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Le documentaire «The Problem with Apu» interpelle les créateurs du célèbre personnage des «Simpson»

Car Apu Nahasapeemapetilon, semble-t-il, refuse obstinément d'évoluer.
FOX via Getty Images

Des indo-américaines comme Aziz Ansari, Hasan Minhaj ou Mindy Kaling sont devenus des stars ces dernières années. Ils ont interprété des personnages complexes, créé leurs propres émissions et aidé le pays à comprendre les combats et les joies que vivent les immigrants.

Mais un personnage, Apu Nahasapeemapetilon, refuse obstinément d'évoluer, reflet d'une époque où les Indiens faisaient l'objet de moqueries et de stéréotypes sur une chaîne de télé nationale.

Depuis près de 30 ans, Apu est une figure incontournable de Springfield, la ville natale imaginaire des Simpson, où il travaille dans la supérette locale. Il a toujours un accent à couper au couteau et emploie des expressions ridicules. Encore aujourd'hui, c'est Hank Azaria, un acteur blanc, qui lui prête sa voix.

Selon Hari Kondabolu, un comédien qui vit à Brooklyn, le temps est venu pour Apu — et, surtout, pour les forces qui l'ont créé — de rendre des comptes.

Il s'attaque à ces problèmes dans un nouveau documentaire, "The Problem with Apu".

Dans le film, il interroge de nombreuses stars indo-américaines actuelles, dont Aziz Ansari, Kal Penn, Aasif Mandvi, Hasan Minhaj, Utkarsh Ambudkar et Aparna Nancherla, sur leur relation avec Apu et les difficultés qu'ils ont rencontrées pour décrocher des rôles non stéréotypés.

Le comédien entretient lui-même une relation complexe avec Apu. Fan de longue date des Simpson, il sait que c'est un personnage très apprécié. Mais, pendant des années, cette caricature outrancière a été l'une des seules représentations que les Sud-Asiatiques avaient d'eux-mêmes dans la pop culture américaine.

"Ces images ont une incidence. Elles s'inscrivent dans un mouvement plus important", comme le blackface ou le brownface (tradition du vaudeville où des comédiens blancs incarnaient des Noirs, des Latinos et, plus généralement, des non-Caucasiens stéréotypés). "L'idée de parodier les gens, de donner d'eux une image simpliste, existe depuis la nuit des temps. Elle procure un sentiment de pouvoir. Vous êtes mieux qu'eux, plus intelligent. Vous êtes à votre place, et pas eux."

Hari Kondabolu is an American stand-up comic, actor, and filmmaker.
The Problem With Apu truTV
Hari Kondabolu is an American stand-up comic, actor, and filmmaker.

"La discrimination n'apparaît pas comme par magie. Il faut l'avoir apprise, avoir été formé, conditionné. Je crois qu'une part de ce conditionnement est dû aux médias", ajoute-t-il.

Pour son film, il a essayé de savoir ce que ceux qui sont aux commandes des Simpson pensaient d'Apu. Hank Azaria, la voix d'Apu, a refusé catégoriquement d'être interviewé.

Le comédien explique que le but du film n'est pas de l'humilier publiquement pour avoir donné un accent à Apu, ni de faire supprimer ce personnage. Il s'agit de lancer le débat sur le besoin de diversité, aussi bien à l'écran que parmi les scénaristes.

"Plutôt que de perdre mon énergie à tenter de faire disparaître Apu des écrans, je préfère choisir d'écrire et créer un personnage pluridimensionnel qui reflète notre éducation, nos familles, nos vies", indique-t-il. "C'est à ça que servent les créatifs. Il n'est pas question de punir, de vouloir réparer les choses, mais de savoir ce que l'on décide pour l'avenir."

Pour le HuffPost, il évoque les objectifs de son documentaire et ce qu'il pense de la représentation des Indo-Américains dans les média.

Kondabolu interviewed other South Asian celebrities for his documentary.
The Problem With Apu truTV
Kondabolu interviewed other South Asian celebrities for his documentary.

Qu'est-ce que tu ressens viscéralement en voyant et en entendant Apu?

Ça me dérange. J'ai bien conscience que les gens voient mes parents de cette manière, jusqu'à un certain point. Autrefois, leur accent me faisait honte. Je ne voulais pas inviter des amis chez moi de peur qu'ils les entendent parler. En tant qu'adulte, j'ai honte d'avoir ressenti ça. Mes parents m'ont tout donné, ils ont sacrifié une partie de leur bonheur pour me donner une bonne éducation. C'est bouleversant de voir que les média peuvent influencer nos sentiments. On ne s'en rend pas compte tout de suite. C'est enfoui profondément, et cela génère un manque de confiance en soi dont on se passerait bien!

D'après toi, pourquoi la génération de nos parents ne s'est-elle pas exprimée là-dessus?

Parce qu'ils devaient faire profil bas et travailler. S'ils parlaient, ils prenaient le risque d'être virés, que ça retombe sur eux ou leur famille. Ou bien ils n'avaient tout simplement pas le temps, occupés à des choses plus importantes. Je peux le comprendre. Ma mère m'a dit que la représentation des Indos-Américains dans les médias ne la gênait pas vraiment, jusqu'à ce qu'elle découvre qu'on se moquait de ses enfants: elle a alors compris l'impact que cela pouvait avoir. Toutes ces choses sont importantes. Pour nos parents, tout tournait autour du travail, le reste importait peu. Alors que les gens de ma génération estiment avoir le droit d'être traités comme les autres. J'ai grandi dans ce pays. Je suis chez moi. Je vis ici. Pourquoi devrais-je être traité différemment?

Kondabolu speaks with actor Kal Penn.
The Problem With Apu truTV
Kondabolu speaks with actor Kal Penn.

Aurais-tu pu faire ce film, il y a dix ans? En quoi notre société a-t-elle changé au cours de cette décennie?

Il y a dix ans, personne n'aurait financé ce projet. Je pense que le problème de la représentation faisait déjà l'objet de nombreuses discussions à l'époque, surtout pour les Américains d'origine asiatique. Mais le nombre limité d'acteurs, de célébrités ou d'élus originaires de l'Asie du Sud-Est ne leur permettait pas de se faire entendre. Il y a dix ans, nous étions en 2007. Aziz [Ansari] n'était pas l'Aziz que nous connaissons aujourd'hui. Beaucoup n'avaient pas la même influence. Mindy [Kaling] était juste un personnage secondaire dans "The Office". Elle n'avait pas encore sa propre série, ce n'était pas une star, auteure de livres à succès. Notre influence dans la communauté a grandi et notre culture, ce que nous sommes et ce que nous pensons, tout cela intéresse de plus en plus de gens. Il y a dix ans, ça n'aurait pas été possible. J'ai l'occasion de faire ce film aujourd'hui, mais il aurait été encore plus pertinent à l'époque.

Dans Les Simpson, Apu est marié à Manjula Nahasapeemapetilon. Ils ont huit enfants.
Fox
Dans Les Simpson, Apu est marié à Manjula Nahasapeemapetilon. Ils ont huit enfants.

À partir de quel instant le personnage d'Apu est devenu inacceptable? Est-ce qu'il y a des moments clés dans notre histoire culturelle qui t'ont marqués?

C'est certainement la création de personnages plus complexes, comme celui que joue Kal Penn dans Harold et Kumar chassent le burger. Je me souviens que ce film était révolutionnaire, quand il est sorti. C'est un stoner film (littéralement, "un film de défoncés") mais à l'époque, c'était excitant de voir un Américain d'origine indienne incarner autre chose qu'une caricature. Kal avait joué le rôle de Taj Mahal dans "American Party", un personnage plat. Et puis, soudain, il avait le droit de jouer quelqu'un de crédible, qui nous ressemble.

En plus, son personnage n'est pas très sympathique. Il a des problèmes. En un sens, c'est triste que ce soit ça qui ait été révolutionnaire. "Eh, regardez, un type bronzé qui a l'air comme nous et qui fume de l'herbe!" Mais c'était un choc à l'époque. Jusqu'alors, nous n'avions pas voix au chapitre. Un autre moment clé, c'est quand Aasif Mandvi a rejoint le "Daily Show". C'était génial, parce que c'était l'émission dont tout le monde parlait, et Aasif en faisait partie. C'était très important de voir tous ces gens percer en interprétant des personnages crédibles.

Que dirais-tu à Hank Azaria si tu l'avais en face de toi?

Ce n'est pas vraiment lui le problème. On a utilisé toute cette histoire avec Hank dans un but narratif. C'est une manière d'entrer dans le film, mais ce n'est pas le propos du film. Celui-ci évoque de vraies questions, celles du dialogue, de l'héritage. Je crois qu'on aime taper sur les gens dans notre société, les montrer du doigt, les briser. Et tout ça pour quoi? Ce n'est pas très productif. Je me fiche de la personne qui a créé ce personnage. Ce qui m'intéresse c'est le système dans son ensemble. Les gens se disent sûrement que je vais l'humilier alors qu'au fond, on s'en fout un peu. Beaucoup de gens ne regardent même plus Les Simpson et ne savent pas qui est Apu. Ce sont les idées qui m'importent, pas lui.

Dans le film, tu évoques le "patanking" (expression de l'actrice Saking Jaffrey pour désigner la caricature d'accent indien que les comédiens originaires d'Asie du Sud sont parfois contraints de prendre à la demande des réalisateurs occidentaux). Que penses-tu de cette pratique lorsqu'elle concerne les acteurs américains d'origine indienne? Est-elle parfois justifiée?

Je crois que j'étais beaucoup moins tolérant sur ce genre de choses quand j'étais plus jeune. Aujourd'hui, je comprends. Quand tu es acteur, tu as envie de travailler et tu te dis que tu finiras par décrocher un rôle qui justifie de faire de telles choses. Au moins, ces acteurs peuvent donner au personnage une certaine dignité dans son indignité. Parce que le personnage a le mérite d'exister. Si nous ne jouons pas nous-mêmes ces rôles, ils prendront un Blanc pour le faire. Donc je comprends et je compatis.

Ce que je n'apprécie pas, c'est qu'ils soient obligés de le faire. Je me sens chanceux d'être avant tout un comédien et pas un acteur. Les acteurs sont coincés. On écrit pour eux et ils doivent faire un choix: "Est-ce que je dois accepter ce rôle, est-ce que je peux me permettre de dire non à ce qui pourrait me faire connaître?" Alors qu'un comédien se dira: "Si je ne veux pas jouer ce rôle, je continuerai à faire du stand-up, comme je l'ai toujours fait." J'ai une liberté qu'ils ne possèdent pas. En cela, je suis vraiment chanceux.

Hari Kondabolu also spoke wth actress Whoopi Goldberg about Hollywood's use of caricatures and blackface to portray people of color.
The Problem With Apu truTV
Hari Kondabolu also spoke wth actress Whoopi Goldberg about Hollywood's use of caricatures and blackface to portray people of color.

D'un côté, c'est super que des acteurs originaires d'Asie du Sud soient pris pour des rôles qui n'ont pas un lien explicite avec leur origine. Mais c'est aussi important de les voir incarner des personnages qui reflètent le quotidien de leur communauté, pour parler des défis et des victoires qui accompagnent la vie d'un Américain d'origine indienne. Comment trouves-tu l'équilibre entre ces deux objectifs?

La situation idéale, c'est d'avoir un personnage à plusieurs facettes. Quand je me balade dans la rue, je ne me dis pas: "Eh, regardez, les gars, je suis Indien!" Si on en parle, pourquoi pas. Mais si ça n'est pas évoqué, je fonctionne et je vis comme n'importe quel être humain. Ce sont souvent les autres qui me rappellent ma couleur de peau. Pour trouver l'équilibre, il ne faut pas avoir honte de qui on est, ni tenter de le dissimuler. En même temps, l'identité d'une personne ne se réduit pas à des caractéristiques ethniques ou culturelles.

En tant que créateur de contenus, en tant que réalisateur de ce film, en tant que personne intéressée par l'écriture et la production, j'aspire à montrer des personnages complexes. J'espère qu'on verra davantage de personnes de couleurs, de femmes et de membres de la communauté LGTB participer à l'écriture de scénarios. Aujourd'hui, les scénaristes sont essentiellement des hommes blancs. Ça donne des personnages à la fois mauvais et incohérents. C'est cool d'avoir des alliés blancs mais au lieu de parler en notre nom, ils feraient bien d'embaucher des gens comme nous. Je pense que c'est ça, le problème de fond. Les acteurs ne reçoivent que des miettes. La création du scénario se déroule souvent très loin d'eux.

The Problem with Apu sera diffusé aux Etats-Unis le dimanche 19 novembre à 22 h sur truTV.

Cette interview a été condensée par souci de clarté.

Cet article, publié à l'origine sur le HuffPost américain, a été traduit par Catherine Biros, Héloïse Guilloteau, Elisabeth Mol et Bamiyan Shiff pour Fast For Word.

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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