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L'évolution des conceptions identitaires au Québec et au Canada depuis la colonisation

De «françoys» à Canadiens, à Québécois... et tout ce qui s'y ajoute.

Les conceptions identitaires des Canadiens et des Québécois se sont transformées à plusieurs reprises depuis la colonisation de la Nouvelle-France. Voici l'évolution du «nous» au Canada, de Jacques-Cartier à Justin Trudeau.

1535 — 1670: Découverte et colonisation

Les termes «Canada» et «Canadien» apparaissent dès la découverte du fleuve Saint-Laurent par Jacques Cartier, en 1535. «Canada» désigne d'abord le territoire autour du village iroquoien de Stadaconé, dans l'actuelle ville de Québec, puis l'ensemble de la vallée du Saint-Laurent.

Pour Cartier et les générations suivantes d'explorateurs et de colons, les «Canadiens» sont les autochtones du Canada. Les compagnons de Samuel de Champlain, fondateur de Québec arrivé en 1608, adoptent le vocable «habitants» tout en conservant leur identité française (ou plutôt «françoyse», selon l'orthographe de l'époque).

1670 — 1760: Ancien Régime

Vers 1670, les voyageurs français, tout comme les colons, commencent à reconnaître une différence culturelle entre la France et le Canada. Le terme «Canadien» s'impose pour désigner les colons du Saint-Laurent. Il en va de même pour «Acadien», vocable désignant les colons établis de part et d'autre de la baie de Fundy (aujourd'hui le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse). L'Acadie passe sous contrôle britannique en 1713, scellant la séparation identitaire entre les deux peuples francophones du Nouveau Monde.

Des observateurs notent aussi des différences avec les colons de la Nouvelle-Angleterre, réputés plus riches mais plus frugaux.

1760 — 1840: Canadiens et Anglais

Après la Conquête en 1760, les colons français continuent d'être désignés comme «Canadiens» (sauf les Acadiens), que ce soit entre eux ou par les Anglais et les Loyalistes américains qui s'installent dans le Haut-Canada, à Montréal et ailleurs.

D'autres immigrants anglophones, notamment les Irlandais et les Écossais, arrivent massivement au début du 19e siècle: la population du Bas-Canada doublera entre 1815 et 1850, alors que celle du Haut-Canada quadruplera pour atteindre plus de 600 000 habitants dans chaque colonie.

Les nouveaux venus ont tendance à se considérer comme des sujets britanniques. Certains d'entre eux commencent à utiliser le vocable «Canadian» à partir des années 1820, mais c'est un phénomène plutôt rare jusqu'aux rébellions de 1837-1838.

1840 — 1950: Canadiens français et Canadians

L'identité Canadian se forge plus durablement après la défaite des Patriotes dans le Bas-Canada et des rebelles de William Lyon Mackenzie dans le Haut-Canada, en 1838. En 1840, le rapport Durham nomme les habitants francophones «French Canadians». Le terme est rapidement traduit et remplace «Canadiens».

Parallèlement, les Canadiens français prennent une expansion géographique sans précédent à cause de la surpopulation du sud du Québec. Ils colonisent l'Abitibi et le Saguenay, le nord de l'Ontario, l'Ouest canadien et fondent de nombreux «Petits Canadas» dans les états frontaliers des États-Unis.

Le terme «Canadien français» perd alors tout attachement territorial. C'est un terme ethnique désignant tout francophone catholique descendant des colons français originaux du Saint-Laurent, peu importe qu'il se trouve à Montréal, à Winnipeg ou à Boston. Il est utilisé pour désigner Louis Riel et les Métis du Manitoba, avec qui les francophones du Québec reconnaissent une certaine parenté.

1950 — 2010: La nation québécoise

Plusieurs glissements linguistiques sont observables au Québec à partir des années 1950. Les journaux ont tendance à laisser tomber la locution «province de Québec» pour utiliser simplement «le Québec» au même titre que «le Canada». Puis, le terme «Québécois» fait son apparition comme nom de peuple. Il supplante «Canadien français» dans les journaux au cours des années 1960, et dans les sondages populaires vers la fin des années 1980. L'identification à la nouvelle nation québécoise atteint son paroxysme entre 2000 et 2010.

Le français demeure une caractéristique fondamentale de cette nation, mais comme langue commune plutôt que comme marqueur de séparation entre les peuples. La nation se définit aussi par la présence sur le territoire du Québec, la participation à la société québécoise et la gouvernance par l'État québécois, qui prend de l'ampleur et devient le véhicule de l'auto-détermination du peuple. C'est une nation civique plutôt qu'ethnique.

Ce changement fondamental est illustré par le discours de René Lévesque lorsque sa formation politique opte pour le nom «Parti québécois» en 1968. Il dit ceci à propos de l'inclusion de la minorité anglophone:

«Vous savez, c'est un très beau nom que nous avons choisi. [...] Mais j'espère aussi que

nous sommes conscients de l'écrasante responsabilité additionnelle qu'il nous impose.

[...] C'est un pays, le Québec, qui contient quand même encore un grand nombre de nos

concitoyens, sincères eux aussi, et qui sont aussi québécois, qu'il s'agit d'attirer et non

pas de heurter et encore moins de repousser.»

Parallèlement, le reste du Canada s'affirme dans sa «canadianité», adoptant un nouveau drapeau (l'unifolié) et un nouvel hymne national (Ô Canada) qui ne font plus référence à la couronne britannique. Les minorités francophones hors-Québec utilisent de moins en moins le terme «Canadien français», optant pour d'autres vocables comme «Franco-Ontarien» ou «Fransaskois».

Voir aussi:

2010 à aujourd'hui: La complexification des identités

L'immigration a toujours marqué le développement du Canada et du Québec. Mais jusqu'à récemment, celle-ci a été majoritairement anglophone ou francophone et très majoritairement européenne. Et la construction des identités nationales s'est faite largement à l'exclusion des populations autochtones.

À partir des années 1990, l'immigration s'accélère et les origines des Canadiens sont de plus en plus diversifiées. Aujourd'hui, 21% des Canadiens et 13% des Québécois sont nés à l'étranger. La proportion de minorités visibles est semblable.

Et, selon un nouveau sondage Léger/HuffPost, tous ces groupes indiquent se sentir Québécois ou Canadiens, même si leur identité ethnique ou raciale est aussi importante. Désormais, les gens additionnent les identités au lieu de les opposer et l'identification prioritaire à la nation québécoise s'estompe.

Le premier ministre Justin Trudeau est même allé jusqu'à dire que le Canada est un état «post-national» sans «identité de base». Une affirmation toutefois contrastée par l'augmentation des groupes identitaires affirmant défendre les intérêts des Québécois «de souche» ou des «old stock Canadians».

*** Sources:

- Louis Balthazar, Bilan du nationalisme au Québec, 1986

- Jean Quirion, Guy Chiasson et Marc Charron, Des canadiens français aux québécois: se nommer à l'épreuve du territoire?, 2017

- Yves Frenette, Brève histoire des Canadiens français, 1998

- Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, La langue française au Québec, 2008

- Statistique Canada, 150 ans d'immigration au Canada, 29 juin 2016

- Léger, Identité et immigration au Québec, août 2018

- Office québécois de la langue française, Indicateurs de suivi de la situation linguistique au Québec, 2016

- Ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion, Immigration et démographie au Québec, 2017

- CBC.ca, Stephen Harper's 'old-stock Canadians': Politics of division or simple slip?, 2015

- The Guardian, The Canada experiment: is this the world's first 'postnational' country?, 2017

- Magali Girard, Résumé de résultats de sondages portant sur la perception des Québécois relativement aux accommodements raisonnables, à l'immigration, aux communautés culturelles et à l'identité canadienne-française, 2008

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