Lundi 5 février, cinq heures du matin, Paris s'éveille?
Il fait froid. Il neige même. Depuis plus d'une semaine je ne dors plus. Le mois dernier j'étais fou d'excitation: mon agent me proposait de passer des essais pour le prochain film de Ron Howard. Je trouvais les scènes particulièrement bien écrites et le sujet consistant. C'était la première fois que j'allais à un casting avec autant d'entrain, en ayant vraiment travaillé mon rôle et avec l'impression d'avoir quelque chose à défendre.
Mais je n'ai pas été retenu. Déçu je m'enfonçais alors dans une solitude chaotique, j'engloutissais bonbons et réseaux sociaux, de clics en clics je rythmais mon abattement, inlassablement morose, jusqu'à ce qu'enfin j'atterrisse sur le lien kickstarter de "Paris est une fête".
Après m'être saoulé de tonnes d'informations comme le retour de Timberlake en plan séquence, les pots de nutella à moins de 70%, les babouins échappés du zoo ou les punchlines pathétiques de Jawad, je suis "bienencontreusement" tombé sur la vidéo du départ en post-production du film de ce collectif qui serait parvenu à réaliser un long métrage sans budget ni production pouvant prétendre à une sortie en salles.
J'étais à la fois admiratif, émerveillé et ému de voir ce fait d'arme indépendant à l'heure où les "films Guerilla" des années 2010 ("Donoma", "Rengaine") ne sont plus que des vestiges. Les boîtes de prods, trop attachées à leur Pandore, étant parvenues à créer une loi empêchant tout film à micro budget de sortir, donc d'être vu et de générer le moindre argent.
Parce que faire du cinéma sans moyens est aussi un business-plan brillantissime
Disons que tu t'appelles Rachid, et que tu viens de nulle part. Aucun contact dans la profession; tu fais ton film avec tes potes. Tu réalises ton long métrage à l'arrache, mais avec beaucoup de joie. Puis tu le montes, avec pas mal de douleur. Mais c'est ton film. Arriver jusque-là par la force de tes tripes est une douleur joyeuse.
Tu le sors en salle et il ne t'a quasi rien couté. Le public l'aime et tu fais 1 million d'entrées. Tu te retrouves alors avec une jurisprudence aussi invraisemblable que le TACLE de Tony Chapron en mode Tyson année 86 vs Berbick, qu'elle lui risquerait un K.O technique. ...Faire du cinéma sans moyens est un business-plan brillantissime qui dérange.
Car comment expliquer les salaires exorbitants de certains pontes de l'enclos? Comment expliquer que les 14 millions d'euros de budget d'un film en 2016 ne puisse générer que 99.263 entrées? Quand un film fait en HDV avec 200.000 dollars attire seulement moitié moins d'entrées et affiche un bénéfice au box office plus que quadruplé?
Oui, comment faire cet impressionnant constat sans appeler aucune remise en question?
Pourquoi, au lieu de célébrer l'arrivée de ce nouveau souffle, le cinéma français travaille-t-il à l'étouffer?
En fait je ne peux plus voir le cinéma français car j'en ai marre de ne pas me voir. N'y a-t-il pas d'histoires nouvelles à raconter et d'histoires à raconter de nouvelles manières?
On m'a toujours dit que le cinéma français était un cinéma d'urgence, de pensée, de proposition, un cinéma en opposition frontale avec le cinéma américain des blockbusters, ceux-là que décriait si bien Cassavetes, qui préférait encourager à la prise de risque, à l'audace, au panache.
C'est avec cet esprit de résistance et de révolution, propre à tout bon Gaulois quand ses libertés se sentent menacées, que j'entrepris en 2010 de faire un film pour tenter de parler du monde, et au monde, de ma vision. L'arrivée du 5D de Canon avait permis à mes rêves éveillés de trouver une réalité technique surmontable.
J'ai alors pris ma cam HD, mon mac et mes disques durs dans un sac à dos et je suis parti à travers champs et contre-champs regarder le monde. S'en suivirent quatre années mémorables durant lesquelles je n'étais que cinéma et où nombre de mes amis m'ont cru mort et disparu. Les trois années suivantes j'étais vidé; je n'avais eu idée de combien raconter son histoire était exigeant, combien cela pouvait vous abandonner à une faillite émotionnelle si éprouvante.
A une époque j'étais fasciné par les femmes artistes dans le cinéma. J'admirais Claire Denis, ou encore Caroline Champetier. Après une projection à la cinémathèque celle-ci m'avait entendu me plaindre comme un gamin capricieux du fait que le cinéma n'était qu'une affaire de caste. Elle m'avait repris à la négative, me disant qu'il ne s'agissait pas d'une histoire de caste MAIS de FAMILLE. Finissant, avec son ton à la fois doux et implacable, par "TROUVE TA FAMILLE!"
"TROUVE TA FAMILLE!"
Après avoir tourné puis monté mon film j'ai réalisé que je n'avais pas la force ni les épaules de sortir mon film et de le faire exister par moi seul. Ce qui était ma force avait fini par avoir eu raison de moi. J'ai longtemps repensé à cette citation symptomatique de mon expérience artistique. Et bien pour la première fois de ma vie, même si je ne connais pas ces "idiots", j'ai le sentiment d'appartenir à une famille et de ne plus être tout seul.
C'est donc dans ce contexte que je me suis senti revivre il y a une semaine en tombant sur le visage et le discours habité de Noémie Schmidt racontant le chemin parcouru par l'équipe du film pour parvenir à raconter leur histoire. Et c'est pourquoi l'idée qu'un tel film, tourné avec moins de 5000 euros, puisse être produit, distribué et sorti en salle, ravive en moi la croyance en ma propre légitimité.
Mon film c'est l'histoire d'un homme, qui rencontre une femme, qui finit par la voir et l'écouter.
Et c'est aussi peut-être un film qui en 2018 mérite d'exister.
Dans l'espoir qu'un jour moi aussi on m'écoute,
J'espère le plus grand des succès à ce projet afin que Paris et le cinéma français soient encore une fête!
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