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Lorsque les cicatrices d'une fusillade de masse ne sont pas laissées par les balles

Les survivants ont souvent besoin de soins psychologiques importants. Témoignages.

"Sherrie Lawson était en réunion lorsqu'elle a entendu les coups de feu.

Parce qu'elle se trouvait sur une installation de la Marine où les armes à feu sont strictement réglementées, Sherrie a supposé qu'on faisait tomber des tables ou des chaises.

Moins d'une minute plus tard, lorsque de nouveaux coups de feu se sont fait entendre, elle a réalisé avec ses collègues qu'il se passait quelque chose d'anormal. Des gens couraient, en criant à propos d'un tireur. Sherrie a rejoint la foule et ils ont couru, en essayant de s'éloigner des bruits des tirs.

Sherrie Lawson a survécu à la tuerie du Washington Navy Yard.
Autumn Parry pour HuffPost
Sherrie Lawson a survécu à la tuerie du Washington Navy Yard.

Ils se sont retrouvés rapidement dans une ruelle, en face d'un mur en briques de huit pieds de haut. Sherrie l'a escaladé avec l'aide de ses collègues. Quelques minutes plus tard, le tireur a fait une victime dans cette ruelle. Elle se trouvait derrière le groupe de Sherrie.

« Je n'ai réalisé cela que plus tard, lorsqu'on m'a donné une frise chronologique des évènements », a déclaré Sherrie. « J'ai compris pourquoi les coups de feu me semblaient si proches et pourquoi j'avais l'impression qu'il se trouvait juste à côté. »

Quatre jours après la fusillade, Sherrie est montée à bord du bus pour revenir sur le chantier naval, au sud-est de Washington, D.C., et récupérer son ordinateur portable. Arrivée à son arrêt, elle s'est rendue compte qu'elle était incapable de descendre du bus. Elle est restée assise en laissant passer plusieurs arrêts, puis elle est descendue, a marché jusqu'au milieu du trottoir, et s'est effondrée en larmes.

« Je crois que c'est la première fois que ça m'est revenu aussi fort », a-t-elle expliqué. La procédure qui suit chaque fusillade de masse est désormais tristement familière. Les actualités annoncent le nombre de morts, le nombre de blessés, le statut du tireur, la frise chronologique des événements. Lors de la fusillade du Washington Navy Yard, qui a eu lieu en septembre 2013, 12 personnes ont perdu la vie et huit autres ont été blessées. Pourtant ces chiffres ne prennent pas en compte les centaines ou peut-être les milliers d'autres personnes directement impliquées dans ces événements. La plupart des personnes présentes lors d'une fusillade de masse ne souffrent pas de blessures physiques. La plupart d'entre elles ne meurent pas. Cela ne veut pas dire pour autant qu'elles s'en sortent indemnes.

Au lendemain d'une fusillade de masse, les sympathies de la nation et les dollars collectés visent ceux qui ont perdu la vie ou qui ont subi des blessures physiques. En parallèle, des personnes telles que Sherrie culpabilisent de vouloir demander une aide supplémentaire, même si elles souffrent de symptômes psychologiques.

On reste silencieux parce qu'on réalise à quel point on a été chanceux.Lisa Hamp

« Cela semble vraiment égoïste en tant que survivant n'ayant pas subi de blessure physique de demander des ressources alors que d'autres ont perdu la vie ou ont été touchés par une balle. C'est l'une des raisons pour lesquelles ce groupe d'individus ne reçoit aucune aide », a expliqué Lisa Hamp, une rescapée de la fusillade de l'université Virginia Tech de 2007. « On reste silencieux parce qu'on réalise à quel point on a été chanceux et que d'autres personnes ont vécu quelque chose de bien pire. »

Le 16 avril 2007, Lisa était barricadée dans une salle de classe du Norris Hall de Virginia Tech lorsqu'un homme armé a tiré dans la porte avant de la pousser pour rentrer à l'intérieur. Lisa et quelques-uns de ses camarades se trouvaient de l'autre côté, poussant contre la porte pour l'empêcher d'entrer. Le tireur aura tué 32 personnes ce jour-là, avant de retourner l'arme contre lui.

Se taire n'est pas sans conséquences. Après la fusillade du Washington Navy Yard, le trouble de stress post-traumatique de Sherrie était si sévère qu'elle a dû quitter son travail et son programme de doctorat. Elle a vidé toutes ses économies pour payer des soins spécialisés. Lisa a dû composer avec un trouble alimentaire et les problèmes de fertilité qui ont suivi et elle estime avoir dépensé plusieurs milliers de dollars en frais d'aide psychologique depuis 2007.

Généralement, lorsque les gens parlent de « traumatisme », ils utilisent le terme pour décrire la réaction émotionnelle face à un événement. Dans ce sens familier, plus la détresse d'une personne est importante, plus l'événement a dû être « traumatisant ». Mais au sens médical, le traumatisme désigne une expérience physique et chimique au cours de laquelle un être humain pense que sa vie ou son corps est en danger, ce qui entraîne des modifications temporaires de sa force et de sa cognition pour lui permettre de s'en sortir vivant.

Lorsque cette réponse « combat-fuite » se produit, le cerveau déclenche une série de changements hormonaux qui permettent aux poumons d'accumuler davantage d'air, d'irriguer les muscles, d'aiguiser les sens, d'augmenter la vigilance et de donner au corps un regain d'énergie. Ces améliorations confèrent à l'être humain davantage de force pour prendre la fuite, comme Sherrie, ou se battre, comme Lisa.

Lorsqu'un groupe subit un traumatisme – comme dans le cas d'une fusillade de masse – ces réactions physiques surviennent chez des dizaines, des centaines, voire des milliers de personnes. Pour la plupart d'entre elles, le corps retrouve un fonctionnement normal peu de temps après, et même si elles peuvent ressentir une détresse importante à court terme, elles seront en mesure de se rétablir et de retrouver une vie normale.

Mais une minorité d'individus développe un trouble de stress post-traumatique, qui survient lorsque les réponses mentales et physiques au danger ne se désactivent pas. Ces réponses, qui sont normales et souvent utiles dans les situations traumatisantes, traînent et deviennent intrusives et parfois insupportables dans la vie quotidienne. Des stimulations régulières quotidiennes chez un individu peuvent lui faire revivre cette journée traumatisante où il craignait de mourir, déclenchant une hyper vigilance, des larmes, des crises de panique ou pire.

Lisa Hamp a survécu à la fusillade de l'université Virginia Tech en 2007.
Rod Lamkey Jr. pour HuffPost
Lisa Hamp a survécu à la fusillade de l'université Virginia Tech en 2007.

Après la fusillade, Sherrie a commencé à être angoissée dans les supermarchés. Elle ne voyait pas au-dessus des rayons de produits alimentaires et avait peur qu'un danger ne soit caché derrière. Le bruit d'une sirène ou d'un hélicoptère pouvait déclencher chez elle des pleurs ou une crise de panique. La nuit, elle rêvait qu'elle était en train de courir. L'automne est la saison que Sherrie aime le moins, parce que l'odeur du café au lait parfumé à la citrouille épicée lui rappelle son petit-déjeuner du jour de la fusillade.

Et lorsque Lisa est revenue à l'école pour sa dernière année, elle était hantée par son souvenir de la fusillade dans le Norris Hall : son professeur et un camarade de classe s'étaient chargés de barricader la porte en orientant les autres étudiants vers leur position. Lisa avait simplement suivi le mouvement d'un air hébété. De retour dans la salle de classe, elle s'est juré d'être plus attentive à son environnement et de toujours prévoir un plan d'action si quelque chose tournait mal.

Dans un examen de la recherche de 2013 sur les conséquences sur la santé mentale des événements traumatisants de masse tels que les fusillades, les attentats terroristes et les catastrophes naturelles, le Dr Sandro Galea, un épidémiologiste et doyen de l'école de santé publique de l'université de Boston, écrit que le TSPT peut toucher jusqu'à 30 à 40 % des survivants d'une catastrophe, et jusqu'à 10 à 20 % des secouristes.

Et bien que la recherche sur ce sujet soit partagée et encore émergente, Galea note que les catastrophes d'origine humaine – celles causées par la technologie, comme un accident nucléaire, ou celles impliquant de la violence de masse, comme le terrorisme – semblent avoir un « impact psychologique plus prononcé » que les catastrophes naturelles telles que les ouragans ou les inondations.

Les symptômes de Sherrie étaient si sévères que son médecin lui a recommandé de quitter son poste d'intervenant extérieur pour le département de la Défense et d'abandonner son programme de doctorat. Elle a déposé une demande d'invalidité de court terme et d'indemnités d'accident du travail (pour laquelle sa société a fait appel à trois reprises), a retiré un pécule de 20 000 $ et a pioché dans son plan d'épargne retraite 401(k). Elle avait de nombreux frais à payer : les séances de thérapie non remboursées, les tickets modérateurs de ses visites chez le médecin et de ses médicaments, incluant un programme de traitement du TSPT en ambulatoire de six mois à l'Institut de psychiatrie de Washington partiellement couvert, et des voyages fréquents en Caroline du Nord pour recevoir le soutien émotionnel de sa famille.

Ils ne comprenaient pas pourquoi j'étais toujours bouleversée et en difficulté.Sherrie Lawson

L'an dernier, Sherrie a constitué un dossier de surendettement en raison des dettes liées aux frais médicaux accumulées depuis la fusillade. Ces dettes incluaient aussi les factures de son séjour à l'hôpital à la suite d'un mini-AVC dû au stress en 2014.

Elle dit avoir aussi perdu son réseau social en raison de sa dépression.

« Des amis m'ont reproché de me morfondre dans mon chagrin et de refuser d'oublier ce qui s'était passé », a-t-elle expliqué. « On m'a dit que je devrais être reconnaissante d'être toujours en vie. Ils ne comprenaient pas pourquoi j'étais toujours bouleversée et en difficulté. »

Comme Sherrie, de nombreux survivants ne disposent que d'un recours limité pour obtenir une aide financière en cas d'insuffisance des assurances et du soutien communautaire. À la suite d'événements importants tels que les attentats terroristes ou les fusillades de masse, les dons arrivent du monde entier pour aider les survivants et les proches à compenser les pertes de revenus, ou pour aider à régler les factures d'hôpital, de rééducation ou de funérailles.

Mais les détails techniques tels que la détermination du statut de victime éligible à une aide financière – qui a pour but d'éviter une dilution des dons suite à un nombre excessif de demandes – signifient que les victimes de blessures psychologiques ne reçoivent souvent aucune aide, a expliqué Camille Biros, administrateur de fonds adjoint au bureau d'avocats de Kenneth Feinberg, le cabinet le plus souvent contacté pour gérer ces fonds.

Le cabinet d'avocats Feinberg a apporté son aide pro bono pour déterminer quelles victimes pouvaient recevoir une partie des dons d'argent reçus suite au double attentat du marathon de Boston, à la fusillade de l'université Virginia Tech, à la fusillade d'Aurora et à celle du Pulse à Orlando. Le cabinet aide aussi à définir les critères qui détermineront l'éligibilité des victimes à recevoir une somme d'argent, mais il ne sera pas chargé d'administrer la distribution.

« Généralement, les personnes qui sont couvertes sont les familles des victimes qui ont perdu la vie ou celles qui ont subi des blessures physiques », a indiqué Biros. « Parfois, celles qui souffrent d'un traumatisme émotionnel sont intégrées dans certains de ces fonds, mais cela dépend vraiment des sommes d'argent récoltées. »

Dans le cas du fonds du marathon de Boston par exemple, les personnes qui ont subi un traumatisme psychologique mais qui n'ont pas souffert de

blessures physiques n'étaient éligibles à aucune aide. À la suite de la fusillade de l'université Virginia Tech en revanche, les étudiants n'ayant pas subi de blessures physiques qui se trouvaient dans les salles de classe dans lesquelles le tireur est entré ont pu recevoir de l'argent. (Lisa ne faisait pas partie de ce groupe car le tireur n'est jamais parvenu à s'introduire dans sa salle de classe.)

En raison du grand nombre de victimes qui ont perdu la vie ou qui ont subi des blessures dans la fusillade de Las Vegas, Biros s'attend à ce que ces délibérations soient encore plus difficiles. Au moins 11,5 millions de dollars ont été collectés pour le fonds des victimes de Las Vegas – un témoignage de la générosité des Américains. Mais lorsque vous réalisez que 58 personnes ont été tuées, que des centaines d'autres ont été blessées et que le festival de musique accueillait environ 22 000 participants, cette somme paraît soudainement assez modeste.

Si les survivants qui souffrent d'un traumatisme émotionnel ne peuvent pas compter sur les fonds collectés après une grave tragédie, ils peuvent déposer une demande auprès du programme d'indemnisation des victimes de leur état.

Chaque état dispose d'un fonds spécial destiné aux victimes de crimes violents, financé principalement par les contraventions et les amendes payées par les délinquants sur ordonnance du tribunal. Au minimum, ces programmes sont des fonds de dernier ressort pour aider les victimes à régler leurs frais une fois que l'aide apportée par les assurances médicales privées, les indemnités d'invalidité et d'accident du travail sont épuisées. Mais ces prestations varient fortement selon les états.

Au Wyoming par exemple, l'indemnité maximum est de 15 000 $, tandis que l'État de New York ne prévoit aucune limite d'indemnité pour les frais médicaux et d'aide psychologique. Certains fonds d'état remboursent les victimes de crime pour des services tels que le nettoyage de scène de crime, les déménagements et la rééducation, mais d'autres ne proposent que le strict minimum – les frais de funérailles, la perte de revenus et les frais médicaux et d'aide psychologique. Et dans certains états, la demande d'indemnisation peut être compromise si la victime a déjà reçu un don.

Cela entraîne des disparités importantes dans l'indemnisation des victimes et l'accès aux remboursements des frais médicaux financés par les états.

L'an dernier, alors que les coups de feu retentissaient dans l'obscurité, l'officier de police Omar Delgado a couru en direction du Pulse, une boîte de nuit d'Orlando en Floride.

« Imaginez des tonnes et des tonnes de gens essayant de sortir alors qu'on essayait de rentrer », a expliqué Delgado, qui se trouvait parmi les premiers policiers à arriver sur place cette nuit-là. « Criblés de balles. Les gens rebondissaient sur nous. »

À l'intérieur, les yeux de Delgado se sont lentement adaptés au faible éclairage. Le sol était couvert de sang et d'alcool et ses pieds ont glissé alors qu'il traînait les blessés pour les mettre à l'abri. Les coups de feu ont continué.

Lorsque Delgado est revenu chez lui le lendemain matin, il a verrouillé la porte de sa chambre. Lorsque ses enfants ont frappé à la porte, il n'a pas voulu les laisser entrer. Ses parents ont téléphoné mais il ne voulait pas leur parler. « J'ai ignoré tout le monde », a-t-il déclaré.

Près d'un an et demi plus tard, Delgado a toujours des difficultés pour sortir du lit le matin. Il prend du témazépam pour l'aider à dormir, mais ne dort que trois à quatre heures par nuit et se réveille de ses cauchemars en criant. Aucun psychologue ne l'a autorisé à repartir en patrouille et il a donc dû renoncer aux heures supplémentaires qui lui permettaient de gagner de 1 200 à 1 500 $ supplémentaires par mois.

Omar Delgado, l'un des premiers policiers à être arrivés sur la scène de la fusillade du Pulse l'an dernier, s'est vu refuser des fonds pour traiter son TSPT. Il fait désormais de la photographie pour surmonter le stress.
Chris McGonigal/HuffPost
Omar Delgado, l'un des premiers policiers à être arrivés sur la scène de la fusillade du Pulse l'an dernier, s'est vu refuser des fonds pour traiter son TSPT. Il fait désormais de la photographie pour surmonter le stress.

Après être passé par toute une série d'intervenants en santé mentale, Delgado consulte désormais un psychiatre une à deux fois par mois. Avant qu'il ne trouve un intervenant couvert par ses indemnités d'accident du travail, son psychiatre lui coûtait 280 $ de sa poche pour la première visite puis entre 75 et 100 $ pour les séances suivantes. Le thérapeute qu'il voit aussi une à deux fois par mois lui coûte de 50 à 70 $ supplémentaires par séance.

« Je ne suis pas moi-même », s'est-il exprimé. « Je ne suis plus l'ancien Omar. » Et surtout, il a déclaré, il craint de ne pas être en mesure de réagir s'il se retrouvait dans une autre fusillade. « Si je suis paralysé, ne serait-ce qu'une minute, combien de vies humaines seront en jeu ? »

Les victimes qui se trouvaient à l'intérieur du Pulse au début de la fusillade ont reçu une somme de 25 000 $ du fonds OneOrlando, qu'elles aient été ou non blessées ou prises en otage par le tireur.

Lorsque Delgado a déposé sa demande auprès du fonds, qui a distribué 32 millions de dollars aux victimes, celle-ci a été refusée. Les personnes qui se trouvaient à l'extérieur de la boîte de nuit au début de la fusillade n'étaient pas éligibles aux indemnités, a expliqué Jeffrey Dion, le directeur exécutif adjoint du National Center for Victims of Crime – un organisme à but non lucratif –, qui a aidé à gérer les fonds avec le cabinet Feinberg.

« Ça a été un coup bas », a déclaré Delgado. « Les premiers intervenants ne choisissent pas cette carrière pour l'argent. On le fait pour sauver des vies. Mais j'avais besoin d'aide. Lorsque quelqu'un a besoin d'aide, il lui suffit de décrocher le téléphone et de composer trois chiffres. Mais lorsque nous avons besoin d'aide nous-même, on appelle qui ? »

En fin de compte, c'est le comité local d'Orlando qui a eu le dernier mot sur l'éligibilité aux indemnités, a expliqué Dion. « Ce sont les derniers arbitres lorsqu'il s'agit de déterminer si quelqu'un peut ou non recevoir des indemnités et d'élaborer le programme de distribution. » (Le bureau de Buddy Dyer, le maire démocrate d'Orlando, a déclaré à HuffPost que sous la supervision de Feinberg, OneOrlando était parvenu à déterminer les paramètres de distribution des fonds – incluant le critère de la « présence indispensable de la victime à l'intérieur du Pulse au début de la fusillade pour être éligible » – après avoir pris en considération « les commentaires » formulés lors de « deux assemblées publiques auxquelles chacun pouvait participer ».)

Sans autres options, une connaissance a mis en ligne une page GoFundMe pour Delgado en juillet 2016. Au 1er décembre, son fonds n'avait levé que qu'un peu moins de 2 600 $ sur son objectif de 25 000 $.

Il existe un autre moyen intéressant d'indemniser financièrement davantage de victimes de fusillades de masse. Le Fonds d'indemnisation des victimes du 11 Septembre, fondé en 2001 et le Programme national d'indemnisation pour préjudice causé par la vaccination, fondé en 1986, en sont deux exemples.

Dans ces cas, le Congrès a adopté des lois qui empêchent les Américains de poursuivre l'industrie du transport aérien et l'industrie pharmaceutique en justice pour réclamer des dommages et intérêts – mais il a aussi mis en place une cagnotte d'indemnisation pour permettre aux victimes d'être indemnisées. Ces lois exonèrent les sociétés de toute forme de responsabilité mais permettent toujours aux Américains victimes d'un préjudice résultant d'une vaccination ou des attentats du 11 septembre d'être indemnisés. (En revanche, les victimes du 11 Septembre ayant subi un traumatisme émotionnel n'étaient pas éligibles à ces indemnisations.)

En ce qui concerne l'industrie des armes à feu, le Congrès n'a mis en œuvre que l'une de ces deux options. En 2005, les législateurs ont adopté le Protection of Lawful Commerce in Arms Act, qui exonère les fabricants d'armes à feu de toute responsabilité lorsque des individus commettent des crimes en utilisant leurs produits. En revanche, le PLCAA n'a pas mis en place de fonds d'indemnisation pour les victimes de violence armée.

Cela s'explique simplement par l'absence de volonté politique de tenir les fabricants d'armes à feu responsables des blessures infligées aux victimes, explique Timothy Lytton, un professeur de droit à l'université d'État de Géorgie et éditeur du livre Suing the Gun Industry: A Battle at the Crossroads of Gun Control and Mass Torts.

Avant l'adoption de la loi fédérale, 32 états avaient déjà adopté des lois similaires exonérant les fabricants d'armes à feu de toute responsabilité. Et de la fin des années 1990 au milieu des années 2000, tous les procès qui visaient à tenir les fabricants d'armes à feu responsables des blessures par balle subies lors d'un crime ont échoué, a expliqué Lytton. En plus des procès intentés par les particuliers, plus de 30 municipalités ont poursuivi l'industrie des armes à feu en justice. La plupart des affaires ont été rejetées. D'autres municipalités ont perdu leur procès ou les ont abandonnées en raison des lois sur l'immunité des états.

« Le Congrès a donc retiré le droit de poursuivre en justice, mais il l'a retiré dans un contexte où personne n'a jamais gagné l'un de ces procès en réalité », a déclaré Lytton. « Quant au parallèle avec les sociétés pharmaceutiques ou les compagnies aériennes, elles semblaient courir un risque important de mise en jeu de leur responsabilité, alors que cela reste très incertain pour l'industrie des armes à feu. »

Il y a une lueur d'espoir pour ceux qui pensent que les fabricants d'armes à feu doivent être tenus responsables des fusillades de masse meurtrières. Cinq ans après la tuerie de l'école primaire Sandy Hook à Newtown dans le Connecticut, certains des survivants tentent d'utiliser une approche juridique inédite pour poursuivre les fabricants d'armes à feu en justice. L'idée est de faire reconnaître la responsabilité du fabricant dans la mise à disposition au public du fusil Bushmaster de type AR-15, un modèle avec un risque élevé d'utilisation à des fins criminelles. L'affaire est examinée par un juge de la Cour suprême dans l'état du Connecticut.

Après un traumatisme de masse tel qu'une fusillade, les pays qui disposent d'un régime de soins de santé étendu peuvent mettre cette infrastructure au service des victimes. Au lendemain des attentats terroristes de 2011 en

Norvège qui ont tué 77 personnes et en ont blessé des centaines d'autres, des équipes de crise municipales sont allées à la rencontre des survivants et de leurs familles. Plus tard, lorsque des chercheurs ont interrogé les survivants, plus de 80 pour cent d'entre eux ont déclaré avoir reçu une assistance psychologique proactive. 73 pour cent des survivants interrogés avaient consulté un psychologue ou un psychiatre et seulement 14 pour cent d'entre eux avaient des besoins non satisfaits en matière de soins de santé mentale.

Pour Heather Martin, une survivante de la fusillade de Columbine, l'annonce d'un nouveau massacre dans les actualités déclenche habituellement une série de flashbacks et parfois une crise de panique invalidante.

Mais en 2012, après l'annonce de la fusillade d'Aurora, Heather a réalisé qu'elle pouvait apporter son aide.

« On sait ce qui attend cette communauté », a déclaré Heather à propos des survivants. « On sait ce qui arrive et c'est horrible. » Avec une amie, Heather a fondé The Rebels Project – un groupe de soutien pour les survivants d'événements traumatisants de masse tels que les attentats terroristes ou les fusillades de masse. À ce jour, le réseau compte près de 500 membres issus de 29 communautés de survivants différentes. La plupart d'entre eux sont des survivants de fusillades de masse, mais certains ont survécu à des attentats à la bombe, à des attaques au couteau ou même aux attentats du 11 septembre. Sherrie, qui a survécu à la fusillade du Washington Navy Yard, est la directrice du développement du groupe.

Heather Martin a survécu à la fusillade de Columbine de 1999.
Autumn Parry pour HuffPost
Heather Martin a survécu à la fusillade de Columbine de 1999.

Depuis les cinq dernières années, le groupe local d'Heather se réunit chaque mois dans le Colorado pour permettre aux membres de partager des histoires, de proposer des conseils et simplement de s'écouter mutuellement. TRP possède aussi un réseau de soutien en ligne et une fois par an, les survivants de tout le pays se réunissent le temps d'un week-end. Une fois, une survivante de la fusillade de Heath de 1997 dans le Kentucky a déclaré à Heather qu'il s'agissait du week-end où elle pouvait se sentir normale.

« On s'est rendus compte que l'une des choses qui nous manquaient pendant toutes ces années c'était une personne à qui parler qui ne nous jugerait pas et qui ne nous mettrait pas mal à l'aise vis à vis de nos émotions, qui ne nous culpabiliserait pas », a expliqué Heather. « On s'est rendus compte qu'on pouvait apporter ça à une nouvelle communauté qui n'était qu'au stade initial. »

Cette communauté – la diaspora des personnes dont la vie, suite à une journée de violence terrible, n'est jamais revenue à la normale – s'agrandit en permanence. Alors que les fusillades de masse semblent se succéder les unes après les autres, les Américains ont à peine le temps de faire le deuil de chaque tragédie avant que la suivante ne survienne. Peu de gens en 2017 parlent encore de Columbine, de Virginia Tech ou du Washington Navy Yard. Ces fusillades semblent appartenir au passé. Mais pour certaines personnes qui les ont vécues, elles sont en quelque sorte toujours d'actualité.

The Rebels Project a de grands objectifs pour 2018. Heather espère pouvoir lancer un programme pilote offrant des services de santé mentale aux membres. Elle lève des fonds à cette fin et essaye d'informer les médias sur l'histoire de TRP. Mais elle est toujours confrontée à deux problèmes : la plupart des membres du groupe n'ont pas subi de blessures physiques et les massacres dont ils se remettent appartiennent déjà aux gros titres d'hier.

« Lorsqu'on essaye d'organiser une collecte de fonds, on se dit : "Hé ! Tu es en train d'aider des survivants !" » explique Heather. « Mais ça appartient au passé. La société est passée à autre chose. »

Ce texte initialement publié sur le HuffPost États-Unis a été traduit de l'anglais.

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