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Marwah Rizqy: vivre d’indignation et de justice fiscale

Son côté fonceur, elle le tient de sa mère. Mais c'est son obsession pour l'équité qui l'a menée à devenir députée libérale de Saint-Laurent.
Marwah Rizqy lors de son assermentation comme députée, aux côtés du chef par intérim Pierre Arcand.
La Presse canadienne
Marwah Rizqy lors de son assermentation comme députée, aux côtés du chef par intérim Pierre Arcand.

Avant de devenir la nouvelle députée libérale de Saint-Laurent, Marwah Rizqy a été sur toutes les tribunes pour dénoncer les paradis fiscaux et réclamer plus de justice fiscale, notamment dans le dossier Netflix.

En entrevue avec le HuffPost Québec, elle raconte que sa fibre revendicatrice, elle la doit surtout au «parcours de combattante» de sa mère, qui a quitté un milieu pauvre au Maroc pour venir s'établir au Québec dans les années 80 - «à l'automne, juste avant la première neige».

«Ma grand-mère est aveugle, explique Marwah Rizqy. Le rêve de ma mère était de se trouver un emploi au Québec, de faire venir ma grand-mère et elle croyait fermement qu'elle allait trouver les meilleurs médecins au Québec pour redonner la vue à ma grand-mère.»

Or, sa mère ne parlait pas français et ne savait ni lire ni écrire, même l'arabe. En peu de temps, elle a rencontré son père – lui aussi Marocain et arrivé une dizaine d'années plus tôt au Québec – et est tombée enceinte.

À la maison, on n'avait choisi qu'une seule langue qu'on martelait à la maison: le français.

«Ma grande sœur est déficiente intellectuelle. Donc [ma mère] remettait toujours à plus tard son rêve d'aller à l'école parce qu'elle devait trouver les meilleurs spécialistes non seulement pour ma grand-mère, mais aussi pour ma grande sœur».

Tous les spécialistes lui disaient que sa fille aînée n'allait jamais parler en raison de sa déficience.

«Mais c'est mal connaître ma mère, parce qu'elle est têtue!», s'exclame la nouvelle élue, qui parle d'un travail de longue haleine de concert avec bon nombre de spécialistes pour aider sa sœur.

«À la maison, on n'avait choisi qu'une seule langue qu'on martelait à la maison: le français. Moi-même, je ne parle pas l'arabe, parce qu'à la maison, on ne devait parler qu'une seule langue pour donner la chance à ma sœur d'être un jour en mesure de s'exprimer.»

Puis, à 12 ans, le déclic est arrivé: sa sœur a prononcé les mots «du lait» à l'heure du souper.

«On s'est tous revirés de bord et on s'est mis à pleurer, raconte Marwah Rizqy. À partir de ce moment-là, elle n'a jamais arrêté de parler!»

De gauche à droite: Catherine Dorion, Geneviève Guilbault, Marwah Rizqy et Catherine Fournier à «Tout le monde en parle».
Radio-Canada/Karine Dufour
De gauche à droite: Catherine Dorion, Geneviève Guilbault, Marwah Rizqy et Catherine Fournier à «Tout le monde en parle».

Celle qui est porte-parole de l'opposition en matière d'éducation, d'enseignement supérieur et de stratégie numérique a toujours étudié dans le système d'éducation public, puisque sa famille n'avait pas les moyens d'envoyer leurs enfants au privé.

C'est aussi le réseau public qui a fait en sorte que sa famille puisse avoir des orthophonistes, des orthopédagogues et des médecins spécialistes dédiés afin d'aider sa sœur aînée.

Sa mère, quant à elle, a mis «une bonne dizaine d'années» à apprendre le français.

L'élue libérale ne cache pas son aversion pour les «test de français» et «test de valeurs» que veut imposer la Coalition avenir Québec puisque sa famille aurait été expulsée si ces mesures avaient été en vigueur à l'époque.

«Elle n'aurait pas pu le lire, le test des valeurs!» lance Marwah Rizqy.

Des revendications dès un jeune âge

Déjà jeune, l'avocate de formation cherchait à défendre les autres. À l'école secondaire, elle dit avoir participé une manifestation pour protester contre le renvoi d'une jeune fille qui avait teint ses cheveux en bleu.

«Je pense que j'ai toujours été quelqu'un qui cherche la droiture, la rigueur, défendre les autres. Vu que je suis un peu plus grande, c'est moi, dans la cour de récréation, qui devait gérer les arbitrages», rigole-t-elle.

«Tous mes enseignants se disaient : elle, elle va devenir avocate...»

La jeune femme n'hésitait pas à négocier avec les adultes, lorsqu'elle était représentante étudiante au conseil d'établissement de la Commission scolaire de Montréal. D'abord, pour obtenir un droit de vote, au même titre que les parents et les enseignants.

N'ayant pas froid aux yeux, elle a ensuite négocié pour que les étudiantes de l'école pour filles où elle étudiait aient droit à leur première fête dansante mixte avec l'école. En revanche, les membres étudiants du conseil allaient appuyer d'autres revendications des enseignants.

«C'est comme ça qu'on a eu pour la première fois notre danse mixte à Marguerite-De Lajemmerais. La police de Montréal a dû fermer le métro L'Assomption parce qu'il y a eu beaucoup trop de garçons qui voulaient venir à cette danse!»

Ses enseignants avaient vu juste : après un programme de droit-MBA coopératif à l'Université de Sherbrooke, la jeune femme a fait son entrée à l'Université de la Floride à tout juste 24 ans pour sa maîtrise qui portait sur la réforme fiscale numérique.

Une question de volonté politique

En classe, l'un des exercices consistait à faire une planification fiscale dans le but de payer le moins d'impôts possible. Quelle ne fut pas sa surprise en terminant son travail : non seulement l'entreprise fictive en question ne payait pas d'impôts, mais elle obtenait un remboursement.

«[Le professeur] me regarde et il dit : "À ton âge, si tu es capable de faire une optimisation fiscale aussi réussie, tu es peut-être un danger public."»

Sa maîtrise terminée, l'Université de la Floride lui offre une bourse de doctorat. Elle refuse en premier lieu, mais l'idée lui trotte toujours dans la tête plusieurs mois plus tard et elle décide d'y retourner.

«Je retombe [dans la fiscalité numérique] et je me rends compte que c'est excessivement facile de faire une planification fiscale et de ne jamais payer d'impôts. À la fin de la journée, c'était uniquement une question de volonté politique», soutient la députée.

Marwah Rizqy au Bar Chez Roger pour enregistrer l'émission de «La soirée est (encore) jeune».
Facebook/Marwah Rizqy
Marwah Rizqy au Bar Chez Roger pour enregistrer l'émission de «La soirée est (encore) jeune».

Marwah Rizqy ne retourne pas dans son bureau d'avocats après son doctorat, mais appelle plutôt le fiscaliste Luc Godbout qu'elle ne connait pas. Elle souhaite devenir chargée de cours à l'Université Sherbrooke – après une réunion par Skype, elle deviendra plutôt professeure dans son alma mater.

La jeune professeure fait de la justice fiscale une «obsession», de son propre aveu.

«Si on veut financer comme il le faut nos services publics, ça nous prend une justice fiscale, dit-elle. Toutes nos décisions d'investir dans notre système d'infrastructures, d'éducation, de la santé, ne peuvent pas fonctionner si, à chaque année, l'assiette fiscale rétrécit à cause du commerce numérique qui n'est pas imposé à 100%.»

«Pour moi, c'était ça, au fond, le plus gros problème qu'on a et c'est un problème qui va toujours augmenter parce que le commerce numérique ne fait que s'accélérer d'année en année», continue-t-elle.

Saut au PLC et KPMG

Joël Lightbound, avec qui elle travaillait au cabinet d'avocats Fasken Martineau, avait déjà décidé de quitter son emploi et de faire le saut en politique pour le Parti libéral du Canada. Il lui a conseillé de se joindre à lui si elle souhaitait pouvoir modifier les lois sur l'impôt.

Elle n'a pas été difficile à convaincre du tout : elle a commandé sa trousse d'investiture sur le site du Parti libéral du Canada, est devenue candidate libérale dans Hochelaga en 2015, a perdu son pari par 1% des voix.

L'avocate fiscaliste n'a pas eu le temps de chômer : CBC et Radio-Canada allaient faire appel à ses services, dans le plus grand des secrets, pour analyser le scandale des Panama Papers.

«Ça a été un dossier qui a été très difficile à porter parce qu'on parle d'un des Big Four [la firme KPMG] qui a été capable de signer l'entente la plus outrageuse au pays en matière fiscale», dénonce-t-elle.

«Ce dossier-là m'a donné la nausée. Carrément!»

Encore aujourd'hui, la députée s'enrage contre les réponses «molles» des décideurs politiques et contre l'inaction de l'Agence du revenu du Canada (ARC) qui a tenté d'étouffer l'affaire.

«Si l'ARC n'est plus le chien de garde de tous les contribuables, ça revient aux élus d'être le chien de garde de tous les autres contribuables qui, eux, n'ont pas le choix de se lever le matin et d'aller travailler et qui, eux, ne peuvent pas négocier les déductions à la source.»

«Fin de non-recevoir» des libéraux fédéraux

C'est entre autres parce qu'elle a eu «une fin de non-recevoir dans le dossier de justice fiscale» des libéraux fédéraux qu'elle a décidé de se présenter au provincial, là où elle aurait les coudées franches pour faire avancer son agenda.

Le hic, c'est que les libéraux ont subi une raclée historique aux dernières élections et sont relégués aux bancs de l'opposition pendant quatre ans.

Marwah Rizqy compte malgré tout travailler aux côtés de l'ancien ministre des Finances, Carlos Leitao, son «plus grand allié» dans ce dossier, pour s'assurer de taxer les géants du web au Québec.

Qui plus est, la députée de 33 ans ne ferme pas la porte à la possibilité de se porter candidate pour devenir chef du PLQ. «Présentement, je laisse la porte ouverte, je ne la ferme pas, mais elle n'est pas grande ouverte. Il y a une petite brèche», précise-t-elle.

Chose certaine, sa mère n'en manquera pas une seconde si elle décide d'y aller.

«Maintenant, elle a deux télévisions. Elle met un poste sur une chaîne, l'autre poste sur une autre chaîne et si jamais on parle de moi, elle enregistre tout de suite. Elle est excessivement politisée!»

Isabelle Charest (Brome-Missisquoi, CAQ)

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