Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Twitter, Facebook... Attention, lire des opinions divergentes sur les réseaux sociaux pourrait entraîner une grave radicalisation politique

Pour faire éclater les "bulles de filtres", proposer des points de vue différents n'est peut-être pas la bonne idée. Cela pourrait créer une polarisation.
Jon Nazca / Reuters

Il y a une petite dizaine d'années, les réseaux sociaux étaient portés aux nues, dans le sillage de la victoire de Barack Obama en 2008, du soulèvement postélectoral iranien de 2009 et du Printemps arabe débuté en 2010. Synonymes d'ouvertures des peuples, d'une information diversifiée et hétérogène, de moyens de lutte contre les oppressions, Facebook et Twitter, notamment, étaient vus comme des atouts de la démocratie.

C'est un euphémisme de dire que les choses ont changé. L'élection de Donald Trump a été un coup de tonnerre qui a fait s'interroger nombre de chercheurs sur l'impact qu'ont pu avoir les réseaux sociaux sur cette victoire. Si les fake news et l'ingérence russe ont fait coulé beaucoup d'encre, d'autres recherches s'orientent surtout sur l'impact politique du partage d'informations en général sur les réseaux sociaux.

Comme l'on partage avant tout des choses qui nous plaisent, nous confortent dans nos opinions, le risque est de s'enfermer dans une bulle de filtre. De créer petit à petit une polarisation de la société. On pourrait alors se dire que la solution serait de proposer aux utilisateurs des informations diversifiées, proposant des points de vue différents de leur identités politiques, pour créer un dialogue constructif et une remise en cause de ses propres biais.

Ou peut-être que cela aurait un effet inverse, dévastateur. C'est l'étonnante conclusion d'une étude publiée ce mardi 28 août dans la revue PNAS, qui a fait l'expérience sur des utilisateurs américains de Twitter. Leur conclusion (à relativiser, voir plus bas):

"Les Républicains qui ont suivi un compte Twitter libéral [au sens américain du terme, soit "progressiste", ndlr] sont devenus substantiellement plus conservateurs. Les Démocrates ont montré une légère augmentation de leurs attitudes libérales après avoir suivi un compte Twitter conservateur, bien que cet effet ne soit pas statistiquement significatif."

Mélange des genres

Pour arriver à ce résultat, les chercheurs ont réalisé un sondage sur 1650 Américains, 900 Démocrates et 750 Républicains, tous des utilisateurs actifs de Twitter. Objectif: cerner leur positionnement politique et sociétal. Ensuite, ils ont proposé à une partie d'entre eux d'être rémunérés à condition de suivre un compte Twitter bien particulier.

Celui-ci a été créé par les chercheurs et est un robot qui partage des messages bien spécifiques. L'un d'eux ne va mettre en avant que des messages et des personnalités progressistes. L'autre, que des conservateurs. Le robot progressiste a été suivi par des Républicains, le robot conservateur par des Démocrates.

Evidemment, les sondés ne savaient pas du tout quel était le but de ce compte Twitter. Un mois après, les chercheurs ont reposé des questions aux cobayes et ont analysé l'évolution de leur pensées politiques. Ils ont également mesuré à quel point les personnes interrogées avaient joué le jeu et avaient vraiment bien lu les messages envoyés par le robot.

Le résultat est visible dans le graphique ci-dessous. En bleu, ce sont les Démocrates. En rouge, les Républicains. Plus le curseur a bougé à gauche, plus la personne est devenue progressiste. A l'inverse, la droite symbolise un glissement vers plus de conservatisme. Le point représente l'évolution moyenne, le petit trait horizontal la marge d'erreur, comme dans un sondage politique.

PNAS

La première ligne correspond à l'ensemble des sondés qui ont suivi le robot. Les lignes suivantes séparent les sondés en fonction de l'assiduité avec laquelle ils ont lu les messages proposés (la dernière ligne représente donc les personnes qui ont le mieux assimilé ces propos).

Des résultats à confirmer et à déminer

On voit des deux côtés une même tendance: plus une personne a suivi le robot qui proposait des informations à l'opposé de son spectre politique, plus la polarisation s'effectue. Plus on se retranche dans son appartenance politique. Chose qui ne se vérifie pas chez le groupe de contrôle, qui n'a pas été exposé à ce compte Twitter bien particulier.

Il y a toutefois plusieurs nuances à apporter à l'étude. La première, c'est que si le résultat est assez net chez les Républicains, il l'est bien moins chez les Démocrates: on est dans la marge d'erreur statistique. Les auteurs rappellent également que l'étude se limite à des Américains, utilisateurs de Twitter, et Républicains ou Démocrates revendiqués.

Il n'est donc pas possible pour le moment d'en tirer une conclusion globale. De plus, on a proposé aux sondés une rémunération pour les motiver à suivre le compte Twitter opposé à leur opinion politique. Peut-être que sans cela, ces messages auraient été ignorés. Surtout, les chercheurs n'ont pas réussi à trouver une cause prouvée à cette polarisation, ce repli dans son propre spectre politique.

Quant à la différence entre Démocrates et Républicains, la cause pourrait être que les conservateurs sont plus attachés à la tradition alors que les progressistes apprécient la diversité et le changement. Elle pourrait aussi s'expliquer par le simple fait que le compte Twitter progressiste a plus exposé les conservateurs à des minorités ethniques et des femmes, provoquant un sentiment de rejet. Autre biais possible: la majorité des messages retweetés proviennent de personnalité. Il pourrait donc y avoir un rejet anti-élite derrière cette polarisation.

Une polarisation bien visible

Malgré ces mises en garde, les auteurs estiment que cette étude, qui reste "l'une des plus larges expérimentations conduites sur les réseaux sociaux" de ce type, mérite que l'on s'y intéresse. Et surtout, que l'on poursuive ces efforts avec de futures recherches pour valider ou infirmer ces conclusions, mais aussi comprendre si ces résultats se répliquent dans d'autres populations. Et surtout, pourquoi.

D'autant que plusieurs signaux montrent à quel point les réseaux sociaux tendent à se polariser de plus en plus et à avoir de l'influence. Un article du MIT Technology Review montre cette polarisation, aux Etats-Unis, via plusieurs graphiques éloquents. Plus les utilisateurs de Twitter sont engagés politiquement, plus ils sont actifs et audibles.

Les auteurs de l'étude rappellent que le problème n'est pas limité aux réseaux sociaux, quoi qu'il arrive. "Les médias eux-même en viennent à compter sur Twitter comme une source d'information et une fenêtre sur l'opinion publique". D'ailleurs, la société américaine est bien plus polarisée aujourd'hui qu'il y a 10 ou 20 ans, comme le montre ce graphique du Pew Research Center (même si ce n'est clairement pas uniquement lié à internet et aux réseaux sociaux). En bleu, le positionnement politique des Démocrates. En rouge, celui des Républicains.

Pew research center

Pour les auteurs de l'étude, il est donc nécessaire, si l'on veut réduire la polarisation sur les réseaux sociaux et créer un dialogue plus constructif, de bien cerner les méthodes et messages utilisés. Car ils risquent, au contraire, de créer un effet inverse en produisant encore plus de polarisation.

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.