ATTENTAT- Une simple camionnette pour semer la terreur. Mardi 31 octobre, dans l'après-midi, un homme au volant d'une camionnette a foncé sur des passants et des cyclistes à Manhattan, faisant huit morts et onze blessés. Une attaque au véhicule bélier perpétrée alors que riverains et touristes déambulaient dans les rues, déguisés, à l'occasion d'Halloween.
Deux autres cas d'attaque au véhicule bélier ont été recensés cette année aux Etats-Unis: le 22 mai, déjà à New York, un ancien militaire lance sa voiture à toute allure sur le trottoir à Times Square, tuant une jeune femme et blessant 22 autres personnes. L'enquête a montré que l'homme souffrait de troubles mentaux. Le 12 août, lors d'un rassemblement de l'extrême droite à Charlottesville, une femme de 32 ans est tuée lorsqu'une voiture fonce, volontairement selon des témoins, dans une foule de contre-manifestants.
Si l'attaque du 31 octobre n'a pas été revendiquée, les premiers indices des enquêteurs laissent penser à un attentat à caractère islamiste, une première sur le sol américain via un véhicule bélier. En revanche, cette façon de semer la terreur renvoie à un modus operandi déjà utilisé de multiples fois en Europe lors d'attentats revendiqués ou attribués au groupe Etat islamique, notamment en 2017.
Le 22 mars, un Britannique converti à l'islam avait lancé sa voiture dans la foule sur le pont de Westminster, face à Big Ben, tuant quatre personnes, avant de poignarder à mort un policier et d'être abattu par la police. L'attentat a été revendiqué par l'EI. Le 3 juin, trois assaillants à bord d'une camionnette ont renversé des piétons sur le London Bridge, avant d'attaquer au couteau les passants. Bilan: huit morts et une cinquantaine de blessés. L'EI a revendiqué l'attentat 24 heures après. Deux semaines plus tard, un véhicule a foncé sur des fidèles qui sortaient de la mosquée de Finsbury Park. Bilan: un mort et une dizaine blessés. L'assaillant a été mis en examen pour "meurtre lié au terrorisme".
Londres n'est pas la seule ville touchée par ce genre d'attentat. On compte également en France l'attaque des Champs-Elysées le 19 juin, et celles, meurtrières, des Ramblas de Barcelone et Cambrils, en Espagne, qui ont fait 16 morts et plus de 120 blessés le 17 août.
Des attaques impossibles à prévenir
"Le terrorisme nourrit le terrorisme et les auteurs passent à l'acte non pas sur la base de complots soigneusement préparés, mais ce sont des attaquants isolés qui se copient souvent les uns les autres en utilisant les moyens les plus grossiers", expliquait Theresa May après l'attaque sur le London Bridge. Face à la presse, elle ajoutait que la réponse ne pouvait pas être seulement les opérations militaires anti-terroristes permanentes, mais devait aussi se jouer sur le terrain des idées et sur internet "pour éviter la propagation de l'extrémisme et des opérations terroristes". Et c'est bien là "l'un des grands défis de notre temps", estimait-elle.
Des attentats comme ceux de Manhattan, des Ramblas et de Londres -mais aussi précédemment ceux de Nice, Berlin, Stockholm ou Westminster- renvoient à un mode opératoire encouragé par les groupes terroristes comme l'Etat islamique ou plus anciennement Al-Qaida. Commis avec un véhicule, ils sont quasiment impossibles à prévenir si les auteurs font preuve d'un minimum de prudence dans les préparatifs, estiment experts et officiels. Même la surveillance d'individus suspects ou repérés ne pourra jamais être la garantie absolue qu'ils pourront être arrêtés avant de passer à l'acte, si rien dans leur comportement ne permet de conclure à l'imminence d'une action terroriste.
"Les attaques simples impliquant des véhicules ont augmenté récemment, car elles sont faciles à monter et sont les plus difficiles à empêcher pour les services de sécurité", estimait en juin Alan Mendoza, directeur du centre de réflexion britannique Henry Jackson Society. Ce terrorisme rudimentaire est déjà employé depuis plus d'une dizaine d'années, notamment dans le cadre du conflit israélo-palestinien. "Nous devons attendre d'avoir davantage de détails, mais l'attaque de Londres semble reliée à toutes celles qui, en Occident, ont au moins été inspirées par des groupes comme l'État islamique", a estimé Henry Jackson Society.
Avec "la simple location d'une camionnette, aucune alarme ne se déclenche"
Les groupes jihadistes appellent, depuis des années maintenant, leurs partisans à passer à l'action là où ils résident, en employant les moyens à leur disposition. En septembre 2014 par exemple, le Syrien Abou Mohammed al-Adnani, porte-parole de Daech, diffusait un message audio incitant les sympathisants de l'EI à tuer "les infidèles": "Fracassez-lui le crâne avec une pierre, tuez-le à coups de couteau, écrasez-le avec sa voiture, jetez-le d'une falaise, étranglez-le ou empoisonnez-le", exhortait-il. Comprendre qu'en l'absence de moyens, tous les outils sont bons pour perpétrer un attentat.
"Plus l'action est simple, moins il y a de préparatifs opérationnels, achat de matériel, d'armes, d'explosifs, plus il est compliqué de les détecter, parce que moins le comportement est suspect" assure à l'AFP Yves Trotignon, ancien membre des services anti-terroristes de la DGSE.
"Le contre-terrorisme, c'est de la prévention", dit-il. "On arrête les gens quand on a des éléments à charge, qu'on a des raisons de penser qu'un crime va être commis. C'est possible quand les gens sont connus, surveillés, ou quand ils apparaissent d'un coup sur le radar, parce qu'ils sont en train de préparer quelque chose". "Mais si ce quelque chose est la simple location d'une camionnette, aucune alarme ne se déclenche", souligne-t-il.
Jusqu'où peut aller le renseignement?
Face à ce type de menace, il faut mettre l'accent sur la rapidité de réaction, à la fois des forces de l'ordre et des services de secours, qui, dans le cas de l'attaque à Londres, ont été efficaces, souligne Yves Trotignon. "La réponse, sur le terrain, c'est d'avoir des équipes d'intervention qui sont pré-positionnées, et interviennent le plus vite possible pour limiter les dégâts", estime-t-il.
Pour Christian Estrosi, le maire de Nice, cette guerre doit se gagner en amont: "On est sans doute un des pays qui a investi le moins dans ses services de renseignement. Et c'est par le renseignement qu'on pourra le mieux prévenir, au-delà des sanctions et des mesures pour mettre à l'isolement, pour éradiquer, pour cerner, pour gagner la guerre qui nous est livrée et que nous devons absolument gagner. Nous ne pourrons la gagner qu'en étant coordonnés et unis. Non seulement l'ensemble de l'Union européenne, mais les Etats-Unis, la Russie, Israël, tout le monde doit mener cette guerre en additionnant nos forces".
Mais le renseignement a aussi ses limites. Surveiller physiquement, 24 heures sur 24, un suspect mobilise une vingtaine de policiers: tous les membres présumés de réseaux jihadistes et leurs sympathisants ne pourront donc jamais être tous suivis en permanence. Et même s'ils l'étaient, comment savoir quand quelqu'un monte dans une camionnette s'il a l'intention d'aller dans le centre de Londres écraser des passants ou simplement d'aller faire une course au supermarché ?
"Il faut éviter la démagogie", confiait à l'AFP la sénatrice française Nathalie Goulet, co-présidente de la commission d'enquête sur la lutte contre les réseaux jihadistes, "tout le renseignement du monde n'empêchera pas ce genre d'attaque." "Ça ne les rend pas acceptables et il ne faut pas démissionner, mais il faut regarder la réalité en face. Faire croire aux gens qu'en bannissant les musulmans (...) ou en fermant les mosquées, on règlera le problème est un mensonge. Au contraire, cela nourrirait l'argumentaire du (groupe) État islamique", ajoutait-elle.
"Un type qui prend sa voiture, fonce sur des gens et les poignarde... Il faut malheureusement que l'on apprenne à vivre avec ça et que chaque citoyen s'occupe de la vigilance, a-t-elle conclu.
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