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Pendant le repas de Noël, comment répondre aux pires arguments sur l'affaire Weinstein et #MeToo

On a tous un oncle ou une belle-mère qui adore envenimer les discussions du réveillon.
Pendant le repas de Noël, comment répondre aux pires arguments sur l'affaire Weinstein et #MeToo
Getty Images/iStockphoto
Pendant le repas de Noël, comment répondre aux pires arguments sur l'affaire Weinstein et #MeToo

Dès le moment de trinquer, entre le foie gras et le saumon ou à la découpe de la bûche, on a tous un membre de notre famille qui adore plomber l'ambiance du réveillon de Noël en abordant l'un des sujets bouillants de l'année avec les pires arguments possibles.

Cette année, parions que l'affaire Weinstein et ses conséquences, à commencer par le mouvement #MeToo qui a brisé la loi du silence, sera au menu de nombreuses familles. Et ce ne sont pas les arguments horripilants, clichés ou juste un peu mal-informés qui manquent sur le sujet. En voici 5, accompagnés d'éléments de réponse pour clouer le bec à l'importun.

"On n'est pas tous des harceleurs quand même!"

Personne ne dit que 100% des hommes sont des harceleurs. Mais qu'une très grande majorité de femmes a déjà vécu dans sa vie une situation de harcèlement ou une agression, nuance.

Au cours de sa vie, une femme sur cinq est confrontée à une situation de harcèlement sexuel dans sa vie professionnelle, selon des chiffres du gouvernement.

Dans les transports en commun, 100% des utilisatrices françaises affirment avoir subi au moins une fois dans leur vie du harcèlement sexiste ou une agression sexuelle, rappelait en 2015 le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh). Le 20 décembre, l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales annonçait qu'au moins 267 000 personnes ont été victimes d'atteintes sexuelles dans les transports en commun entre 2014 et 2015, parmi lesquelles 85% de femmes.

Quant aux violences sexuelles, les femmes sont là aussi plus souvent victimes que les hommes. Chaque année, elles sont environ 600 000 en France à en être victimes contre 200 000 hommes, selon une enquête de l'INED paru en octobre dernier. Et chaque année, 62 000 femmes et 2700 hommes sont victimes de viol ou tentative de viol.

  • "On ne peut plus rien dire/faire"
  • "On ne peut plus draguer tranquille"
  • "Ce n'est pas du harcèlement, c'est la 'séduction à la française'"

Voici un petit tableau à imprimer et à distribuer à tous ceux qui ne savent pas faire la distinction entre drague et harcèlement. La drague n'a rien de flou selon ce tableau réalisé par le site "Paye ta shnek". Il s'agit d'"exprimer poliment, dans un contexte adapté, son envie de connaître une personne ou de la revoir, et respecter son éventuel refus". Siffler, faire un commentaire sur le physique, plaquer une femme contre un mur pour l'embrasser, tout cela va droit dans les catégories harcèlement ou agression.

FACEBOOK / PAYE TA SHNEK

Quid de la rhétorique de la fameuse "séduction à la française"? "Dans le débat public, il est effectivement question de 'courtoisie', de 'galanterie', de 'séduction à la française', et autres", soulignait auprès du Monde le sociologue Eric Fassin. "En pratique, l'inquiétude qu'expriment certains hommes ne porte pas tant sur la séduction que sur la domination... Ce que disent ceux qui s'inquiètent, c'est qu'on ne pourrait plus séduire si on ne pouvait plus jouer de la domination", poursuit-il. Alors que pour lui, c'est l'inverse qu'il faut penser: "Il faut s'en féliciter, la confusion n'est plus permise. Autrement dit, la mobilisation féministe oblige à distinguer clairement le harcèlement, qui joue sur l'humiliation, de la séduction, qui exige de s'en éloigner le plus possible."

Et si le membre de votre famille ayant décidé de faire dans la lourdeur se la joue Matt Damon? L'acteur a en effet estimé important de donner son avis sur le mouvement #MeToo, jugeant nécessaire de distinguer entre "donner une tape sur les fesses et le viol ou une agression sexuelle sur un enfant".

Certes, ces deux actes n'ont pas la même gravité mais une main aux fesses reste une agression sexuelle et c'est puni par la loi. En France, une agression sexuelle est passible de 5 ans de prison et de 75 000€ d'amende. Par ailleurs, comme le lui a justement répondu Alyssa Milano, c'est tout une culture du viol qui est dénoncée à travers les prises de paroles des femmes et chaque agression compte. "J'ai été victime de chacun des différents éléments du spectre d'agression sexuelle dont vous parlez. Tous sont blessants. Et ils sont tous liés à un patriarcat entremêlé de misogynie normalisée, acceptée et parfois même bien accueillie", a-t-elle écrit sur Twitter.

"#MoiAussi c'est une véritable chasse aux sorcières/de la délation

Si votre oncle sort l'argument de la chasse aux sorcières, que lui répondre? Armelle Le Bras-Chopard, politologue spécialiste des questions d'égalité hommes-femmes et auteure de "Les putains du diable - Procès des sorcières et construction de l'État moderne", contactée par Buzzfeed, a la réponse: "C'est un véritable tour de passe-passe, une façon pour les hommes de renverser totalement la situation en se victimisant. La chasse aux sorcières est ainsi à interpréter comme une chasse à l'homme en général, mais il faut replacer l'expression dans son contexte historique: les victimes sont les femmes. Personne n'a proposé de mettre tous les hommes au bûcher."

"Si tout le monde était au courant, pourquoi elles n'ont pas témoigné plus tôt?"

Ce n'est pas aussi simple. La loi du silence est telle que même quand on s'appelle Angelina Jolie ou Gwyneth Paltrow, elle est difficile à briser, et l'affaire Weinstein en est en fait le plus parfait des exemples.

"Dans tous les systèmes fermés qu'il s'agisse de la famille, du couple, d'une institution ou d'un milieu comme celui du cinéma, la loi du silence est présente", soulignait précédemment la psychiatre et présidente de l'association Mémoire traumatique, Muriel Salmona, auprès du HuffPost. À quoi s'exposent ces femmes? À ne pas être entendues, à ne pas être prises au sérieux, à être culpabilisées, à des menaces, à être mises en cause, à devoir se défendre, en un mot, à perdre beaucoup. La peur de voir un terme mis à leur carrière, sans compter l'angoisse de voir sa vie décortiquée par tous les médias.

Par ailleurs, certaines victimes de violences peuvent développer une dissociation traumatique. Après l'agression, la victime est paralysée par un état de sidération. Le cortex cérébral est alors incapable de contrôler l'intensité de la réaction de stress. L'organisme perçoit qu'il y a un risque vital. Il déclenche des mécanismes de sauvegarde qui ont pour effet de faire "disjoncter le circuit émotionnel", selon les termes de Muriel Salmona et cela entraîne une anesthésie émotionnelle et physique.

C'est cette anesthésie qui produit la dissociation. Cet état s'affirme par "un sentiment d'étrangeté, de déconnexion et de dépersonnalisation, comme si la victime devenait spectatrice de la situation puisqu'elle la perçoit sans émotion". Voilà qui peut aussi expliquer bien des silences, car cet état de dissociation peut durer des années.

"Au lieu de balancer sur Internet, elles n'ont qu'à porter plainte"

Aller porter plainte au commissariat n'a rien de simple. Seules 11% des victimes de viol et 2% des victimes d'agression sexuelle déposent une plainte. Par ailleurs, comme le rappelle cet article de Slate, 82% vivent mal le dépôt de plainte et 70% ne se sentent pas reconnues comme victimes.

Dans cette enquête, les témoignages soulignent une mauvaise prise en charge des victimes. Manque d'empathie, culpabilisation, humiliations, ne seraient pas rares lorsqu'on va porter plainte. De quoi dissuader les victimes, pour qui prendre la parole sur Internet est déjà un premier (grand) pas.

"Elles le cherchent un peu avec leur jupe courte"

Pas spécifique à l'affaire Weinstein, cette phrase revient de façon récurrente dans les discussions autour des violences faites aux femmes.

"Elle l'a bien mérité, elle est responsable de ce qui s'est passé", sont des phrases caractéristiques de la culture du viol. "C'est l'idée selon laquelle les femmes aiment ça, qu'elles le cherchent en s'habillant de façon trop sexy et en raison d'autres stéréotypes sous-entendant que la femme est une prédatrice", explique Muriel Salmona au HuffPost.

27% des Français pensaient d'ailleurs, en 2016, que l'auteur d'un viol est moins responsable si la victime portait une tenue sexy. "Cette croyance peut avoir des effets dévastateurs", expliquaient alors les auteurs de l'enquête réalisée par Mémoire traumatique et victimologie. "Donner du crédit à ce type d'assertion revient à considérer que les femmes sont incapables de décider pour elles-mêmes et ont besoin des hommes pour comprendre quels sont leurs vrais désirs. C'est leur dénier la faculté de décider de consentir ou non à un rapport sexuel."

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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