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Immigration et emploi au Québec : un parcours du combattant

Des milliers d'immigrants en quête d'un emploi. Des milliers d'emplois disponibles. L'heure juste sur ce paradoxe...

Amina Watalusu, jeune Congolaise, est avocate de formation et détentrice d'une maîtrise en relations industrielles de l'Université de Montréal. Mohammad Yadallee, originaire de l'Ile Maurice, est ingénieur civil, diplômé de Curtin University of Technology en Australie.

Qu'ont-ils en commun? Leur parcours du combattant pour trouver un emploi au Québec dans leur domaine de compétences. L'un peine à décrocher un poste dans sa spécialité, l'autre est contraint d'accepter un emploi précaire après quatre années difficiles entre petits boulots alimentaires, bénévolat et périodes de chômage.

Comme eux, entre 53 000 et 60 000 personnes immigrées, diplômées et qualifiées cherchent un emploi au Québec à la hauteur de leur expérience et de leur potentiel, sans succès.

En même temps, les employeurs se plaignent d'une grave pénurie de main-d'œuvre: 90 000 postes ne trouvent pas preneurs. Une situation qui risque, assurent-ils, de freiner la croissance de leurs entreprises et, par ricochet, la croissance économique du Québec.

Pourquoi cette inadéquation entre la disponibilité de dizaine de milliers d'immigrants à la recherche d'un emploi et la vacance de 90 000 postes dans les entreprises québécoises? Un chiffre qui d'ailleurs continue de gonfler selon le dernier rapport de la FCEI paru en juin 2018, qui stipule que dorénavant 103 000 postes seront à pourvoir. Comment expliquer ce paradoxe ?

Ce premier épisode de notre série vidéo vise, d'une part, à relayer le vécu des nouveaux arrivants en quête d'emploi, à travers les témoignages d'Amina Watalusu et de Mohammad Yadallee. Et d'autre part, à chercher des éléments de réponse sur ce paradoxe de l'emploi au Québec, auprès de deux protagonistes du marché du travail: Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec (CPQ) et Thomas Gulian, directeur de l'Institut de recherche sur l'intégration professionnelle des immigrants (IRIPI).

Immigrants qualifiés en quête d'emploi

Il n'y a rien de plus frustrant pour un immigrant que d'arriver au Québec après de longues années d'attente et de multiples sacrifices financiers, pour découvrir que ses connaissances, son savoir-faire et les expériences acquises dans son pays d'origine ne valent rien et qu'il lui faut repartir à zéro.

«Cela m'a pris 4 ans au total pour pouvoir décrocher enfin un travail dans mon domaine comme agente de projet, mais même là, c'est un contrat de 28h par semaine», nous confie Amina Watalusu, désenchantée par son expérience d'immigrante sur le sol québécois.

Amina Watalusu a dû persévérer durant quatre ans avant d'obtenir un emploi dans son domaine.
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Amina Watalusu a dû persévérer durant quatre ans avant d'obtenir un emploi dans son domaine.

Arrivée de son Congo natal en 2009, à titre de résidente permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés, cette jeune avocate parfaitement francophone était pleine d'espoir et de rêves. Une nouvelle vie s'offrirait à elle avec de formidables opportunités de travail, si elle en croyait les discours tenus par des représentants officiels dans leur entreprise de séduction auprès des talents étrangers.

Une fois au Québec, et malgré l'équivalence obtenue de son diplôme en droit congolais, Mme Watalusu renonce à son métier d'avocate, vu les démarches longues et ardues pour exercer sur place. Ne se résignant pas pour autant, elle décide de se donner une nouvelle chance en s'orientant vers une autre carrière en relations industrielles. Et n'hésite pas, pour ce faire, à fréquenter de nouveau les bancs d'université tout en prenant des risques financiers: «J'ai contracté un prêt pour financer mes études. Ça me coûte 105$ aux deux semaines que je dois rembourser sur 15 ans», assure-t-elle.

Mon plus grand défi en recherche d'emploi a été le manque de la première expérience canadienne. Les petits emplois que j'ai pu avoir, cette expérience-là n'a pas été reconnue en fait.Amina Watalusu

Sa maîtrise en relations industrielles en poche, Amina Watalusu pensait décrocher rapidement un emploi stable dans sa spécialité, maintenant, se disait-elle, qu'elle détenait un diplôme local de l'Université de Montréal. Encore là, elle dut revoir ses ambitions professionnelles à la baisse face aux difficultés rencontrées dans sa quête d'emploi.

Après un passage de sept mois à Action travail des femmes, un organisme de soutien aux femmes immigrantes, elle alterne des périodes de petits emplois alimentaires, de bénévolat pour acquérir une expérience québécoise dans son domaine et des périodes sans emploi.

Elle a ainsi occupé des postes qui n'avaient rien à voir avec ses compétences - temporaires et mal payés de surcroît : préposée à l'entrepôt, préposée à l'usine, agente à l'accueil, commis de bureau, concierge...

Ce n'est qu'au bout de quatre années de galère et de concessions qu'elle dégote finalement un emploi dans son domaine de compétences. Mais là encore, maigre consolation, c'est un poste à contrat temporaire d'un an renouvelable et de seulement 28 heures par semaine.

«Mon plus grand défi en recherche d'emploi a été le manque de la première expérience canadienne. Les petits emplois que j'ai pu avoir, cette expérience-là n'a pas été reconnue en fait », déplore la jeune femme. Le manque de maîtrise de l'anglais fut un autre motif de refus de la part des employeurs.

Un grand nombre de nouveaux arrivants se retrouvent dans la même situation que la jeune Congolaise. Le taux de chômage est très élevé dans cette catégorie d'immigrants, soit de 13,8 % chez ceux arrivés au Québec depuis 5 ans ou moins. En comparaison, celui de la population née au Québec est de 4,7 %, selon les données fournies par Statistique Canada en juillet 2018.

L'ingénieur Mohammad Yadallee, diplômé d'une université australienne reconnue, fait également partie de ces nouveaux arrivants sans emploi, qui peinent pour travailler dans leur domaine de spécialisation.

Depuis son arrivée au Québec fin 2016 et alors qu'il a obtenu son équivalence et son permis d'exercer le génie civil dans des délais relativement courts - vu l'entente existant entre le Canada et l'Australie - le Mauricien s'échine à décrocher un poste d'ingénieur junior.

Accumuler de petits emplois alimentaires n'ouvre pas la porte des postes convoités, constate Mohammad Yadallee.
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Accumuler de petits emplois alimentaires n'ouvre pas la porte des postes convoités, constate Mohammad Yadallee.

Le principal motif de refus qu'évoquaient les employeurs, du moins officiellement, était son manque de première expérience canadienne. «J'ai commencé à faire des petits boulots alimentaires pour gagner un peu d'argent et pour gagner une expérience canadienne, qui je croyais allait bien me servir sur le marché du travail», confie le jeune ingénieur. Après un an d'accumulation de petits boulots précaires comme commis en production ou à l'expédition, il réalise que c'est peine perdue. Ses candidatures à des postes d'ingénieur sont tout autant rejetées par les entreprises.

Et pourtant, 2 975 postes étaient vacants au Québec au quatrième trimestre de 2017, selon les données de l'Enquête sur les postes vacants et les salaires (EPVS) de Statistique Canada.

L'arrimage entre immigrants et entreprises fait défaut

D'un autre côté, les besoins en main-d'œuvre sont de plus en plus criants au Québec. «90 000 postes sont actuellement disponibles et on parle d'environ de 1,3 million de postes qui devraient être à combler d'ici les dix prochaines années», confirme Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec (CPQ). Des postes qui seront vacants d'ici 2024 pour cause de départs à la retraite et de création de 240 000 nouveaux emplois, censés être pourvus à hauteur de 18% par des travailleurs immigrants, selon les prévisions d'Emploi-Québec.

Signe que cette pénurie affecte de plus en plus un large éventail de secteurs d'activité, un restaurant McDonald's a dû fermer temporairement pour manque d'employés, et une entreprise dans l'industrie aéronautique, Aérospatiale Hemmingford assure devoir refuser parfois des contrats faute d'effectifs suffisants.

Mais alors comment se fait-il que 60 000 immigrants prêts à travailler restent sur le carreau ?

«Parmi les enjeux auxquels le Québec est confronté, il y a l'embauche des nouveaux arrivants», reconnaît M. Dorval, leur taux de chômage étant beaucoup plus élevé que celui des natifs. Il impute cette situation en premier lieu à une inadéquation entre la sélection des candidats à l'immigration et les besoins réels des entreprises. L'autre cause majeure, selon le président du CPQ, est l'établissement de la majorité des nouveaux arrivants à Montréal, alors que «beaucoup de postes sont disponibles en région», précise-t-il.

Le fait d'occuper un petit job est une condition néfaste à l'intégration dans son domaine d'études et à sa qualification.Thomas Gulian, directeur de l'IRIPI

Le processus de sélection des immigrants et la concentration de ces derniers dans l'agglomération montréalaise peuvent expliquer en partie le chômage des nouveaux arrivants. Mais le directeur de l'Institut de recherche sur l'intégration professionnelle des immigrants (IRIPI),Thomas Gulian, considère que l'obstacle majeur à leur embauche est la non-reconnaissance de leur diplôme et plus particulièrement de leur expérience professionnelle acquise à l'étranger.

Depuis une quinzaine d'années, toutes les recherches montrent que «la valeur économique de l'expérience acquise à l'étranger sur le marché du travail canadien est quasiment nulle», affirme-t-il. Ce qui signifie que les personnes immigrantes sont considérées «comme des nouveaux entrants sur le marché du travail, alors qu'elles détiennent souvent une expérience extrêmement importante dans leur pays», souligne le directeur de l'IRIPI.

D'où ce leitmotiv des employeurs exigeant une première expérience canadienne de la part des nouveaux arrivants, même les plus expérimentés d'entre eux. Mais c'est un cercle vicieux. Si aucun employeur ne donne sa première chance à l'immigrant, il ne pourra jamais acquérir une première expérience canadienne. Le parcours de nos deux témoins, Amina Watalusu et Mohammad Yadallee, en atteste. Le fait d'accepter des emplois déqualifiés voire bas de gamme dans l'espoir de gravir les échelons petit à petit ne leur a pas permis de décrocher un poste à la hauteur de leurs compétences.

Thomas Gulian, le directeur de IRIPI, considère que l'obstacle majeur à l'embauche est la non-reconnaissance des diplômes et plus particulièrement de l'expérience professionnelle acquise à l'étranger.
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Thomas Gulian, le directeur de IRIPI, considère que l'obstacle majeur à l'embauche est la non-reconnaissance des diplômes et plus particulièrement de l'expérience professionnelle acquise à l'étranger.

«Le fait d'occuper un petit job est une condition néfaste à l'intégration dans son domaine d'études et à sa qualification», soutient M. Gulian. Ce fut démontré par de nombreuses recherches - dont celle de Jean Renaud, sociologue à l'Université de Montréal - sur le plan quantitatif mais aussi sur le plan qualitatif.

En effet, Marie-Thérèse Chicha, titulaire de la Chaire en Relations Ethniques de l'Université de Montréal - qui a mené des recherches sur la déqualification des travailleuses immigrées - confirme que «celles qui réussissent à décrocher un emploi dans leur domaine de compétences sont celles qui ont travaillé le moins de temps dans des petits jobs précaires.»

C'est un coût pour l'individu, un coût pour la société qui ne profite pas de la formation acquise à l'étranger.Karine Bellemare, doctorante en relations industrielles

Karine Bellemare, doctorante en relations industrielles en a fait l'objet de sa thèse. Si les travailleuses immigrées ne trouvent pas rapidement un emploi à la hauteur de leurs qualifications, elles seront vite déqualifiées. «C'est un coût pour l'individu, un coût pour la société qui ne profite pas de la formation acquise à l'étranger», plaide Mme Bellemare. Un gâchis considérable pour la société qui aurait économisé des montants importants d'éducation et de formation.

Le président du CPQ admet que cela représente un problème. Il l'explique par le fait que «95% des employeurs, c'est de la PME, 95% n'ont pas de service de ressources humaines à l'intérieur». Ils n'ont ni les ressources, ni le temps, ni l'expertise pour prendre connaissance des coffres à outils mis à leur disposition par le gouvernement pour les accompagner dans leur gestion de la diversité. «C'est pourquoi le Conseil du patronat a décidé de mettre en l'avant un service de conciergerie», annonce son président. Des groupes d'aide seront mis en place en région à l'intention des employeurs qui n'ont pas un service de ressources humaines, «une sorte de mutuelle qui vise à identifier leurs besoins, les aider et les accompagner», ce qui changera la donne, croit M. Dorval.

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