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Fred Pellerin, conteur populaire

Un seul tweet lui a suffi pour remplir les salles de son nouveau spectacle.
Paméla Lajeunesse

Un simple tweet. C'est tout ce qu'il aura fallu à Fred Pellerin pour remplir ses salles en quasi totalité, plus d'un an à l'avance. Le conteur-vedette n'a eu besoin d'aucune campagne de promotion massive pour annoncer la mise en branle de son sixième spectacle de conte, Un village en trois dés : un court message sur Twitter a suffi, et les gens ont répondu à l'appel en masse.

Allez faire un tour sur son site web. C'en est presque frustrant pour quiconque voudrait aller l'applaudir rapidement: son calendrier affiche «complet» dans à peu près toutes les villes.

La série de supplémentaires montréalaises qu'il complète ce soir, au Théâtre Maisonneuve? Complet. Ses passages prochains à Joliette, Drummondville, Saint-Jean-sur-Richelieu, Sainte-Thérèse, Québec et Brossard? Complet. Il effectuera une escale en Europe au début avril, puis reprendra la route devant des salles combles jusqu'à la mi-juin. La majorité de ses représentations de l'automne sont pleines également. Dans la métropole, il faudra patienter jusqu'en février 2019 pour le voir repasser à la Place des Arts. Grâce au ciel, des billets sont encore disponibles pour ce prochain séjour, mais vous avez probablement compris le message : si la perspective de ce Village en trois dés vous intéresse le moindrement, soyez rapides sur le clavier ou le téléphone.

Le 30 novembre 2016, des gens qui venaient d'acheter leur billet dans la foulée de l'annonce ont même eu la surprise de se faire retourner à l'entrée du Théâtre Maisonneuve : alors qu'ils croyaient arrivé le grand soir de leur tête-à-tête avec Fred Pellerin, on leur a fait remarquer que leur laissez-passer était plutôt daté du 30 novembre... 2017. C'est en effet il y a trois mois que le verbomoteur à l'imagination débridé a officiellement entamé sa tournée devant collègues, amis et médias, et il est parti sur cette lancée pour au moins trois ans.

«C'est jam packed, confirme Fred Pellerin. Tout le temps. Moi, ça me dépasse... Je n'ai jamais rêvé à ça. Ce n'est pas ça que je voulais faire, dans la vie. On est au-delà de ça. Je capote. À chaque show, je me dis qu'on va avoir atteint un plateau, mais le spectacle actuel est encore sold out, je ne sais pas jusqu'à quand. Les salles sont toujours pleines, un an d'avance.»

«Les laisser choisir»

On s'est remémoré l'instant à Tout le monde en parle, avant les Fêtes : Fred Pellerin s'est assis pour une première fois à la table de Guy A.Lepage, en 2005, et c'est là que ç'a fait boum.

Jusque-là, l'ambassadeur de Saint-Élie-de-Caxton menait déjà tambour battant une carrière honorable: il avait trois spectacles derrière la cravate, Dans mon village, il y a belle lurette... (2001), Il faut prendre le taureau par les contes! (2003) et Comme une odeur de muscles (2005). Il se produisait en région, dans les maisons de la culture et des cafés-théâtres, où toutes les chaises étaient occupées. Et il avait un pied posé dans le territoire médiatique avec des chroniques régulières à Indicatif présent, à la radio, et à La poudre d'escampette, à Télé-Québec.

«Mon affaire allait déjà très bien, mais pas à ce niveau-là, précise l'homme. Je ne remplissais pas des salles de 2000 sièges. Après Tout le monde en parle, il y a eu un point de bascule. Il s'est passé quelque chose.»

Tant et si bien qu'à son arrêt suivant au Petit Champlain, à Québec, on profitait des entractes pour mettre en vente des billets pour ses prochaines prestations... qui s'écoulaient aussitôt. Le signal était donné pour prendre d'assaut de plus grandes enceintes. Depuis, il le souligne avec la simplicité et l'humilité qui lui sont propres : il a toujours raconté ses histoires devant des gradins chargés à pleine capacité.

«Beaucoup de monde prétendent m'avoir découvert à mon premier spectacle, avec Tout le monde en parle, mais j'étais rendu au troisième! Avant, je remplissais quand même mes petites salles...»

En France, bien qu'il fréquentait les festivals de contes depuis 2000, sa notoriété a grandi en 2009, avec sa première incursion au mythique Théâtre du Rond Point, à Paris. Parce que plusieurs «théâtreux» et diffuseurs régionaux s'y sont intéressés, note-t-il. 2013 a aussi été une année cruciale, là-bas, grâce à un crochet d'un mois par le prestigieux Atelier, qui lui a offert une grande visibilité.

Au fil des ans, à travers ses légendes de Saint-Élie se sont profilés de merveilleux projets, dont Pellerin n'aurait jamais osé rêver et dont il parle, encore aujourd'hui, avec les yeux brillants d'un petit garçon. Une «série de hasards», jure-t-il.

Le réalisateur Francis Legault les a convoqués, Gilles Vigneault et lui, à une conversation à L'autre midi à la table d'à côté, une «émission hallucinante, spécifie-t-il, une estie de belle rencontre». Les deux poètes ont par la suite chanté ensemble, Pellerin a rendu hommage à Vigneault au Gala de l'ADISQ en 2011, et tous deux ont participé au documentaire Le goût d'un pays, de Francis Legault, il y a deux ans.

«Avec lui, ça coule, c'est heureux, joyeux, on se respecte beaucoup. Ç'a été une rencontre immense», insiste Fred Pellerin à propos du monument de Natashquan.

Autre cadeau, les invitations de l'Orchestre symphonique de Montréal et son chef, Kent Nagano. En ont résulté trois collaborations, Une tuque en mousse de nombril, Le Bossu symphonique et Il est né le divin enfin! Un rendez-vous qui sera renouvelé en 2018.

«Je suis tellement fier de ce mariage avec l'OSM. Hostie que je suis content de ça», pavoise encore Pellerin.

«Radio-Canada capte ça, c'est de la musique classique, et c'est hallucinant, les cotes d'écoute qu'ils font avec ça...»

Et il y a eu les films tirés de ses récits et personnages «Saint-Éliesques» réalisés par Luc Picard, Babine (2008) et Ésimésac (2012). La co-scénarisation du long-métrage Pieds nus dans l'aube avec Francis Leclerc, avec lequel il planche maintenant à adapter son conte L'arracheuse de temps pour le grand écran. Les nombreux clins d'œil avec Céline Dion. Les spectacles sur les plaines d'Abraham.

«C'est une somme de hasards, de rencontres. Je suis souvent dans la position de dire oui, et j'ai cette tendance à le faire, à y aller. Tout ça est vraiment en crescendo», résume Fred Pellerin, qui s'émerveille encore et toujours de ces opportunités inespérées.

Survenues, répétons-le, sans surexposition médiatique, sans omniprésence à la télévision, sans la moindre confidence sur sa vie privée et sa famille de trois enfants. De ceux-ci, on ignore jusqu'à leur prénom et leur âge. Il consentira à révéler que sa progéniture trouve parfois longuettes les virées dans les lieux publics, lorsque papa se fait arrêter à gauche et à droite pour des brins de jasette impromptues, mais ça sera tout.

«J'ai ce privilège, de pouvoir faire plein d'affaires. Moi, je n'ai pas rêvé de ça. Même au début, je n'ai pas fait de compromis. Je ménage les coups», observe-t-il.

«Tu remarqueras que j'essaie de ne pas «écoeurer» le monde. Dans ta télé, ce n'est pas moi que tu vois le plus. Les pubs avec ma face dedans, tu ne vois pas ça bien, bien. Pour moi, c'est une forme de respect envers le public. Et je pense qu'au final, ça doit servir, dans la durée. Ça fait 17 ans que je suis sur les routes, sur les scènes, et ça va super bien.»

«Le meilleur exemple, c'est avec les albums», poursuit celui qui a chanté sur quatre disques, Silence, C'est un monde et Plus tard qu'on pense, en plus de l'opus en duo avec son frère, Nicolas Pellerin.

«On a vendu des centaines de milliers de disques, sans tournée, sans jouer dans les radios, sans ces affaires-là. Tu finis par te dire que, les gens, c'est peut-être bon de les laisser tranquilles. De les laisser choisir. Je ne sais pas. Quand on sort un album, on fait la promo qu'il faut, on fait deux jours d'entrevues : les gens sont au courant et, s'ils veulent l'écouter, ils iront l'acheter. On n'est pas obligés de leur rentrer dans la gorge. Ça, ce sont des choix qu'on fait. Je n'ai pas l'impression d'écoeurer le monde...»

Bienfaisante collectivité

Le HuffPost Québec a eu la chance de constater le travail d'orfèvre accompli par Fred Pellerin dans son dernier cru, Un village en trois dés, mercredi dernier, soir de la Saint-Valentin, au Théâtre Maisonneuve.

Le tricoteur de fables s'y dévoile fidèle à lui-même, autant conteur qu'humoriste, spontané et authentique, dans une trame évoquant rien de moins que la naissance de Saint-Élie-de-Caxton, agrémentée de quelques chansons.

Lors de notre présence, le créateur a même exhibé une pièce musicale inédite au rappel, une adorable ritournelle d'amour inévitablement vouée au succès.

Fred Pellerin, «Un village en trois dés»

Un village en trois dés est un autre petit bijou typique de Fred Pellerin, une courtepointe d'images remplie d'humour et d'émotion, où se croisent quantité de figures déjà connues du monde de Pellerin, Méo le barbier, Toussaint Brodeur du magasin général, le forgeron et sa fille Lurette, mais aussi des nouveaux venus, comme le premier curé de la paroisse, la première postière du village, Alice, et le gros Charles, un itinérant fascinateur qui, avec sa propagation de la magie, amène un questionnement sur le principe de la foi, horizontale, verticale ou, pourquoi pas, diagonale.

«C'est un peu un flashback dans l'histoire du village, indique Fred Pellerin. On retourne aux sources, à l'origine de tout ça. Dans la vraie vie, il y a un gros mystère qui plane sur la naissance de Saint-Élie-de-Caxton ; on sait que le village est officiellement apparu le 12 avril 1865, mais il y a beaucoup de trucs qu'on a perdus. Il y a des indices qui permettent de déduire certaines choses, mais il manque beaucoup d'affaires. C'est un terreau très fertile pour un gars comme moi, parce que je peux en inventer des grands bouts, entre les petits points qu'on a! Je peux faire de belles boucles!»

Et un joli prétexte pour aborder une notion chère à son cœur, la «chose collective». Qui s'éloigne, affirme-t-il, des «16 000 amis» qu'on flatte via les réseaux virtuels, mais qui ne nous empêchent pas de souper seuls, le soir venu. Et qui se rapproche des mouvements d'union qui font la force, à la #MoiAussi.

«À partir de quand, un truc collectif existe, s'installe, peut être reconnu? Aujourd'hui, on ne peut plus créer des villages, mais on peut utiliser cette image de la création d'un village, pour se demander si on appartient à un regroupement collectif, si on sent qu'on fait partie d'une marche, si on emboîte le pas à d'autres personnes. Dans des cours, des manifs, comment on s'inscrit dans une chose collective? Et comment, à quel moment, des personnes détachées, s'embarquent ensemble sur une chose qu'elles partagent? La question du spectacle est là.»

«Je pense que le nombre fait sens. Le nombre donne du sens. Ce n'est pas parce que tout le monde le fait que c'est bien, mais le geste individuel trouve bien du sens quand il s'accorde au geste collectif.»

«Mais je ne le dis jamais. Le public part avec la gomme, et il chiquera chez lui! Ce show-là, c'est une hypothèse...», complète Fred Pellerin.

On s'étonne d'apprendre que ce magicien des mots n'écrit pas une ligne des tirades qu'il livre sur les planches, sauf lorsque vient le moment de rédiger les livres-disques qui en sont dérivés. Un village en trois dés, il y a songé une dizaine de mois avant d'aller en balancer le contenu d'abord en France, ensuite en Abitibi, puis officiellement en tournée. Pour situer sa narration, il la divise en blocs, s'y appose des points de repère, mais le reste n'est qu'improvisation.

«Je n'écris pas. Je fabule une histoire, je l'essaie devant un petit public, je reviens, je la taponne, je réessaie, je la re-taponne... Mais ce n'est pas écrit.»

L'art du conte

Même s'il slalome entre les mille entreprises énoncées plus haut, disques, spectacles de toutes sortes, bouquins, Fred Pellerin accordera toujours son cœur au conte d'abord. Au reste ensuite.

«La chanson, c'était calculé comme une parenthèse. Je vais continuer à faire des albums et, peut-être, un jour, une autre tournée de chansons, mais en ce moment, je n'en suis vraiment pas là. Mon grand plaisir et mon terrain de jeu, c'est vraiment le conte. C'est là que j'ai le plus de fun, que j'explose le plus dans le trip créatif...»

L'art du conte, jauge-t-il, s'apparente un brin à l'artisanat et demeure un parent pauvre de la culture québécoise. Il n'en est toutefois pas moins foisonnant pour autant.

«La force des conteurs, c'est d'avoir chacun sa proposition, son univers. Si tu vas voir Michel Faubert, tu n'as pas la même affaire que si tu vas voir Jocelyn Bérubé. C'est deux conteurs, mais c'est bien différent. Même chose avec Simon Gauthier, Alain Lamontagne, Renée Robitaille... Ils ont tous un vocabulaire, une proposition, un rythme très différents.»

«Moi, quand j'ai réussi à entrer dans les salles de spectacles établies, je me disais : c'est cool, parce qu'on va réussir à entrouvrir la porte et, dans la craque de la porte, il va passer plein de conteurs. C'est arrivé à certaines places, mais sinon, ce qui a pu arriver, c'est que les gens ont cru que le conte, c'est ce que moi, je fais. Alors que c'est beaucoup plus vaste que ça. C'est à double tranchant. Il y a encore des conteurs qui se font demander s'ils sont capables de faire comme Fred...»

Et pourtant, clame-t-il. Car, de par son œuvre, le conteur jouit d'un pouvoir unique.

«On dirait que le fait que le conte puisse vivre dans le sous-sol chez quelqu'un, sans micro, sans lumière, ça lui donne une puissance hallucinante. Débarquer dans le sous-sol chez ma mère avec une production du TNM, ce serait légèrement compliqué. Mais le conte, ça lui donne une liberté et, en même temps, il finit par garder cette connotation artisanale. Ç'a du bon et du mauvais», laisse tomber Fred Pellerin.

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