MEDIAS - Lancée en France en décembre, la chaîne d'information en continu Russia Today (RT) connaît son premier baptême du feu à la faveur de la grave crise diplomatique qui oppose Moscou à Londres et ses alliés Paris, Washington et Berlin. L'occasion pour l'antenne financée par le Kremlin, régulièrement accusée de "désinformation" par ses détracteurs, de donner vie à son slogan: "Osez questionner".
Alors que la couverture de l'élection présidentielle en Russie programmée ce dimanche 18 mars devait mobiliser l'essentiel des efforts de la rédaction, la brusque poussée de fièvre provoquée par les accusations de Theresa May concernant l'empoisonnement sur son territoire d'un ex-agent double a bousculé les programmes de RT. Comme ses consœurs 100% françaises, la chaîne d'information a accordé une très large place aux rebondissements de ce feuilleton digne de la Guerre froide, relayant factuellement les accusations des puissances occidentales tout en réservant une large place aux ripostes de la diplomatie russe.
"Johnson va jusqu'à accuser Poutine", "Hystérie collective"... Titres sarcastiques et choix d'intervenants attestent de la ligne éditoriale assumée du média: livrer le point de vue de la Russie de Vladimir Poutine sur l'actualité internationale en appuyant sur les zones d'ombre de la crise. Principales thèses développées par ses invités: Quid de la présomption d'innocence en l'absence de preuves matérielles? Pourquoi Vladimir Poutine et les services secrets russes auraient-ils pris le risque d'utiliser un poison portant leur signature? Et ce à quelques jours d'une élection présidentielle gagnée d'avance?
Contre-discours et contre-programmation
Depuis le début de la crise, "RT assume un contre-discours systématique qui, sous une forme factuelle et neutre propre aux chaînes d'info en continu, consiste à marteler qu'il n'y a pas de preuves", relève le chercheur et journaliste indépendant Romain Mielcarek. Avant d'ajouter: "RT oublie de préciser que dans ce genre de batailles de renseignements, les preuves ne sont jamais mises sur la table".
Idem pour le choix de ses experts en plateau qui, tout en donnant des gages de sérieux scientifique, "livrent un discours unanime visant à accréditer la ligne de défense russe sans jamais envisager le sérieux des accusations britanniques".
Alors que la Commission européenne a accusé la Russie en janvier de mener une "campagne de désinformation pro-Kremlin [...] dans le plus grand nombre de langues possible, à travers le plus grand nombre de canaux possible, aussi souvent que possible", cette logique de contre-programmation reste en phase avec la ligne revendiquée par RT.
Lors de son installation en France, sa présidente Xenia Fedorova vantait un média qui "donne de la place à des opinions différentes" dans une guerre d'influence mondiale de l'information. De ce point de vue, c'est réussi, RT offrant ainsi une grille de lecture critique des accusations des dirigeants occidentaux, sans jamais questionner celle du Kremlin. "Il s'agit du travail éditorial d'un média d'influence et d'information en continu. Ce faisant, RT remplit sa fonction première qui est de semer le doute dans l'opinion sur la sincérité des accusations du camp occidental", analyse Romain Mielcarek, tout en pointant le fait que les chaînes d'information françaises tendent de leur côté à privilégier le point de vue des autorités occidentales.
Russia Today UK prise pour cible
Cet exercice de contre-information de RT est autrement plus délicat pour sa grande soeur installée de l'autre côté de la Manche. Déjà dans le collimateur du régulateur de l'audiovisuel (Ofcom) qui a émis 14 mises en demeure contre elle et l'a menacée de sanction pour des sujets notamment sur la Syrie et l'Ukraine, Russia Today UK s'est retrouvée plongée au coeur de la crise diplomatique entre Moscou et Londres.
Assumant une ligne éditoriale encore plus offensive que son homologue française, RT UK a très largement relayé les moqueries visant les accusations du gouvernement britannique tout en insistant sur les réticences du chef de l'opposition travailliste Jeremy Corbyn face à ces accusations.
Le ton est singulièrement monté lorsqu'a resurgi la menace d'une interdiction de Russia Today en guise de représailles à l'affaire Skripal. Menaces rendues plausibles par la position de l'Ofcom qui s'est dite prête à réétudier l'autorisation d'émettre accordée à la chaîne RT. Ce à quoi la porte-parole du ministère des Affaires étrangères russe a répliqué qu'"aucun média britannique" ne serait autorisé à travailler en Russie si RT était bannie du Royaume-Uni.
Un principe de réciprocité devenu la règle en Russie. Aux Etats-Unis, les autorités ont forcé la chaîne à s'enregistrer comme "agent de l'étranger", entraînant une riposte immédiate de la Russie qui a enregistré en tant qu'"agents de l'étranger" des radios financées par le Congrès américain. En France, RT, qui dispose d'un comité éthique, a signé dès 2015 avec le CSA une convention qui lui impose des engagements renforcés en matière "d'honnêteté et d'indépendance de l'information".
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