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«Magtogoek ou le chemin qui marche»: Boucar Diouf nous prête ses lunettes

Notre penseur nous entraîne du coq à l’âne, mais dans une fluidité impeccable.

Boucar Diouf au Monument National

Boucar, humoriste, Boucar, biologiste et océanographe, Boucar, raconteur d'histoires et fabricant d'images. Artiste dont le charisme rend désopilantes les taloches aux climatosceptiques, scientifique capable de raconter poétiquement le fleuve Saint-Laurent entre deux battements de tambour et quelques paroles de Partons la mer est belle ou Il était un petit navire, Boucar Diouf trace son sillon en marge de la communauté des comiques traditionnels et des saveurs du jour télévisuelles.

Un handicap à son rayonnement populaire? Absolument pas, le Monument National affichant complet depuis trois jours en cette période de rentrée montréalaise de son quatrième one man show, Magtogoek ou le chemin qui marche, et des représentations étant prévues partout au Québec au moins jusqu'en août 2019.

Son passage à Tout le monde en parle, soir du dimanche de Pâques, nous a mis l'eau à la bouche et placé haut la barre de nos attentes face à ce spectacle que son créateur décrit comme un «voyage historique sur un flot d'humour et de science». Et dont la prémisse, avouons-le, n'a rien pour émoustiller les amateurs de blagues grasses. Or, ne leur en déplaise, à ceux-là: Boucar Diouf emmène avec lui, sur scène, son intelligence, sa pertinence, sa sensibilité, sa verve. Et nous élève un tantinet, du même mouvement, intellectuellement, humainement et socialement.

Magtogoek ou le chemin qui marche, c'est un collage unique, «à la Boucar», de petits morceaux d'Histoire - avec un grand H - teintés de l'expérience de l'homme, de réflexions badines aux références et clins d'œil bien de chez nous, d'observations scientifico-philosophico-politico-historiques aussi judicieuses que colorées, savamment et énergiquement racontées, avec une interaction sans pareil avec le public.

Palourde royale

Dans cette prestation, titrée du nom accolé par les Algonquins au fleuve Saint-Laurent avant l'arrivée de Jacques Cartier, Boucar part en périple à travers le Québec. Il l'annonce d'entrée de jeu : il est le capitaine, le guide et l'interprète, et l'équipage devant lui ne se fait pas prier pour le suivre dans son exploration du monde. Il se trouve même une «capitoune» dans la salle pour «l'assister», sympathique gag récurrent qui met en relief son côté mutin.

Dans son long monologue, son propre parcours se mélange à celui des découvreurs, il parle d'hier et d'aujourd'hui, des animaux pour illustrer l'immigration ou du dialecte québécois si singulier en son genre pour évoquer nos différences.

Difficile d'extraire un récit plutôt qu'un autre de cette croisière qui avance et vogue doucement comme coule le fleuve lui-même, dans un joli décor de bateau à voiles au sol jonché de caisses et de tonneaux de bois. De cette épopée qui s'arrête à Rimouski, en Gaspésie, à Tadoussac, à Québec, à Trois-Rivières, à Montréal, lieux qui donnent chaque fois un prétexte à Boucar pour distiller sa vision du monde, ses joyeuses taquineries... et les irrésistibles citations de son grand-père, qui reviennent à quelques reprises, mais dont le fier petit-fils n'abuse pas, sachant mesurer son effet.

Notre penseur nous entraîne du coq à l'âne, mais dans une fluidité impeccable, des changements climatiques aux balbutiements du Saint-Laurent, des Premières Nations à la pêche à l'éperlan, des souffrances de Donnacona à une métaphore sur les bêtes et l'adaptation et l'intégration, de l'église à la sexualité. Il appelle au respect de la nature et de l'Autre. «Les immigrants d'aujourd'hui seront les pures laines de demain», amène-t-il à la fin d'une analyse sentie et pleine d'humanité.

Lourd? Non, mais il faut écouter. Boucar requiert notre concentration et fait s'activer nos neurones. Mais on rira. Beaucoup. Parce qu'il est un conteur extraordinaire, parce qu'il nous happe dans son univers avec panache, parce que, le temps d'un peu plus d'une heure trente, il nous prête ses lunettes pour qu'on puisse apprécier un brin de sa compréhension de la vie. Justement, on comprend tout de suite, et on acquiesce.

Et parce que notre verbomoteur possède ce magistral don de dédramatiser: une minute de notion plus sérieuse – cependant jamais aride - est désamorcée par une ligne légère tout à fait inattendue. Il y a un petit peu, dans Magtogoek ou le chemin qui marche, de chansons à répondre grivoises, de pâté chinois (qui représente apparemment l'évolution de l'Amérique!), d'Ani Couni en burkini, de mariage «chocolaté», de turlutes de cabane à sucre et de La Bolduc et même... de Francis Reddy et de palourdes royales. Faut bien se gâter!

Il y a aussi ces petits bouts de chansons que Boucar entonne comme autant d'accompagnements ou d'entrées en matière, portés par une salle trop heureuse de jouer les choristes.

Autrement dit, Boucar s'amuse en travaillant, et on s'amuse avec lui, en se disant qu'on va se coucher (un peu) moins niaiseux quelques heures plus tard.

Boucar Diouf présente Magtogoek ou le chemin qui marche à nouveau ce soir, samedi 7 avril, au Monument National, à Montréal. Il se déplacera ensuite à Québec, St-Georges de Beauce, Terrebonne et Brossard. Toutes les dates de sa tournée se trouvent sur son site web.

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