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«La chute de l'empire américain», les contradictions de Denys Arcand

Denys Arcand reste Denys Arcand, pour le meilleur et pour le pire...
Alexandre Landry et Maripier Morin tiennent les rôles principaux du film.
Les Films Séville
Alexandre Landry et Maripier Morin tiennent les rôles principaux du film.

L'étoile de Denys Arcand a quelque peu pâli au cours de la dernière décennie. En fait, depuis Les invasions barbares, le réalisateur québécois fait du surplace, répétant les mêmes discours, partageant la même vision intransigeante de l'état du monde et de l'humanité par l'entremise de méthodes qui ont souvent fait leur temps.

Certainement mieux construit, moins irritant et foncièrement plus intéressant que L'âge des ténèbres et Le règne de la beauté, La chute de l'empire américain souffre malgré tout des mêmes problèmes au niveau de la forme.

Suivre la trace de l'argent

La chute de l'empire américain suit le parcours de deux sacs de sport contenant plusieurs millions de dollars appartenant au crime organisé. À la suite d'un braquage ayant mal tourné, l'argent aboutit entre les mains d'un détenteur de doctorat en philosophie devenu livreur (Alexandre Landry) qui a eu le malheur - ou le bonheur, c'est selon - de se retrouver au mauvais endroit au «bon» moment.

Tandis que deux enquêteurs (Louis Morissette et Maxim Roy) le soupçonneront d'être en possession du butin, l'intellectuel souffrant d'être «trop intelligent» s'amourachera d'une escorte de luxe et s'associera à un ancien motard (Rémy Girard) pour mettre sur pied un stratagème qui leur permettra de s'approprier la somme sans éveiller les soupçons.

L'idée de départ est en soi excellente. Et Denys Arcand avait certainement le talent et la répartie pour mener un projet flirtant entre ses ambitions intellectuelles et sociales et les codes du film de série B à bon port.

La chute de l'empire américain ne manque pas de rythme, d'humour ou de moments forts. Le problème, comme c'était le cas dans ses deux précédents opus, c'est que le cinéaste est visiblement plus intéressé par ce qu'il veut dire que par la façon dont il veut le dire. Du coup, Arcand coupe les coins ronds, ignore de belles opportunités, et limite le développement de certains personnages à quelques répliques et stéréotypes.

L'argent fait le bonheur?

D'un autre côté, Arcand se sert habilement des minces fils avec lesquels il tisse son intrigue et ses personnages pour en révéler les contradictions.

Il présente son protagoniste intellectuel, peu sociable et n'arrivant pas à trouver sa place dans un monde carburant à l'argent comme un bienfaiteur de l'humanité, ne ratant pas une occasion de le filmer en train de donner quelques pièces de monnaie à un itinérant ou de venir en aide aux plus démunis.

Pourtant, le premier réflexe qu'aura notre bon samaritain une fois qu'il aura les poches bien pleines sera de faire appel aux services de l'escorte la plus dispendieuse de Montréal (Maripier Morin, qui livre une performance plus que respectable dans son premier grand rôle au cinéma).

Évidemment, notre philosophe un peu trop coincé tombera immédiatement sous le charme de la jeune femme - que la caméra de Denys Arcand adore filmer - tandis que les décisions qu'il prendra à la suite du hold-up seront de plus en plus irréfléchies.

Bref, l'argent corrompt l'esprit, la beauté enivre le coeur, et la foi nous mènera à notre perte ou notre salut, nous répète Arcand.

Tapis rouge de «La chute de l'empire américain»

Les contradictions de Denys Arcand

Le réalisateur fait néanmoins preuve d'une grande rigueur pour ce qui est de la recherche et il est clair qu'au-delà de toutes autres considérations, ce qui l'intéresse ici, c'est l'argent. L'argent et ceux qui en ont trop, ceux qui n'en ont pas assez ou pas du tout, ceux qui en voudraient plus, ceux qui tentent de faire croire qu'ils n'en veulent pas. L'argent mène le monde, dans tous les sens du terme.

Denys Arcand prend aussi tout le temps nécessaire pour traîner dans la boue de façon peu nuancée certaines institutions et cibles de prédilection d'une manière s'apparentant au ton d'un éditorial de journal étudiant.

Entre ces deux pôles, l'évolution des principaux personnages ainsi que le développement des relations qui les unissent reposent sur des bases plutôt fragiles. Difficile, d'ailleurs, d'expliquer pourquoi Arcand délaisse ici son pessimisme habituel au profit d'un optimisme rose bonbon, sous-entendant que la providence finit toujours par récompenser les justes.

D'un côté, il traite d'un sujet de société en cherchant continuellement à soulever l'indignation. De l'autre, il articule sa trame narrative autour du thème du destin d'une manière pouvant paraître paresseuse, et surtout peu cohérente.

Même son de cloche en ce qui a trait aux conséquences auxquelles auront à faire face l'ensemble de ses personnages. Disons simplement qu'Arcand opère ici un système à deux vitesses où certains l'auront plus facile que d'autres au bout du compte, et ce, même si tous finiront par commettre des gestes assez répréhensibles.

Se faire plaisir

Denys Arcand déclarait récemment qu'il n'avait plus rien à prouver à qui que ce soit, qu'il avait déjà gagné tous les prix qu'il avait à gagner.

Il y a définitivement un lâcher-prise qui s'opère dans La chute de l'empire américain, film qu'il a visiblement eu beaucoup de plaisir à tourner. Il s'agit assurément du long métrage le moins oppressant, le plus lumineux et grand public du cinéaste en près de quinze ans.

Ceci étant dit, Denys Arcand reste Denys Arcand. Et ce dernier ne se gêne pas pour faire la morale à son public plus qu'à ses personnages, le confrontant d'une manière assez peu subtile à «toute la misère du monde».

Mais à vouloir ratisser trop large - une fois de plus - et aborder toutes les problématiques d'un seul et même sujet, le Québécois passe par-dessus certains détails, sous-développe plusieurs idées, et nous laisse avec un film entraînant, bien intentionné, mais malheureusement incomplet.

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