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«Fugueuse» : l’infernale spirale qui mène à la rue

Certains parents auront des sueurs froides...
Facebook/Fugueuse

Certains parents auront des sueurs froides en regardant Fugueuse, nouvelle fiction de TVA qui s'opposera aux Pays d'en haut, dès demain, le lundi 8 janvier, à 21h. Frémiront en constatant comment une jeune fille dite «ordinaire», de «bonne famille», peut, petit à petit, dans une naturelle quête de liberté, glisser vers l'industrie de l'exploitation sexuelle. Ravaleront peut-être quelques préjugés en comprenant à quel point leur petit ange peut parfois cacher de graves secrets.

Non, ce ne sont pas que des adolescentes issues de milieux tourmentés qui se retrouvent sous l'emprise de proxénètes, qui fuient leur famille et aboutissent sur le trottoir ou dans les clubs de danseuses nues. Et, non, ça n'arrive pas que dans les films. On l'a vu, au début 2016, lorsqu'une vague de fugues dans les Centres jeunesse de Laval a défrayé les manchettes.

L'actualité a d'ailleurs servi de levier à Québecor Contenu et TVA pour passer à l'auteure Michelle Allen (Pour Sarah, L'Échappée, Destinées) la commande de cette troublante saga, qui nous met rapidement dans un état d'inconfort – un inconfort néanmoins intéressé -, parce qu'on sait que ça dérapera.

Aux toutes premières secondes, lorsqu'on regarde le personnage principal de Fugueuse s'engouffrer dans une voiture de police après une poursuite sous haute tension, en mentant sur son identité, chevelure noire et visage tuméfié, on se doute que la descente aux enfers n'a pas été jojo.

Michelle Allen avait déjà traité de la relation pimp-prostituée dans un épisode de Lien Fatal qu'elle avait scénarisé, à Canal D, et avait donc un début de recherche d'accompli lorsque le projet Fugueuse lui a été proposé. Mais elle a évidemment fouillé encore davantage pour bâtir sa nouvelle intrigue, et la crédibilité imposée avec Pour Sarah, en 2015, lui a permis de nouer des collaborations précieuses avec des acteurs et observateurs de ce milieu dangereux.

«Les premiers que j'ai rencontrés, ç'a été les parents, et ça m'a jetée par terre, raconte la créatrice. Après, il y a eu les policières. Beaucoup de livres se sont écrits sur le sujet, alors j'ai lu, mais je voulais avoir les dernières informations, parce que ça change beaucoup. Par exemple, l'importance des recruteuses : il y a cinq ans, les femmes qui recrutaient des jeunes filles représentaient un phénomène isolé, mais maintenant, il y en a beaucoup.»

«On m'a souvent dit qu'il ne fallait pas reconnaître qui que ce soit, parce que c'est trop effrayant, ajoute Michelle Allen. Même sur le web (où il y aura un volet de sensibilisation et prévention, NDLR), on ne voulait pas qu'il y ait de visages. Car, comme m'ont dit les policières, après, ces filles portent l'étiquette toute leur vie! On y est allés avec respect, et j'ai eu beaucoup d'informations des policiers, des parents, des éducateurs, des mobilistes. Même à l'écriture du 10 épisode, j'appelais encore les policières, parce que, même si ce n'est pas une série policière ou d'enquête, je voulais que ça soit réaliste.»

Trop beau pour être vrai

Nous sommes dans une banlieue aisée de la Rive-Sud. Pensez Boucherville et les environs. Un Claude Legault et une Lynda Johnson au sommet de leur forme incarnent Laurent et Mylène, amoureux unis et parents protecteurs et dépassés de la toute menue Fanny (Ludivine Reding, qui assume ce rôle difficile avec aplomb) au visage d'ange.

Sans qu'ils le réalisent encore pleinement, l'aînée de leurs trois enfants, à 16 ans, grandit et leur échappe petit à petit. Qu'il soit question de son inscription au cégep, de son ami de cœur dont elle est follement entichée, Fred (Madani Tall) ou de sa vie sexuelle active, la blonde adolescente, respectueuse, mais désireuse d'autonomie, multiplie les cachotteries. Plus sévère que maman Mylène, qui se laisse attendrir plus facilement, papa Laurent n'hésite pas à serrer la vis, ce qui effarouchera Fanny, qui aura le réflexe de se rebeller. Elle pourra aussi se tourner vers le support inconditionnel de sa gentille grand-maman gâteau, Manon (Danielle Proulx).

Avec son copain et ses amies Jessica (Camille Felton) et Ariane (Laurence Latreille), Fanny prépare un voyage à New York qui lui tient beaucoup à cœur. Mais le projet ne se déroulera pas comme prévu, et la pauvre devra se résoudre à regarder sa bande partir sans elle. Elle se consolera auprès de sa nouvelle camarade Natacha (Kimberly Laferrière), rencontrée à la boutique où elle travaille, et dont le mode de vie empreint de liberté et en apparence excitant et stimulant fascinera Fanny.

Le public flairera rapidement que l'intérêt de Natacha envers Fanny est louche. Le sentiment se confirmera lorsque la mystérieuse inconnue lui présentera Damien (Jean-François Ruel, aussi connu comme Yes Mccan, du groupe Dead Obies) .Visiblement attiré par Fanny, Damien - lui-même sous l'emprise de son coach, Carlo (Iannicko N'Doua), proxénète et amoureux de Natacha – fera miroiter un monde de possibilités à sa nouvelle protégée : compliments, vêtements coûteux, restos de luxe, soirées VIP, promesse de tournage d'un vidéoclip à Miami, alouette.

L'adulte averti, devant son téléviseur, pifera rapidement que, quand c'est trop beau pour être vrai, c'est justement trop beau pour être vrai. Mais, obnubilée par la poudre aux yeux de Damien et son propre manque d'expérience, la vulnérable Fanny mordra à l'hameçon, enchaînera les fugues et suivra son Don Juan les yeux fermés. Jusqu'où? L'histoire nous le dira!

Capital dans le récit, le personnage de Damien a été minutieusement construit avec, comme principale inspiration, d'autres rappeurs reconnus pour leurs activités criminelles, mais véritables stars de YouTube. Deux membres de Dead Obies avaient auditionné pour le rôle, et c'est Jean-François Ruel qui s'est démarqué.

«Il fallait qu'il ait l'air vrai, que ça ait l'air authentique quand il parle de musique, explique Éric Tessier, réalisateur de Fugueuse. Il fallait qu'il soit un méchant bon comédien pour, tout à coup, embarquer là-dedans. Ce gars-là ne se lève pas le matin en se disant qu'il va faire le mal. C'est sa vie, il est comme ça, et il se trouve qu'il fait des choses terribles, mais il n'y a pas de remise en question chez le personnage. Il est entier, il est ce qu'il est. Ça, il fallait réussir à entrer là-dedans, et Jean-François l'a fait de façon magnifique.»

Moins juger

Annotée 13 ans et plus, Fugueuse contient des portions très crues, mais on ne criera pas au scandale, le thème de la série justifiant nudité et violence, et le tout se voulant mesuré, sans sensationnalisme. Dans les deux premiers épisodes, du moins.

Même si quelques scènes sont un peu caricaturales, le traitement du quotidien des jeunes est plutôt authentique ; du langage au plan rapproché de la devanture de la boutique San Francisco, on croit à cet univers qui pourrait être celui de notre voisin.

Les téléspectateurs habitués aux productions très rythmées trouveront peut-être un peu longue la mise en place de la trame du suspense, dans la première heure. Il est en effet beaucoup question du voyage à New York, qui aboutira ou pas. Éric Tessier a justifié cette lenteur par la nécessité de bien faire connaître Fanny et son entourage, de rendre le personnage attachant et d'exposer comme il se devait ses motivations à sombrer vers le côté obscur de l'humanité. Une décision qui se défend et qui est judicieuse, avons-nous jugé lors du visionnement de presse, il y a quelques semaines. Ludivine Reding accordait également beaucoup d'importance au fait de rendre sa Fanny sympathique aux yeux du public.

«Je pense qu'il y a un peu de tout le monde dans Fanny, analyse la jeune actrice. Il y a beaucoup de moi. Je me suis inspirée de ce que j'étais à 16 ans, et plusieurs adolescents vont se retrouver en elle. C'était un défi de la rendre attachante, parce qu'on fait ça pour abolir les stéréotypes, et je ne voudrais pas que les gens disent qu'elle est stupide. Il faut arrêter de blâmer les victimes et les parents. Les seuls à blâmer, ce sont les gens de cette industrie, les recruteuses et les proxénètes. Ce sont toujours les victimes qui en sortent avec les plus graves conséquences. J'espère tellement que la série aura une portée sociale!»

Les points de vue de tous les protagonistes seront exposés dans Fugueuse, question d'adéquatement mettre en relief l'infernale spirale qui mène à la rue et à l'exploitation sexuelle. Les dommages collatéraux sur tous les membres de la famille, aussi.

«À un certain moment, la grand-mère va faire quelque chose d'inacceptable, laisse planer Michelle Allen. Mais est-ce qu'elle a raison ou tort ? Que celui qui aurait fait mieux lui lance la première pierre! Il n'y a pas de recette miracle...»

Après une démarche aussi soutenue au cœur d'une problématique aussi aride, Michelle Allen caresse-t-elle un objectif avec Fugueuse?

«Que ça devienne un sujet moins tabou. Qu'on juge moins. On pense que les parents sont comme ci, que les filles sont comme ça. Quand les filles veulent sortir de ce milieu, elles ne savent plus comment. Elles ne savent plus comment retrouver leur propre réalité, elles se sentent seules, elles ont honte. Si ça pouvait juste donner le courage à ces filles, de se dire qu'elles n'ont pas à disparaître à cause de ce qu'elles ont vécu, qu'elles n'ont pas à rester là, qu'elles sachent qu'on peut en parler et sortir de là. J'aimerais que ça aide ceux et celles qui en ont besoin», déclare l'auteure.

Fugueuse, le lundi, à 21h, à TVA, dès le 8 janvier. La série, produite par Encore Télévision, comptera 10 épisodes. Pour les parents interpellés, un guide pratique intitulé Et si ma fille fuguait? sera en vente le 7 mars prochain. Sur le site web de Fugueuse, un catalogue de ressources et des capsules informatives seront mis à la disposition des intéressés.

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