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Doug Ford élu, le Québec risque-t-il sa chemise à la bourse du carbone?

Alors que le système fait l’objet de critiques, l’élection de Doug Ford en Ontario alimente l’incertitude.
Une nouvelle note de l'IEDM soutien que la bourse du carbone a pour effet de «faire fuir les emplois et les capitaux sans réduire les gaz à effet de serre».
China Stringer Network / Reuters
Une nouvelle note de l'IEDM soutien que la bourse du carbone a pour effet de «faire fuir les emplois et les capitaux sans réduire les gaz à effet de serre».

Alors que Québec tente de convaincre le nouveau premier ministre ontarien Doug Ford de renier sa promesse de se retirer du marché du carbone, l'Institut économique de Montréal (IEDM) se montre très critique envers le système dans sa forme actuelle.

Dans une note publiée mercredi, les chercheurs Germain Belzile et Mark Milke soutiennent que la bourse du carbone a pour effet de «faire fuir les emplois et les capitaux sans réduire les gaz à effet de serre». Une analyse qui fait toutefois sourciller le professeur de HEC Pierre-Olivier Pineau et le directeur d'Équiterre, Steven Guilbeault.

Dans leur publication, MM. Belzile et Milke estiment que, «selon les paramètres actuels», le prix des droits d'émissions (fixé à 18,72$ par tonne de COlors de la dernière enchère) ne grimpera pas suffisamment pour encourager les entreprises et les particuliers à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) de façon importante d'ici 2030. Selon les deux chercheurs, les entreprises risquent de se contenter de payer pour des permis d'émissions à bas prix, sans faire d'effort véritable pour changer leur façon de faire.

Ils se basent sur une étude du ministère des Finances du Québec, qui prévoit que le prix du carbone ne devrait pas augmenter au-delà de 93$ par tonne de CO. Dans ces circonstances, les baisses d'émission liées à ce système au Québec représenteraient environ 20% de l'objectif de 2030, toujours selon le ministère. Un effet «négligeable», peut-on lire dans la note de l'IEDM.

Des «fuites de carbones»

Même dans un autre scénario - improbable, selon Germain Belzile - où le prix du carbone grimperait de façon importante, les chercheurs de l'IEDM prévoient un avenir sombre pour le Québec et l'Ontario.

«Si le prix du carbone est plus élevé que ce que les entreprises peuvent payer, elles déplaceront leurs activités vers des endroits où la réglementation des émissions est moins sévère», préviennent-ils.

«Ça se produit déjà aux États-Unis. Il y a des entreprises qui quittent la Californie pour des États autour où il n'y a pas cette règlementation-là», a affirmé Germain Belzile au HuffPost Québec.

Pour que le système fonctionne, «il ne faut pas qu'on soit les seuls à le faire», martèle M. Belzile. «Si on est les seuls, tout ce qu'on fait, c'est appauvrir les Québécois et les Ontariens.»

Or, bien que le Québec, l'Ontario et la Californie soient les seuls signataires du Western Climate Initiative (WCI), la fameuse bourse du carbone, près de 70 pays, États ou villes ont déjà mis en place un mécanisme de tarification du carbone à travers le monde.

Le gouvernement fédéral s'apprête par ailleurs à imposer une taxe carbone de 50$ par tonne de GES émise pour toutes les provinces qui ne se seront pas dotées de leur propre système de tarification.

En décembre dernier, la Chine, premier émetteur mondial de GES, a également annoncé qu'elle créerait son propre marché national du carbone. Le Mexique s'est aussi dit ouvert à rejoindre le même marché que le Québec.

Steven Guilbeault, archives.
Mario Beauregard/La Presse canadienne
Steven Guilbeault, archives.

Selon Steven Guilbeault, d'Équiterre, les entreprises auraient donc de plus en plus de mal à trouver «des endroits dans le monde où aller se cacher pour se sauver de la règlementation».

«Est-ce que le marché du carbone est un mécanisme parfait? Bien sûr que non. Est-ce qu'il est efficace? Oui. Est-ce que ce serait souhaitable qu'il y ait plus d'États et de provinces qui participent? Bien sûr», concède Steven Guilbeault.

Mais «il n'y a aucune analyse sérieuse qui démontre qu'il y a eu des pertes d'emplois liées à la lutte aux changements climatiques ou au marché du carbone. C'est complètement ridicule», tonne-t-il, disant prendre «avec un grain de sel» la publication de l'IEDM.

Même son de cloche du côté de Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal.

«Les entreprises qui sont les plus exposées à des pressions compétitives de l'extérieur - et qui pourraient donc éventuellement partir - reçoivent des droits d'émission gratuitement», rappelle-t-il. «Donc la pression à quitter le Québec, avec son électricité à bon marché, sa main-d'oeuvre bien formée et son système de santé sans coût d'assurance privée est très faible, nulle en fait.»

La variable «Doug Ford»

Contrairement à Germain Belzile, Steven Guilbeault et Pierre-Olivier Pineau sont sceptiques quant à la possibilité réelle d'un retrait de l'Ontario du WCI.

«Bien malin celui qui peut prévoir les décisions à venir de M. Ford, croit Steven Guilbeault. Entre une promesse électorale et la compréhension de ce que ça voudrait dire pour l'Ontario de mettre ce système-là aux poubelles, il y a tout un monde.»

Élu le 7 juin à la tête de l'Ontario, Doug Ford a promis en campagne électorale que la province se retirerait du marché du carbone.
Carlo Allegri / Reuters
Élu le 7 juin à la tête de l'Ontario, Doug Ford a promis en campagne électorale que la province se retirerait du marché du carbone.

Selon Pierre-Olivier Pineau, même les industries les plus polluantes s'opposeraient à une telle décision de Ford. «Elles savent qu'un autre système de prix du carbone viendra tôt ou tard... et elles connaissent déjà [le WCI]. Je crois qu'elles vont préférer une contrainte qu'elles maîtrisent déjà à une autre incertaine.»

Quant à l'affirmation des chercheurs de l'IEDM selon laquelle la bourse du carbone entraînera «des pertes de milliards de dollars pour les économies québécoise et ontarienne»?

«C'est très mal comprendre les notions économiques et le système de plafonnement et d'échange de droits d'émission (SPEDE) que de dire ça», lance M. Pineau.

Il rappelle que les recettes des ventes de crédits d'émission aux grands émetteurs atterrissent dans les coffres du gouvernement, qui redistribue cet argent dans des programmes pour réduire les émissions par l'entremise du Fonds Vert.

«Ces programmes, dans plusieurs cas, rendent effectivement les entreprises plus productives parce qu'elles adoptent des procédés moins énergivores, affirme le professeur. Le gouvernement installe donc un système qui met des incitatifs à devenir plus productif! Incompréhensible qu'un institut qui se dit "économique" n'applaudissent pas ces incitatifs à une plus grande productivité.»

Il concède toutefois à l'IEDM que, jusqu'à maintenant, le SPEDE «n'a pas eu beaucoup d'effet» puisque les contraintes ne sont pas très importantes et les prix conséquemment bas.

Mais comme Steven Guilbeault, M. Pineau est d'avis que les effets de la tarification ne sauront tarder.

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