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La musique de Chopin: l’épiphanie littéraire d’Éric-Emmanuel Schmitt

«Tout y est vrai!»
Pascal Ito

Auteur d'une brochette de succès littéraires dont les acclamés, Oscar et la dame rose et Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Éric-Emmanuel Schmitt nous revient avec Madame Pylinska et le secret de Chopin, une œuvre initiatique habitée par les mystères de création du grand compositeur franco-polonais. Le HuffPost Québec s'est entretenu avec l'écrivain et dramaturge de passage à Montréal.

C'est un roman au style aéré écrit sous le verbe de l'autobiographie. «Tout y est vrai!», lance d'ailleurs Éric-Emmanuel Schmitt dès les premières secondes de l'entrevue, comme pour exorciser les mauvaises langues qui verraient dans les pages de ce livre dédié au compositeur Chopin une pure affabulation. L'écrivain répète que le seul travestissement qu'il s'est permis a été celui de changer le nom de son ancienne professeure de piano en madame Pylinska afin de préserver son anonymat.

«Un jour, ma vie a été en partie forgée par un éblouissement, un éblouissement que j'ai vécu à neuf ans en entendant ma tante Aimée jouée au piano, se souvient Éric-Emmanuel Schmitt. Tout d'un coup, j'ai eu l'impression que le temps s'était figé, qu'il vibrait et qu'il palpitait. À ce moment-là, j'ai su que quelque chose d'important se passait. J'étais ému au plus profond et cette émotion venait de Chopin. C'est vrai que le soir même, j'ai dit à mes parents que je voulais apprendre le piano. J'étais destiné à la musique.»

Pascal Ito

La suite narre la rencontre colorée entre le jeune Schmitt et la tyrannique Pylinska, une femme d'origine polonaise aux méthodes d'enseignement anticonformistes. «Je n'arrivais pas à jouer Chopin. Tout m'échappait, son mystère, sa grâce, sa sensibilité. Donc à vingt ans en arrivant à Paris pour poursuivre mes études en philosophie, j'ai rencontré Madame Pylinska qui vouait son art à celle de Chopin. Quoi qu'on en dise, ses cours de musique ont été des cours de vie, une véritable éducation sentimentale. Elle m'a rendu sensible et délicat.»

Et pourtant, l'enseignante n'y est pas allée avec le dos de la cuillère. Ses premières leçons interdisent même au jeune homme d'utiliser les touches du convoité piano. Il est plutôt invité à faire l'amour, à suivre le vent dans les arbres ou bien à aller cueillir des fleurs au Jardin du Luxembourg... «Elle était d'un bloc et portée par une autorité inattaquable. Elle avait l'air d'une porte de prison, mais en fait, elle tenait la porte du temple. Avec elle, on plongeait dans un autre temps. Cette relation était merveilleuse, parce qu'elle a su sculpter mon envie de jouer en la retenant. J'ai été comme une grenade dégoupillée. C'était très malin de sa part.»

La musique du silence

Toutes ces méthodes inusitées – que le bouquin relate souvent avec un humour féroce – auront permis à Éric-Emmanuel Schmitt d'entrevoir la lumière sur le cas Chopin. «Elle surgissait tout droit de l'école russe où le maître est un despote. Toutefois, on découvre vite que ce despote est au service de son élève. Ce qui compte, ce n'est pas la forme que prend l'enseignement, c'est le fond, et ce à quoi il vise. À ce titre, elle m'a ouvert les yeux sur Chopin, le compositeur de l'intime.»

«Chez Chopin, il y a un culte de la sonorité, poursuit Éric-Emmanuel Schmitt. Il écrit la musique qu'il entend à la grande différence des autres compositeurs qui écrivent les notes sans trop s'en soucier. Chopin, c'est la musique du silence. C'est véritablement quelqu'un qui atteint la beauté suprême non par la force, mais par la douceur. Du coup, il est devenu un modèle littéraire pour moi.»

Depuis, le mélomane est devenu un écrivain. «Je voulais être musicien, mais je suis un écrivain, précise-t-il. Il y a ce que l'on veut être et ce que l'on est. Comme le dit le poète grec Pindare, "Deviens qui tu es, quand tu l'auras appris". L'aventure musicale m'a fait prendre conscience que j'étais un écrivain et quel écrivain, j'étais, c'est-à-dire ce genre d'écrivain qui va chercher l'intériorité, qui n'essaye pas d'éblouir, mais plutôt de toucher les cœurs.»

Le piano à queue, Madame Pylinska, le compositeur Chopin, autant de figures tutélaires qui n'auraient jamais existé sans la présence de la tante Aimée dont la destinée tragique parsème les chapitres du roman. «C'était une femme qui avait accepté le rôle de la maîtresse parce qu'elle ne pouvait pas avoir d'enfant. Elle ne voulait pas briser le foyer de l'homme qu'elle aimait. Une histoire qui a duré toute son existence. Elle a su protéger sa vie par une mauvaise réputation. Elle préférait qu'on dise du mal d'elle, plutôt que la vérité. Parce qu'on s'aimait beaucoup, avec moi, elle ne m'a jamais caché la vérité.»

À travers les souvenirs parfois torturés de ses personnages, en particulier ceux de la tante Aimée, le livre témoigne d'une autre façon de penser, croit Éric-Emmanuel Schmitt. «Je n'aime pas le discours que l'on tient sur la frustration ou la réalisation de soi. Aujourd'hui, il existe un modèle d'efficacité. Il faut réussir ses amours, sa sexualité. Il faut solliciter le point G en permanence. Tout est sur le modèle de la réussite économique, commerciale, etc. Mais le territoire de l'intime est tellement plus complexe et riche que tout cela! Ma tante Aimée avait fait de la musique cette vibration affective et sentimentale perpétuelle. Dans l'absence de l'autre, il n'y avait pas l'absence de l'amour puisque la musique était là.»

Madame Pylinska et le secret de Chopin – Éric-Emmanuel Schmitt – Éditions Albin Michel – parution avril 2018.

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