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Ma fille de 14 ans a regardé du porno, et je n’aurais jamais pu imaginer à quel point cela changerait nos vies

Même si ça peut paraître bizarre, le porno a amélioré ma relation avec ma fille de bien des manières.
TARIK KIZILKAYA via Getty Images

Une nuit fatidique de novembre 2014, ma fille, alors âgée de 14 ans, nous a réveillés, mon mari et moi, à 2 h du matin.

En larmes et visiblement bouleversée, elle a murmuré: "Maman, il faut que je te dise quelque chose."

Même la Belle au bois dormant serait en état d'alerte maximum en entendant ces mots. Mon cerveau de maman a immédiatement passé en revue les suspects habituels: elle est enceinte, elle se drogue, elle a de gros problèmes. Ou alors c'est le cas d'une de ses amies. En tout cas, elle avait besoin de me parler au beau milieu de la nuit, et j'ai su que je devais rester calme pour éviter de la paniquer encore plus.

Je me suis assise et je lui ai demandé aussi calmement que possible: "Qu'est-ce qui se passe?"

Pour toute réponse, elle m'a tendu son iPhone. Ce seul geste témoignait de la gravité de la situation: en temps normal, elle me laissait à peine le regarder. Alors, le toucher... Je m'attendais à un message de harcèlement ou de menace, voire à des photos compromettantes, mais c'est sur une page de jargon juridique que j'ai posé les yeux. La peur a laissé place à la confusion.

"Qu'est-ce que c'est?" ai-je demandé.

Fuyant mon regard, elle a répondu: "J'ai regardé du porno, et le FBI m'a retrouvée."

Panique totale dans mon cerveau: "Sérieux? Du porno? Le FBI va venir sonner chez moi? C'est une sirène que j'entends? Ils appellent avant généralement? Elle pourrait aller en prison? Être poursuivie en justice une fois adulte? Est-ce que je lui prends un avocat? Combien ça coûte, un avocat pour ce genre de choses? Minute... Le porno, c'est illégal? Arrête, Amelia! Ta fille a besoin de toi. Respire."

Rien n'aurait pu me choquer davantage. En tant que mère, j'avais imaginé des tas de conversations et de situations difficiles avec ma fille tout au long de sa vie de future femme. Comme elle avait 14 ans, je pensais que nous avions eu toutes les "discussions importantes": les règles, le sexe, la sécurité sur internet, le respect de son corps, la drogue et l'alcool, comment aider ses amis...

La plupart de ces discussions s'étaient bien passées, à tel point que je pensais que le tour était joué. Même si je savais qu'il ne suffisait pas d'aborder ces sujets sensibles une seule fois avec son enfant, et que les parents doivent s'efforcer d'établir un dialogue continu.

Or, au grand dépit de mes enfants, j'étais déterminée à entretenir une communication ouverte et honnête. En fait, depuis toujours, dès que j'entends parler d'un sujet ou d'une histoire en rapport avec le fait de grandir, j'aborde le sujet avec eux, aussi gênant ou compliqué soit-il.

Mais le porno... Je n'avais jamais envisagé avoir cette conversation avant que mon fils, qui a 5 ans de moins que sa sœur, n'entre dans la puberté. Malheureusement, et c'était peut-être naïf de ma part, je n'aurais jamais cru devoir parler de contenu pour adultes avec ma fille.

En tant que mère, j'avais imaginé des tas de conversations et de situations difficiles avec ma fille tout au long de sa vie de future femme. (...)Mais le porno... Je n'avais jamais envisagé avoir cette conversation.

Assises dans le noir, je lui ai posé des questions très précises, et elle m'a donné des réponses très embarrassantes. Non, elle n'avait jamais parlé de porno avec qui que ce soit. Non, elle n'avait jamais contacté personne, et personne ne lui avait jamais demandé de photos d'elle nue. Non, elle n'avait jamais tourné ni publié de vidéos porno. Oui, elle avait regardé des vidéos d'adultes ayant des relations sexuelles. Non, elle n'avait jamais regardé de vidéos d'enfants, et non, elle n'était pas attirée par les enfants ("Aaaah, mais c'est dégueu, ce que tu dis, Maman!"). Oui elle était attirée autant par les hommes que les femmes.

Au fil de notre discussion, mon cerveau et mon cœur ont commencé à se calmer. Mon mari et moi nous sommes rendu compte que ses confessions et expériences n'étaient sûrement pas si différentes que celles d'un garçon qui se serait fait surprendre dans le même genre de situation. Qu'ils soient garçons ou filles, les adolescents sont intrigués par le sexe. Depuis toujours, ils se cachent pour regarder des images choquantes et raconter des histoires explicites.

Pourtant, on n'entend parler que des garçons, même si les filles sont tout aussi curieuses. Pour les garçons, regarder du porno est quasiment normal ou perçu comme un rite de passage. Pour les filles, je ne sais même pas, car notre culture ne parle jamais de ce qui pourrait les pousser à en regarder. On n'explique pas non plus quand et pourquoi le porno pourrait leur être utile, ou leur nuire.

Tandis que je la regardais, assise toute honteuse sur un coin du lit, grinçant des dents sous le coup du stress, je me suis aperçue que même si je comprenais son embarras il n'y avait vraiment pas de quoi avoir honte. Elle était simplement curieuse.

Une fois notre discussion terminée et ma fille recouchée, une petite recherche m'a assurée qu'elle n'allait pas se faire arrêter. Le message qui était apparu sur son téléphone n'était en réalité qu'un spam qui ne provenait pas du FBI. J'ignore qui l'avait envoyé, mais il s'est avéré utile pour ma fille. Il l'a poussée à me parler, et de bien d'autres choses que de porno.

Même une fois assurée que le FBI ne ferait pas irruption chez nous, elle a mis du temps à s'apaiser. Je lui ai rappelé les mots que j'avais prononcé d'innombrables fois depuis sa naissance: "Ma chérie, je t'aime quoi qu'il arrive." Quand je lui ai demandé si elle me croyait, elle m'a répondu d'un haussement d'épaules typique des adolescents, l'air de dire "Je ne sais pas". Je l'ai regardée droit dans les yeux et lui ai dit: "Je t'ai toujours aimée quoi qu'il arrive. Une de ces choses est arrivée, et ça ne change rien à ce que je ressens pour toi."

Son air sidéré m'a choquée à mon tour. Chaque jour, je m'efforce de dire et de montrer à mes enfants que je les aime. Mais à ce moment-là, j'ai eu peur qu'elle se soit dit toutes ces années qu'il ne s'agissait que de paroles en l'air. Cet incident a été le premier à prouver la sincérité de ces mots que je lui avais dits et répétés depuis sa naissance.

Trois ans après, ma fille a maintenant 17 ans et elle est en première. Elle a connu des périodes difficiles, mais je suis fière de dire que c'est une jeune femme très bien. Ses incursions précoces dans les vidéos porno ne l'ont pas transformée en obsédée sexuelle. Elle n'a pas couché à droite à gauche pendant son adolescence, et n'assimile pas le sexe à l'amour.

D'ailleurs, elle a attendu son 17 anniversaire pour son premier rendez-vous amoureux, et elle est toujours avec le jeune homme en question. Certains de ses amis et camarades de classe ont enchaîné les conquêtes, mais elle voulait ressentir une vraie connexion avec son premier copain et elle n'a pas sauté le pas tant qu'elle n'était pas prête... Comme cela devrait toujours être le cas.

Je n'aurais jamais cru que parler de porno avec ma fille de 14 ans à 2 h du matin serait un moment décisif dans notre relation, mais c'est pourtant ce qui s'est passé.

Je n'aurais jamais cru que parler de porno avec ma fille de 14 ans à 2 h du matin serait un moment décisif dans notre relation, mais c'est pourtant ce qui s'est passé. Après cette nuit-là, je crois qu'elle a compris qu'elle pouvait tout me dire, et que je l'écouterais. Elle a pris conscience du sens des mots "quoi qu'il arrive".

Ça nous a rapprochées, et l'adolescente discrète qui se terrait dans sa chambre s'est mise à passer plus de temps avec le reste de la famille. Elle jouait à des jeux de société, allait au cinéma, discutait de l'actualité et nous confiait ce qu'elle ressentait sur ce qu'elle vivait. Elle parlait des problèmes qu'elle rencontrait avec ses amis, me demandait si telle ou telle chose était normale ou si elle devait s'inquiéter.

Mais il n'y a pas que la vie de ma fille qui a changé; cette histoire m'a aussi ouvert les yeux. J'ai pris conscience que ma fille de 14 ans était tellement curieuse vis-à-vis du sexe qu'elle s'est tournée vers le porno pour avoir des réponses. Je craignais que le porno gratuit qu'elle trouverait en ligne ne dresse un portrait malsain, irrespectueux et malveillant des interactions et des relations sexuelles, voire qu'il lui en donne une fausse idée, sans même parler de la question du consentement.

Elle et moi avons eu de nombreuses discussions sur le respect d'autrui et de soi, et elle a appris qu'en se respectant elle-même, elle finirait bien souvent par s'entourer de gens qui la respectent en retour. C'est en tout cas ma théorie.

J'aime à croire que je lui aurais de toute façon enseigné toutes ces choses, mais aurais-je compris l'importance d'avoir ces discussions avec elle quand elle n'avait que 14 ans et qu'elle n'avait pas encore de petit copain? Je ne sais pas. J'aurais peut-être attendu, abordé ces sujets plus tardivement ou moins franchement, et elle aurait pu en payer le prix fort.

Je n'ai que des éléments anecdotiques sur trois ans de la vie d'une adolescente mais elle a déjà coupé les ponts avec une amie qui la manipulait et s'est éloignée de gens qui ne respectaient pas ses limites ou lui donnaient une mauvaise opinion d'elle-même. Ce sont des choses difficiles à gérer, même pour un adulte. Ma fille essaie d'en apprendre plus par elle-même en lisant beaucoup d'articles sur l'anxiété et, quand ça n'allait vraiment pas il y a deux ans et qu'elle envisageait de se faire du mal, elle est venue m'en parler. Il n'y avait aucune honte dans sa voix cette fois-là. Au contraire, elle a été capable de mettre des mots sur ses peurs face à cette douleur insoutenable.

Maintenant qu'elle est très occupée entre le lycée et son copain, je ne la vois plus autant qu'à l'époque de nos soirées films ou jeux de cartes. Mais, de temps en temps, elle vient se blottir contre moi sur le canapé pour qu'on regarde la télé ensemble, me montrer des images rigolotes ou des vidéos de chats. Je suis très fière qu'elle prenne le temps de se découvrir et de savoir ce qu'elle veut.

Même si ça peut paraître bizarre, le porno a amélioré ma relation avec ma fille de bien des manières. J'étais tellement préoccupée par son apprentissage de ce qui est bien ou mal, et j'avais si peur qu'elle se fasse embêter que j'en ai oublié qu'elle était à un âge où on est curieux de savoir pourquoi les gens parlent autant de sexe. Il a suffi d'un message effrayant pour nous forcer à nous faire confiance plus que jamais.

Mon fils va bientôt avoir 13 ans, et grâce à tout ce que mon mari et moi avons vécu avec notre fille, nous avons maintenant une nouvelle alliée dans la maison pour lui enseigner ce qu'est une relation saine. Elle discute de tout un tas de choses avec lui, et il l'écoute bien plus que nous, car elle est la grande sœur trop cool alors que nous, nous sommes les parents barbants.

Je suis convaincue que son adolescence apportera son lot de torture et de drames pour nous tous. Mais s'il nous réveille en plein milieu de la nuit, paniqué à l'idée que le FBI ait repéré ses habitudes de visionnage de porno... on saura quoi faire!

Ce blog, publié à l'origine sur le HuffPost américain, a été traduit par Typhaine Lecoq-Thual pour Fast For Word.

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