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Hochelaga, je t’aime. Mais tu m’étouffes.

Une personne née dans Hochelaga-Maisonneuve vivra en moyenne huit à dix ans de moins qu’une autre née à Outremont. Pourquoi?

Au Vieux-Port de Montréal, chaque été, des milliers de touristes s'entassent des heures à l'avance les mercredis et les samedis pour le spectacle des feux d'artifice de La Ronde présenté au parc Jean-Drapeau.

Les plus motivés apporteront un picnic qu'ils mangeront sur l'herbe. D'autres, plus fortunés, iront boire du champagne sur les terrasses des restaurants du coin, qui peuvent charger des frais supplémentaires juste pour assister à la prestation pyrotechnique d'une vingtaine de minutes environ.

Mais à quelques kilomètres de là, lorsque le vent souffle dans la direction nord-est, c'est un tout autre spectacle qui s'offre aux habitants du secteur Hochelaga-Maisonneuve.

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La poussière et les détritus qui flottent dans l'air leur rappellent tristement que ce sont les citoyens plus à l'est de l'île qui paient le prix de l'étouffant spectacle qui séduit Montréalais et touristes depuis plus de 30 ans. Un problème qui s'additionne aux autres éléments délétères que sont les logements insalubres, la présence de moisissure dans les écoles et la pollution automobile dûe à la congestion routière.

Hochelaga-Maisonneuve est un quartier défavorisé à Montréal. Autrefois peuplé d'ouvriers, le secteur s'est appauvri à la suite du départ de nombreuses usines après la crise économique de 1929 et la Seconde Guerre mondiale pour laisser place aux problèmes de toxicomanie, de prostitution et de décrochage scolaire.

Il n'en reste pas moins que le secteur change de visage depuis les dernières années. Il est maintenant prisé par les étudiants, les jeunes professionnels et les familles en quête de logements plus abordables qu'ailleurs. La multiplications de condominiums et l'émergence de nouveaux commerces témoignent de l'embourgeoisement du coin, d'où l'appellation HoMa - une référence à SoHo à New York.

Encore aujourd'hui, le visage de Hochelaga est majoritairement blanc, francophone et se situe financièrement autour du seuil de faible revenu. Une personne née dans le secteur vivra en moyenne huit à dix ans de moins qu'une autre née à Outremont, un secteur plus riche au centre de l'île.

Des statistiques du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l'Est-de-l'île-de-Montréal démontrent que les résidents dans l'est sont plus nombreux à souffrir d'asthme et de maladies chroniques et qu'il y a plus de nouveaux cas de cancer qu'ailleurs dans la ville.

Bien que la qualité de l'air soit généralement bonne à Montréal, de multiples facteurs démontrent que les habitants du secteur n'ont pas toujours la chance de prendre une bonne bouffée d'air frais dans leur coin. État des lieux.

« Je n'aurais pas les moyens de déménager ailleurs »

Thierry Bruyère-L'Abbé, un ancien participant de l'émission La Voix, a lancé son premier album cette année. Mais lorsqu'il quitte la scène et rentre dans son appartement sur le boulevard Pie-IX, il est accueilli par les purificateurs d'air.

Asthmatique depuis la naissance, l'artiste admet que sa condition s'est empirée depuis qu'il a emménagé dans le secteur, il y a environ six ans. « J'ai habité à Villeray et à Hochelaga. Je dirais qu'à Villeray, je n'ai pas eu de problèmes, puis à Hochelaga, j'en ai un peu plus, particulièrement les journées de smog. »

« Quand je vais chez mes parents à Longueuil, règle générale, j'ai assez l'impression que je me sens mieux », décrit-il.

Vanessa Huppé-Hart a habité dans le quartier Centre-Sud pendant sept ans, puis est partie travailler à l'étranger. À son retour, son conjoint de l'époque et elle sont allés voir plus à l'est pour trouver un logement qui correspondait à leurs goûts et à leur portefeuille.

« On ne trouvait rien qu'on trouvait abordable dans Centre-Sud et de la grandeur qu'on voulait, explique-t-elle. On est tombés en amour avec le quartier. »

Oui, il y a des enjeux sociaux, des enjeux de pauvreté, mais il y a aussi des enjeux atmosphériques.Pierre Lessard-Blais, maire d'arrondissement

Or, elle dit avoir développé une « nouvelle forme d'allergie respiratoire » depuis qu'elle y est. Elle soupçonne que le pollen pourrait en être la cause, sans en être certaine. « C'est sûr que ça ne doit pas aider, les conditions atmosphériques de pollution montréalaises. Parce que je n'avais pas ça avant. Ça empire d'année en année. »

Dr Ronald Olivenstein, directeur de l'Institut thoracique de Montréal au Centre universitaire de santé McGill, explique que des facteurs irritants comme les gaz qui se trouvent dans la pollution peuvent irriter les revêtements des voies bronchiques et créer une inflammation chez les personnes qui ont des problèmes respiratoires.

« On sait que l'asthme est moins bien contrôlée chez des gens qui vivent dans des milieux où la pollution aérienne est plus élevée de façon chronique. Lors des journées de smog importantes, n'importe qui faisant de l'asthme ou de l'emphysème devient beaucoup plus susceptible [de faire une crise]. »

Pierre Lessard-Blais, le nouveau maire d'arrondissement de l'administration de Valérie Plante, dit qu'il n'est « pas surpris » d'entendre certains de ses concitoyens asthmatiques dire que leur qualité de vie a diminué depuis leur arrivée dans le secteur.

« Oui, il y a des enjeux sociaux, des enjeux de pauvreté, mais il y a aussi des enjeux atmosphériques. Et ça, ça nous encourage à agir avec vigueur, surtout au niveau de l'arrondissement », plaide le maire d'arrondissement de Projet Montréal fraîchement élu.

De son côté, Thierry Bruyère-L'Abbé admet qu'il commence à réfléchir à déménager ailleurs. Mais « des raisons rationnelles et logiques » l'en empêchent. « En fait, je sais que je n'aurais pas les moyens de déménager ailleurs. »

La Ville de Montréal précise cependant que la qualité de l'air n'est pas moins bonne dans le secteur. Selon les données du Réseau de surveillance de la qualité de l'air de la ville, elle est pratiquement identique à ce qui est enregistré ailleurs sur l'île. Il n'en reste pas moins que plusieurs facteurs socio-économiques ne sont pas à négliger.

« Il y a des maisons qui shakent »

L'arrondissement est entouré de la rue Notre-Dame au sud, du pont Jacques-Cartier à l'ouest, de la sortie du tunnel Hippolyte-Lafontaine à l'est – des artères routières souvent congestionnées à l'heure de pointe par les automobilistes qui arrivent des banlieues.

Pour les habitants du coin qui vivent près de la rue Notre-Dame, qui longe le fleuve Saint-Laurent, la situation est « problématique » en termes de poussière, mais aussi de bruit, admet le maire Pierre Lessard-Blais.

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« Le bruit des camions sur la rue Notre-Dame, c'est infernal, décrit Carole Poirier, députée du Parti québécois pour la circonscription Hochelaga-Maisonneuve. Il y a des maisons qui shakent, et ça cause un stress aux gens. »

« À un moment donné, on finit par ne plus entendre (le bruit). Mais c'est comme rendu dans ton système. »

Le projet de modernisation de Notre-Dame – qui devait transformer cette artère congestionnée en lien routier moderne – a été présenté pour la première fois en mars 2001. Près de 17 ans plus tard, « on n'a pas encore vu l'ébauche d'un plan », dénonce Mme Poirier.

« Il n'y a toujours rien qui est décidé entre la ville et le ministère des Transports du Québec. Ils s'obstinent sur des coûts, sur des tracés. Pendant ce temps-là, les camions continuent d'utiliser la rue Notre-Dame aux dépens des gens de Hochelaga-Maisonneuve », s'indigne-t-elle.

La pollution automobile ne s'arrête pas là. Lorsque l'artère est engorgée, bon nombre d'automobilistes décident de passer par les rues résidentielles – comme Sainte-Catherine, Lafontaine ou Adam – pour gagner du temps.

« Toutes les zones qui sont proches des grandes voies routières sont affectées encore plus par la pollution immédiate des grandes voies routières, c'est certain, acquiesce le maire Pierre Lessard-Blais. On n'a pas besoin, en plus, d'avoir des gens qui ne font que passer à travers nos quartiers pour sauver cinq minutes sur leur trajet. On veut décourager ces comportements-là. »

Le maire n'en veut cependant pas à ces Montréalais qui choisissent de prendre leur voiture parce que leur quartier est mal desservi par les transports en commun.

« J'ai des concitoyens dans Tétreaultville (à l'est de l'arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve) qui se font un devoir de prendre l'autobus pour aller travailler au centre-ville, mais un aller simple prend une heure ou plus, alors que la voie est très directe pour se rendre au centre-ville », décrit-il.

L'administration de la nouvelle mairesse de Montréal, Valérie Plante, a confirmé l'achat de 300 autobus hybrides d'ici 2020, augmentant de 15% l'offre du service d'autobus dans la métropole.

À court terme, le maire Lessard-Blais veut ajouter des saillies d'arbres près des grandes artères, comme la rue Notre-Dame, afin de bloquer la poussière et le bruit. Sans oublier de prendre soin des arbres et des parcs qui existent déjà.

Le cas de l'école Baril

Dr Gilles Julien a mis sur pied une vingtaine de centres de pédiatrie sociale au Québec, qui combinent les soins médicaux et sociaux. Mais c'est à Hochelaga-Maisonneuve qu'il a commencé sa pratique et qu'il a choisi d'établir sa fondation.

Il y a quelques années, Dr Julien se rappelle d'avoir vu des enfants d'âge scolaire avec « des problèmes respiratoires complexes » : de l'asthme, mais aussi des saignements de nez, des toux chroniques et des problèmes de sinus.

La cause? Les écoles du quartier qui étaient infestées de moisissures. L'école Baril – le cas le plus médiatisé, à deux pas de la fondation du Dr Julien – a été contaminée au point où l'édifice était irrécupérable. Elle a été fermée en 2011, après avoir rendu des centaines d'élèves malades.

« On était loin de se douter que les écoles étaient devenues toxiques par négligence, se rappelle le médecin. Ça, ce sont des enfants qui passaient six, sept heures par jour dans des milieux toxiques, qui étaient malades chroniques. »

« C'était dramatique. La moitié du personnel était malade. C'est comme ça [que les autorités] ont commencé à réagir : quand les adultes se sont mis à être malades, mais les enfants étaient déjà malades avec des problèmes respiratoires complexes. »

Une fois l'école Baril fermée, les enfants ont été relocalisés dans d'autres quartiers, parfois dans des lieux difficiles d'accès pour les parents obligés de se déplacer en transport en commun. Pendant ce temps, les rénovations ont commencé.

« Quand on a ouvert les murs, on s'est aperçu que la moisissure était partout. On s'aperçoit que l'école est vraiment très insalubre », décrit la députée Carole Poirier.

Pour elle, il n'y avait pas de question : il fallait démolir le bâtiment centenaire, malgré son statut patrimonial, pour le bien-être des enfants. L'école Baril a finalement été démolie en 2015, après des années de tergiversations, puis reconstruite.

Après six ans d'attente, la nouvelle école Baril a rouvert ses portes à l'an dernier et a pu accueillir ses premiers élèves dès le mois de septembre. Le bâtiment, construit au coût de 19 millions $, est considéré comme un bijou d'architecture.

baril.csdm.ca

Jusqu'à maintenant, pas de problèmes de santé à signaler de la part des élèves, mis à part les grippes saisonnières régulières, décrit Dr Julien. Mais d'autres écoles primaires – l'École Saint-Nom-de-Jésus et l'École Hochelaga – sont toujours fermées dans le secteur.

Des logements mal entretenus

Dr Ronald Olivenstein, directeur de l'Institut thoracique de Montréal, raconte qu'il a dû relocaliser une de ses patientes enceintes vivant dans un HLM dans l'est de la ville pour le bien de son enfant à naître.

La dame, dans la mi-trentaine, était atteinte d'asthme « très sévère » et devait dormir à l'aide d'une machine CPAP, un type de masque qu'on porte sur le visage pendant la nuit pour essayer de traiter l'apnée du sommeil et les blocages au niveau respiratoire.

« Il y a une coquerelle qui s'est infiltrée dans son appareil, décrit-il. Elle n'a pas pu l'utiliser. Son asthme est devenue débalancée, peut-être en partie à cause de ça, peut-être parce qu'elle était allergique aux coquerelles aussi. Alors c'est un effet boule de neige. Il a fallu la sortir de ce milieu. »

À force de les visiter, Dr Julien reconnaît que les logements mal isolés, mal chauffés et pleins de moisissures font partie des « stress toxiques » qui affectent l'organisme des enfants du secteur.

Plus il y a de stress toxiques, plus il y a de traumatismes, plus le cerveau est affecté.Dr Gilles Julien

Parfois, le nez lui pique aussitôt qu'il rentre dans une habitation du secteur. D'autres fois, le logement est tellement mal isolé que la neige entre sous la porte. « On va dans les maisons, on sait de quoi on parle. »

« Plus il y a de stress toxiques, plus il y a de traumatismes, plus le cerveau est affecté. C'est A, B, C, D, illustre le Dr Julien. Ce cumul-là, bien sûr, augmente les maladies comme l'asthme, les maladies cardiovasculaires et le diabète. »

La députée Carole Poirier déplore qu'à l'heure actuelle, certains propriétaires de logements « s'en foutent complètement ». Elle déplore le fait que des familles et des enfants qui habitent dans de telles conditions vivent avec de telles embûches.

« L'enfant qui vit dans une maison qui est insalubre, dans un quartier pollué et qui va dans une école insalubre... tu pars mal. C'est sûr que cet enfant-là part avec deux strikes au bat. »

L'administration Plante a annoncé l'embauche de 13 nouveaux inspecteurs en salubrité presque le double de l'équipe actuelle, pour dénicher les propriétaires négligents dans l'ensemble de la Ville.

Dr. Julien accueille ces bonnes résolutions avec prudence. S'il reconnaît que l'administration Plante est pleine de bonne volonté, il croit qu'un changement plus en profondeur s'impose pour protéger la population.

« La politique des petits pas, c'est bon. Mais ça prend des années. Il faut un mouvement beaucoup plus radical pour améliorer la qualité de l'environnement par rapport à la santé publique des gens. On n'est pas là encore. »

Néanmoins, « il faut faire attention de ne pas trop ostraciser Hochelaga », avertit Dr Julien. Montréal est « criblée » de « ghettos » où les enfants sont les plus à risque sur le plan de la pauvreté sociale et économique au Québec.

Selon une étude rendue publique en 2017 qui cartographie la vulnérabilité infantile au Québec, c'est à Montréal-Nord que l'on retrouve les enfants les plus vulnérables sur le plan de la pauvreté sociale et économique. Parmi les 30 quartiers où les enfants sont le plus à risque au Québec, 16 sont situés à Montréal.

Pas de surveillance des effets des feux d'artifice

Les feux d'artifice Loto-Québec sont cités comme étant en partie responsables de la mauvaise qualité de l'air à Montréal en 2014 et en 2015, selon les bilans environnementaux de la Ville de Montréal. Aucune hausse de particules fines dans l'air n'a été notée en 2016 et en 2017.

« Ceci peut s'expliquer par le fait que les particules fines sont transportées par les vents et que les vents n'allaient pas en direction de la station lors des soirées de feux d'artifice », note Marilyne Laroche Corbeil, relationniste de la Ville de Montréal.

Il n'en reste pas moins que selon le Réseau de surveillance de la qualité de l'air, une hausse de particules fines a été enregistrée à la station 50, dans Hochelaga-Maisonneuve, le soir d'ouverture des feux, le 1er juillet 2017, autour de minuit.

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Les spectacles de l'Allemagne, le 19 juillet, et de l'Angleterre, le 29 juillet, ont eux aussi enregistré des hausses notables dans les heures qui ont suivi la fin du spectacle. La qualité de l'air est passée de « bonne » à « acceptable ».

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La Ville de Montréal soutient néanmoins que la situation reste « exceptionnelle » et que les feux n'affectent la qualité de l'air que lors d'une « courte période en soirée, lorsque les vents ne sont pas favorables à la dispersion des polluants ».

Pourtant, la Direction de la santé publique de Montréal s'en inquiétait en 2008, selon un article de La Presse, au point de vouloir conduire une étude précisément sur la pollution engendrée par les feux d'artifice.

Dix ans plus tard, aucune étude n'a été effectuée sur ce sujet précis. Au contraire, un projet de règlement du gouvernement du Québec propose de modifier la Loi sur la qualité de l'environnement afin de soustraire les spectacles pyrotechniques de l'obligation d'obtenir un certificat d'autorisation du gouvernement.

À l'heure actuelle, « nul ne peut [...] entreprendre l'exploitation d'une industrie quelconque [...] ni augmenter la production d'un bien ou d'un service s'il est susceptible d'en résulter une émission, un dépôt, un dégagement ou un rejet de contaminants dans l'environnement ou une modification de la qualité de l'environnement » sans l'aval du ministre.

Le ministère de l'Environnement du Québec répond qu'il est permis de faire brûler des explosifs à l'air libre. Pour cette raison, il ne compile pas l'information et ne sait donc pas si les feux d'artifice sont plus polluants qu'avant, ou moins.

Si le président de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique André Bélisle consent que la pollution des feux d'artifice est « un problème en soi », il soutient que l'ensemble de la pollution atmosphérique en ville est, somme toute, pire que quelques spectacles ici et là.

« Il faut aussi remettre ça en perspective, fait valoir l'écologiste. Les feux d'artifice, c'est un problème concentré sur une semaine, à peu près. Selon s'il y a du vent ou non, ça peut être dispersé assez rapidement. Mais la pollution ambiante constante des transports et de l'industrie, au bout de la ligne, est beaucoup plus importante. »

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