INTERNATIONAL - Shah Marai disait avoir vu tant de cadavres depuis qu'il travaillait pour l'AFP qu'il n'en dormait plus la nuit. Le chef photographe de l'agence en Afghanistan a été tué ce lundi 30 avril dans un double attentat suicide à Kaboul.
Sa vie et son épilogue illustrent tristement les tourments de son pays. Agé de 48 ans, Shah Marai avait démarré sa carrière à l'agence en 1996 en tant que chauffeur. Et c'est parce qu'il écoutait de la musique au volant que les talibans, alors au pouvoir et qui le permettaient pas, l'avaient roué de coups. Dix ans plus tard, il en avait encore des séquelles, avant d'être opéré à l'étranger en 2012.
"J'ai appris tout seul la photographie, donc je cherche toujours à m'améliorer. Et maintenant mes photos sont publiées dans le monde entier", soulignait-il. "Mes meilleurs souvenirs sont lorsque je bats la concurrence en ayant la meilleure photo du président ou de quelqu'un d'autre, ou du site d'un attentat à la bombe. J'aime être le premier", disait-il de son métier.
Shah Marai, ses grands yeux bleus très clairs, la blague toujours prête à fuser, et son titre autoproclamé de "champion du bureau de Kaboul" de ping-pong, ont été tués lundi lors d'un double attentat suicide dans la capitale. Après qu'un premier kamikaze à moto s'est fait exploser devant le siège du NDS -les services de renseignement afghan-, un second kamikaze, "muni d'une caméra", a actionné sa charge parmi les reporters, selon une source sécuritaire.
"Il est mort en faisant son travail, comme il le faisait depuis deux décennies", lui a rendu hommage le correspondant du New York Times à Kaboul, Mujib Mashal. "Nous sommes dévastés par la mort de notre photographe Shah Marai qui témoignait depuis plus de quinze ans de la tragédie qui frappe son pays", a déclaré Michèle Léridon, directrice de l'Information de l'AFP qui a repartagé, comme quelques internautes, les clichés les plus emblématiques du photographe (ci-dessous).
De nombreux collègues et amis de Shah Marai ont aussi exprimé leur émotion et rendu hommage au travail accompli au cours de sa longue carrière. Massoud Hossaini, à l'Associated Press et lui aussi sur les lieux du double attentat suicide de lundi matin a twitté que c'était "trop dur de perdre un grand ami comme lui". Mahfouz Zubaide, ami d'enfance et actuellement producteur pour la BBC à Kaboul, a salué la curiosité et le talent d'un photographe doté selon lui d'un "œil magnifique", comme vous pouvez le voir sur d'autres photos ci-dessous.
La France a condamné lundi le double attentat, "un acte odieux" et déploré que la "presse paie encore un lourd tribut". "Dans ce moment douloureux, je souhaite assurer l'AFP et ses équipes partout dans le monde de notre totale solidarité", a ajouté Jean-Yves Le Drian. Cinq autres journalistes présents ont été fauchés par l'explosion, selon le porte-parole du ministère afghan de l'Intérieur, Najib Danish. Tous travaillaient pour des télévisions afghanes dont un pour la chaîne Tolo News, déjà éprouvée par un attentat revendiqué par les talibans en 2016 qui avait fait sept morts.
De leur côté, l'organisation Reporters sans Frontières (RSF) et le Centre des journalistes d'Afghanistan (AJC) ont dénombré neuf journalistes tués. "Je tiens à rendre un hommage particulier à tous les journalistes qui, souvent au péril de leur vie, continuent à travailler chaque jour dans des conditions difficiles pour nous informer", a souligné le chef de la diplomatie française.
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