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«L’école des vertiges»: l’aventure intérieure de Tristan Malavoy 

«La zone dans laquelle je me sens pertinent comme artiste, j’y accède par la solitude.»
Jorge Camarotti

Pour Tristan Malavoy, l'école des vertiges est un apprentissage introspectif, une façon de décloisonner tout ce que la vie nous amène à cloisonner, afin de goûter à ce qu'il y a de plus vivant en nous. Un processus qui, dans son cas, passe par les déplacements et les voyages, qu'ils se fassent à bord du Transsibérien en Russie, en voiture vers l'Estrie, à Saint-Émilie-de-l'Énergie ou aux Îles-de-la-Madeleine dans la maison d'un ami. Par-dessus tout, c'est la thématique du livre-disque qu'il offre aux amateurs de mots, de musique et de mouvements, qu'ils soient musicaux ou humains.

Penses-tu que plusieurs créateurs ont tenté de goûter à ce vertige, à cette ivresse et à cette déconnexion du quotidien que tu ressens en déplacements, en consommant des substances illicites?

C'est vrai que c'est un peu rimbaldien. Cette école des vertiges peut faire penser au dérèglement de tous les sens. Je ne suis pas un fumeur d'opium, mais je ne carbure pas à l'eau non plus. Quand tu t'assois dans le Transsibérien, ça veut aussi dire de carburer à la vodka, parce que tout le monde t'en offre. Je ne pense pas qu'on écrive très bien quand on est parti, mais un verre de vodka bu en fin d'après-midi peut te placer dans un état de langueur et de souplesse qui prédispose à l'écriture.

Pourquoi voulais-tu offrir un objet composé de chansons, de réflexions, de récits de voyages et de création?

Le point de départ, c'était la production de 10 nouvelles chansons. Ensuite, j'ai voulu proposer à ceux qui s'intéressent suffisamment à mon travail et à ma trajectoire d'en apprendre un peu plus sur la manière dont les idées se mettent en place dans ma tête. Puis, quand j'ai sélectionné les chansons avec le réalisateur Philippe Brault, j'ai réalisé que je les avais toutes écrites en voyage ou sur la route, et que j'avais des anecdotes et des souvenirs de voyages à raconter, à partager avec le public. Cela dit, je voulais éviter le piège de trop expliquer les chansons. Il fallait que ce soit un propos périphérique.

Avec le livre-disque, cherches-tu à te démarquer dans une époque difficile pour l'industrie musicale?

Le nouveau contexte de diffusion de la musique en ligne est un réel défi qui demande une réflexion politique et une vision en termes de diffusion de la culture. Il faut réussir à obtenir davantage en termes de rétribution. Néanmoins, je refuse d'être uniquement dans le pessimisme. Ces périodes de bouleversements sont aussi des périodes durant lesquelles on peut inventer. Je me suis creusé les méninges pour trouver une formule qui me soit propre et qui permette de faire rayonner le travail.

En quoi l'ailleurs influence-t-il ta création?

Il me fait du bien, comme à à peu près tout le monde. En voyage, on sort de notre logique quotidienne. Il y a une respiration qui vient avec ça. En ce qui concerne l'écriture, c'est le déplacement qui a de la valeur, plus que le fait d'être à Moscou ou à la Nouvelle-Orléans. Le mouvement met quelque chose en branle chez moi. Il y a comme des trappes qui s'ouvrent dans mon esprit. J'ai mieux accès à ma sensibilité et aux questionnements existentiels que je porte. J'y réfléchis mieux. La poésie est un appel d'air chez moi.

As-tu voyagé davantage depuis quelques années parce que ce besoin était plus fort qu'avant?

Tout jeune, je voyageais déjà pas mal. J'étais le genre à partir avec un sac à dos en Europe pendant des semaines. Mais au cours des dernières années, j'ai voyagé autrement, comme un jeune père de famille qui a des obligations et des semaines de travail très meublées. Puisque je place mes fils au centre de ma vie et que j'ai une logique professionnelle prenante, je dois planifier mes voyages longtemps à l'avance. En fait, j'ai besoin de toujours avoir un voyage qui m'attend.

Dans tes textes, tu parles des voyages comme un pansement au cœur, une aventure intérieure, une perspective nouvelle et un révélateur des beautés et des laideurs en soi ou dans un couple. Dirais-tu que c'est aussi complexe d'être en couple que de créer à deux?

Il y a certainement des parallèles à faire. Quand on conjugue sa bulle créatrice avec celle d'un autre artiste, on crée un espace commun. En amour, on dit exactement la même chose: il y a l'un, l'autre et le couple. En création et en amour, il y a des moments d'ivresse où tout est plus grand que nature et des difficultés relativement semblables. Il y a une mise en danger dans les deux cas. Un déséquilibre. Par contre, la zone dans laquelle je me sens pertinent comme artiste, j'y accède par la solitude. Dans la vie, je me sens très loin de ce moi qui écrit. J'ai besoin de passer par un moment de silence et de solitude pour y accéder.

Comment décrirais-tu ton rapport à l'écriture de chansons et à l'écriture littéraire?

C'est la même matière première, les mêmes mots et les mêmes sujets, bien souvent, mais ce sont des rythmes qui n'ont rien à voir. Je n'ai aucune idée pourquoi je suis capable de faire les deux. De grands romanciers sont incapables d'écrire une chanson et les meilleurs auteurs-compositeurs-interprètes sont souvent incapables d'écrire un texte de plus de trois pages. Moi, je suis à l'aise dans ces deux rythmes. La chanson, c'est prendre un arc et une flèche, en essayant de viser le plus juste et le plus vite possible. Le texte long, c'est ouvrir un chantier, entrer dans une forêt, avec une idée du cap à suivre, sans savoir exactement où ça va nous mener.

Dirais-tu que tu es un homme de dualités?

Probablement. Quand je suis en train d'écrire un roman, je suis très patient, très secret et discret. Personne ne lit mes ébauches avant que ce soit pas mal terminé. Quand j'écris une chanson, c'est un geste rapide. Elle sort en une journée. Je m'assois au piano chez moi et après une heure, je me sens tellement plus détendu. Si je n'avais pas cette fenêtre, cette échappatoire, il y aurait quelque chose en moi qui manquerait d'oxygène et qui pourrirait vite.

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