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Comment la thérapie de réorientation sexuelle s’est implantée au Canada

Cette pratique a été discréditée par les organisations en santé mentale partout dans le monde.
Getty Images/iStockphoto

Même si elle a été discréditée par la majorité des organisations en santé mentale, la thérapie de réorientation sexuelle, ou thérapie de conversion — un traitement visant à « guérir » l'orientation sexuelle ou l'identité de genre des personnes LGBT — est toujours offerte au Canada.

En Alberta, des militants LGBT tentent actuellement de convaincre le gouvernement fédéral de faire de la thérapie de réorientation sexuelle pour mineurs une infraction criminelle.

Devon Hargreaves, de l'organisme YQueerL Society for Change, et Jennifer Takahashi, du Lethbridge Public Interest Research Group, ont lancé une pétition en ligne pressant Ottawa de bannir les suivis psychologiques visant à changer l'orientation sexuelle des mineurs, et d'interdire les voyages pour suivre une thérapie de conversion à l'extérieur du pays.

« Il s'agit d'empêcher des gens d'imposer leurs idéologies ou leurs opinions religieuses pour influencer l'identité d'une autre personne, ce qui entraîne des répercussions psychologiques, émotionnelles, et parfois même physiques chez l'enfant » a indiqué Devon Hargreaves à CBC News.

La pétition E-1833, lancée à la fin du mois dernier, a recueilli suffisamment de signatures pour être présentée à la Chambre des communes.

Une autre pétition initiée par Change.org, réclamant le même genre d'interdiction, a également amassé plus de 52 000 signatures.

Les psychologues condamnent la pratique

La Société canadienne de psychologie (SCP) condamne la pratique de la thérapie de réorientation sexuelle, tout comme la majorité des psychiatres et psychologues au pays.

« La thérapie de conversion, ou thérapie réparatrice, peut avoir des conséquences négatives telles que l'angoisse, l'anxiété, la dépression, une image négative de soi, un sentiment d'échec personnel, la difficulté à entretenir des relations, et des dysfonctions sexuelles », indique l'énoncé 2015 de la SCP.

« Rien n'indique que les effets négatifs de la thérapie de conversion, ou thérapie réparatrice, ne compensent pour la détresse causée par le stigmate social et les préjugés subis par ces individus. »

Dans les faits, la thérapie de conversion reste toutefois offerte au Canada, principalement par des groupes religieux.

Comment notre pays a-t-il pu en arriver là?

Il est important de rappeler que l'homosexualité était un crime au Canada jusqu'en 1967.

Avant cette date, de nombreux efforts étaient déployés pour « détecter » les homosexuels, notamment avec la soi-disant « trieuse à fruits » utilisée par le gouvernement fédéral pendant la guerre froide.

Jusqu'en 1973, l'Association américaine de psychiatrie (AAP) classait l'homosexualité parmi les maladies mentales. Mais cette année-là, l'AAP a changé d'idée et l'a retirée de la liste.

À partir de ce moment, le mouvement « ex-homosexuel » s'est créé et la thérapie de conversion a commencé à attirer l'attention du public.

L'association Exodus International, généralement considérée comme la figure emblématique religieuse du mouvement, a été formée en 1976 pour cibler les gais et lesbiennes cherchant à freiner leurs désirs homosexuels. Avec son appui, de petits ministères chrétiens aux États-Unis et au Canada étaient jumelés à des professionnels de la santé prêts à « soigner » les patients LGBT.

La crise du SIDA dans les années 1990 a alimenté le discours anti-homosexuels. En 1992, une figure plus « laïque » du mouvement « ex-homosexuel », la National Association for Research and Therapy of Homosexuality (NARTH), s'est associée à Exodus International pour promouvoir ce qu'on appelait la « thérapie réparatrice » — une forme de psychothérapie confessionnelle qui prend racine dans la psychanalyse et le béhaviorisme.

Des groupes conservateurs chrétiens ont franchi une étape supplémentaire en 1998, en lançant une campagne publicitaire télé et imprimée aux États-Unis, qui prêtait un visage humain aux thérapies de conversion. Ils recueillaient des témoignages de participants affirmant avoir été « guéris » de leur homosexualité grâce à cette méthode.

L'émergence d'organismes canadiens

Pendant ce temps, au Canada, des programmes suivant le mouvement « ex-homosexuel » ont commencé à voir le jour, notamment Exodus Global Alliance (une organisation sœur de Exodus International), New Directions Ministries, et Living Waters Canada (maintenant Journey Canada).

C'est au cours des années 2000 que le mouvement « ex-homosexuel » a commencé à être discrédité au Canada. Aux États-Unis, en 1998, l'AAP avait jugé qu'il n'y avait aucune preuve scientifique de l'efficacité de la thérapie de conversion, et qu'elle pouvait être carrément nuisible.

New Direction Ministries a quitté Exodus en 2002 et a cessé d'offrir la thérapie de réorientation sexuelle. Depuis, l'organisme a changé son image pour devenir Generous Space Ministries. Son directeur général, Wendy Gritter, a prononcé de nombreux discours sur les effets nuisibles de cette pratique désuète.

En 2008, une série de publicités télévisées prônant l'idéologie « ex-homosexuel », produites par Life Productions Ministries, a été retirée de la chaîne CTV dans le nord de l'Ontario après des plaintes du public.

En 2012, Alan Chambers, le président d'Exodus International de l'époque, a admis publiquement que 99,9 % des gens qui ont suivi la thérapie de conversion n'ont pas changé d'orientation sexuelle.

Un an plus tard, Exodus International a fermé ses portes, et Chambers a présenté ses excuses aux « survivants » de la thérapie de conversion.

Plus récemment, la thérapie de réorientation sexuelle a été fortement marginalisée au Canada, voire complètement bannie.

L'Ontario a aboli la thérapie de réorientation sexuelle pour toute personne de moins de 18 ans, et interdit aux praticiens de facturer le traitement au régime public d'assurance-maladie.

Le Manitoba et la Nouvelle-Écosse ont récemment imposé des restrictions, tandis que la ville de Vancouver a interdit les groupes qui détenaient des permis pour offrir la thérapie.

Le ministre de la Justice de la Nouvelle-Écosse, Mark Furey, fait un discours lors d'une conférence de presse à Halifax, le jeudi 7 décembre 2017. La Nouvelle-Écosse a adopté une loi interdisant la pratique de la thérapie de conversion chez les jeunes LGBT. Le projet de loi visant à bannir la thérapie de réorientation sexuelle, une pratique visant à changer l'orientation sexuelle des gens, interdit les personnes « en position de confiance ou d'autorité » d'effectuer cette thérapie sur les jeunes de moins de 16 ans.
PC/Andrew Vaughan
Le ministre de la Justice de la Nouvelle-Écosse, Mark Furey, fait un discours lors d'une conférence de presse à Halifax, le jeudi 7 décembre 2017. La Nouvelle-Écosse a adopté une loi interdisant la pratique de la thérapie de conversion chez les jeunes LGBT. Le projet de loi visant à bannir la thérapie de réorientation sexuelle, une pratique visant à changer l'orientation sexuelle des gens, interdit les personnes « en position de confiance ou d'autorité » d'effectuer cette thérapie sur les jeunes de moins de 16 ans.

Le gouvernement du NPD en Alberta a récemment annoncé son intention de bannir la pratique. Certains organismes canadiens, anciennement des acteurs importants dans le milieu de la thérapie de conversion, ont aujourd'hui fermé leurs portes, ou se sont distanciés du mouvement.

« Journey Canada est un ministère apostolique, et ne cherche donc pas à changer l'orientation sexuelle ou l'attirance entre personnes de même sexe », prend maintenant soin d'indiquer Journey Canada sur son site Web.

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