séjour des étrangers, sûreté, sécurité maritime et aérienne.
Une fois ces transferts programmés, les autorités du nouvel Etat devront procéder à "une déclaration unilatérale d'indépendance sur la scène internationale" dans le but d'établir des relations diplomatiques avec les autres Etats, fonction aujourd'hui déléguée à la France, et éventuellement d'intégrer l'Onu. La France cessera alors de verser les dotations financières dues à la Nouvelle-Calédonie.
Mais rien n'exclut que la Nouvelle-Calédonie indépendante scelle un partenariat privilégié avec la France, soit de manière transitoire, soit de manière permanente. Cette piste est mise en avant par certains indépendantistes pour relativiser le scénario anxiogène d'une rupture avec Paris.
SI LE NON L'EMPORTE AU RÉFÉRENDUM
En cas de victoire du non, le scénario semble a priori mieux balisé. La Nouvelle-Calédonie restera une collectivité française profitant d'une très large autonomie, sa population conservera la nationalité et la citoyenneté française, ainsi que la citoyenneté européenne. La France de son côté continuera à assumer ses fonctions régaliennes et notamment les relations internationales de cet archipel dans le Pacifique. Précision importante: le non au référendum ne remet pas en cause les pouvoirs déjà transférés aux autorités kanak, rendues "irréversibles" par l'accord de Nouméa.
Le débat sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie ne sera pas clos pour autant. A l'issue des élections provinciales de 2019, si un tiers des membres du Congrès le réclame, un deuxième référendum portant sur la même question sera organisé dans les dix-huit mois. En cas de nouvelle victoire du non à l'indépendance, un troisième référendum pourra être organisé dans les mêmes conditions, renvoyant la fin de la discussion à 2022.
Problème: l'accord de Nouméa n'est valable que pendant une vingtaine d'années, ce qui, selon Ferdinand Melin-Soucramanien et Léa Havard, pose question "sur le plan de la sécurité juridique" du processus démocratique engagé ou encore "sur celui de la stabilité politique, économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie".
Au-delà des soucis juridiques que pose le scénario d'un processus long, la question du statut de l'archipel se posera fatalement une fois passés tous les référendums. Le cadre d'une très large autonomie fixé par l'accord de Nouméa a-t-il vocation à être pérennisé et gravé dans le marbre constitutionnel? Une structure fédéraliste peut-elle voir le jour, au risque de réveiller d'autres appétits autonomistes, notamment en Corse? Sur ce point, tout est ouvert, l'accord de Nouméa prévoyant que "les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée" le jour venu.
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