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L'audition de Mark Zuckerberg ne changera pas grand-chose à Facebook (et vous y êtes un peu pour quelque chose)

Devant le Congrès, le PDG ne devrait rien annoncer de nouveau. Il faut dire que le fonctionnement même du réseau social induit une certaine inertie.

C'est le grand jour pour Mark Zuckerberg. Ce mardi 10 avril, le PDG de Facebook est auditionné par le Congrès américain. Une deuxième session est prévue le lendemain.

Au programme, le scandale Cambridge Analytica, où une société a utilisé des données personnelles de millions d'utilisateurs sans leur autorisation. Mais aussi l'impact de Facebook sur les élections américaines de 2016 avec les fausses nouvelles et l'influence russe. Et, certainement, des questions plus générales sur l'impact du réseau social sur nos démocraties.

Si cette audition est attendue de pied ferme, les chances qu'elle aboutisse à des changements drastiques sont plus que minces. D'une part, du fait même des conditions de l'interrogatoire. Mais aussi, et surtout, car le système sur lequel repose Facebook ne permet pas de changer en profondeur les règles du jeu. D'autant plus quand celles-ci sont acceptées par les utilisateurs.

Une audition qui a ses défauts

D'abord, il faut bien rappeler que le format même de cette audition, s'il est impressionnant et si Mark Zuckerberg n'est pas habitué à ce genre d'interrogatoire, n'est pas exempt de défauts. Surtout que le jeune milliardaire a embauché une équipe de spécialistes, dont un ancien assistant de George W. Bush, pour se préparer à cet exercice, selon le New York Times.

Même le principal sénateur démocrate du comité qui va interroger le PDG de Facebook, Bill Nelson, estime que rien ne sortira de substantiel. Et c'est en partie dû au déroulé. En effet, si 44 sénateurs vont interroger Mark Zuckerberg, ils n'auront que 4 minutes chacun. C'est peu.

Il faut également rappeler que Facebook, comme tous les géants de la Silicon Valley, Google en tête, fait un intense lobbying à Washington. Le budget du réseau social à ce niveau était de 11 millions de dollars en 2017, en hausse de 32%. Et suite aux récentes casseroles, Facebook a justement prévu d'embaucher 12 nouvelles personnes dédiées au lobbying dans la capitale américaine.

Le pré-témoignage de Mark Zuckerberg parle du passé

Le principal élément permettant de dire que rien ne va changer ces deux prochains jours, c'est peut-être le témoignage de Mark Zuckerberg lui-même. Le verbatim a déjà été rendu public ce mardi 10 avril. Le PDG de Facebook devrait revenir sur Cambridge Analytica et l'interférence russe dans les élections américaines.

Il devrait aussi rappeler plusieurs mesures... qui ont déjà été dévoilées et sont en partie déjà effectives. Elles s'inscrivent dans la même logique que celles prises ces dernières années. D'une part, éviter que des tierces personnes n'utilisent de manière illégale les données collectées. D'autre part, limiter la capacité d'organismes étatiques ou privés à influencer des élections via de fausses informations.

Ces annonces, si elles ne sont pas si neuves, vont dans le bon sens. Mais elles ne changent rien dans le fond à la question centrale, qui se terre derrière les récentes polémiques. Elle est résumée ainsi par Wired:

Comment Facebook pourrait bien éviter les crises à venir quand son principe directeur est et a toujours été de connecter les gens quel qu'en soit le prix, de maximiser le flot de données entre les gens et leurs amis - ainsi qu'entre les publicitaires et les applications? Et si Facebook altère radicalement son ethos - celui qui lui a permis d'atteindre 2,2 milliards d'utilisateurs - peut-il survivre ?

Un principe fondateur accepté par les utilisateurs

Facebook s'est construit sur l'idée de connecter le monde (c'était même son slogan). De permettre au maximum de personnes de partager le maximum de choses avec le maximum d'amis. Ou plutôt de connaissances.

C'est aussi là-dessus que tout son empire économique est fondé. Toutes ces connexions, tous ces likes, tous ces partages, toutes ces interactions sont autant de données récoltées par le réseau social. Le but ultime étant de permettre de générer plus d'argent via des publicités encore plus ciblées.

Comme le rappelle Om Malik, écrivain et journaliste spécialisé sur les nouvelles technologies, en 2017, aux Etats-Unis, le nombre de publicités a augmenté moins vite qu'en 2016. Mais elles coûtent bien plus chères. Car elles sont plus précises.

Alors pourquoi changer les fondations, économiques et idéologiques, sur lesquelles est construit Facebook... surtout quand les utilisateurs acceptent cet état de fait?

Cela, c'est Mark Zuckerberg lui-même qui le dit. Dans une interview donnée le 4 avril, il affirme que si le public peut être "mal à l'aise avec la manière dont les données sont utilisées dans des systèmes comme les publicités", ils veulent également une meilleure expérience utilisateur. Et des publicités qu'ils ont envie de voir.

"Je pense que les commentaires [des utilisateurs] vont massivement dans le sens d'une meilleure expérience. Peut-être est-ce du 95-5", estime le PDG de Facebook.

Au vu du succès phénoménal de Facebook, Google, Instagram, et plus généralement de toutes ces sociétés qui proposent des services gratuits en échange de données personnelles, difficile de démentir Mark Zuckerberg.

Une régulation par la loi, seule porte de sortie ?

Tous ces utilisateurs "sont habitués à une certaine commodité... ils choisissent d'ignorer que cela peut être dangereux", affirme au Guardian Richard Stallman, célèbre programmateur à l'origine du mouvement du logiciel libre et fervent défenseur de la vie privée sur internet.

Pour le chercheur en sécurité et vie privée Lukasz Olejnik, également interrogé par le quotidien britannique, il ne faut pour autant pas rejeter la faute sur le public. Pour lui, la manière même dont les géants de la Silicon Valley proposent d'informer sur la collecte d'informations et leur utilisation, les fameuses CGU (conditions générales d'utilisations) empêche l'utilisateur non spécialiste d'avoir conscience de l'impact de ce qu'ils acceptent en cochant une petite case.

Peut-être que les récentes affaires qui éclaboussent le réseau social vont permettre aux utilisateurs de Facebook de comprendre ce qu'il se passe. Voire faire fuir le public. Peut-être pas. Auquel cas, Facebook n'aurait aucun intérêt à changer son principe même de fonctionnement.

Si les deux auditions de Mark Zuckerberg ne changeront vraisemblablement rien à cela, il n'est pas dit que les Etats ne vont pas finir par encadrer pleinement la manière dont Facebook, Google, Amazon et tous les géants de la Silicon Valley utilisent nos données personnelles.

L'Europe a déjà commencé. En mai, un nouveau et dense règlement encadrant l'utilisation par les entreprises de données personnelles va être appliqué dans l'Union Européenne.

Les entreprises devront mieux gérer la sécurité de celles-ci, mais surtout mieux informer l'utilisateur sur ce qui est collecté et la manière dont ces informations peuvent être utilisées. Un premier exemple qui pourrait refaçonner internet, estime Wired.

Sauf que Mark Zuckerberg a déjà affirmé que les changements rendus nécessaires par la loi européenne ne seront pas obligatoirement élargis au reste du monde. Justement, depuis le scandale Cambridge Analytica et les fausses nouvelles, les parlementaires américains commencent ouvertement à se demander s'il n'est pas nécessaire de réguler Facebook. La petite bataille qui prend la forme ce mardi d'une audition ne donnera rien. Mais la guerre ne fait que commencer.

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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