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«Ce qui restera», Catherine Mavrikakis déjoue la malédiction de sa mort

L'auteure revisite sa vie pour comprendre comment elle a échappé à son destin.
Lisa D. Meiler

Toute sa vie, Catherine Mavrikakis a cru qu'elle allait mourir à 36 ans, résultat d'un mauvais sort qu'on lui aurait lancé à la naissance, lorsqu'elle a hérité du prénom de sa grand-mère morte au même âge. Pourtant, l'écrivaine a surpassé l'âge fatidique, et voilà qu'elle revisite son enfance, son adolescence et sa vie d'adulte pour comprendre comment elle a échappé à son destin. Un retour dans le passé qui donne l'un des premiers titres de la collection «III» dirigée par Danielle Laurin (Québec Amérique) : Ce qui restera.

Quel est le concept de la collection III?

Danielle Laurin sollicite des auteurs de plusieurs horizons en leur demandant de raconter trois souvenirs réels avec des parcelles de fiction. Marc Séguin et moi sommes les deux premiers à participer, mais ça va se poursuivre. Quand j'ai reçu la proposition, j'ai hésité puisque je travaille habituellement avec Héliotrope, où je me sens très bien. Mais comme j'ai des soucis avec ma mère et sa santé présentement, je réfléchis beaucoup à mon passé, et l'offre de Danielle tombait à point.

Comment as-tu abordé cette quasi-carte blanche?

C'était un peu angoissant au début. Je me demandais ce que j'allais faire et de quelle façon organiser tout ça. C'est pour cette raison que je tenais à écrire une préface sur la présence de ces femmes mortes autour de moi, en questionnant l'existence d'une malédiction à ma naissance. Mon concept s'est vite imposé. C'était un peu un écho à mon premier livre publié en 2000, Deuils cannibales et mélancoliques, sur les hommes morts du sida très jeunes autour de moi.

Est-ce que ça la malédiction t'a troublée toute ta vie?

Complètement. J'étais certaine que j'allais mourir à 36 ans, surtout avec toutes ces personnes qui mourraient vraiment jeunes autour de moi. Je me disais que je n'y échapperais pas. C'est venu jouer dans mes peurs... pas seulement celle de mourir, mais aussi de ne pas pouvoir sortir d'un système familial. Je me demandais comment m'inventer une vie quand quelqu'un a décidé que la mienne serait d'être le double de ma grand-mère, que je n'ai pas connue d'ailleurs.

Tu parles de ce concept comme la «préhistoire de soi». Qu'est-ce que c'est?

Je trouve qu'on n'existe pas seulement au moment où on nait. Il y a des gens qui nous ont voulus, désirés ou pas. Tout ce qui a été dit ou pensé sur notre existence ou sur notre non-existence nous accompagne dans la vie. Particulièrement dans le cas des «enfants de remplacement» qui étaient très courant à l'époque des grandes familles. Dans le cas de mon père, il ne pouvait pas m'accueillir sans penser à sa mère : je la remplaçais carrément. Il me l'a dit. Il affirmait que j'avais des cernes sous les yeux – je suis née comme ça – en raison d'une maladie du rein comme celle de ma grand-mère. Il était constamment dans la comparaison. Il était fou.

Outre le nom qu'ils t'ont donné, comment tes parents ont-ils tenté de construire ta vie?

Mon père a toujours voulu que je sois avocate, parce qu'il aimait les femmes fortes comme sa mère. Au début, ça me plaisait bien, car c'est un métier dans la parole. Mais comme mon père était un escroc, je serais devenue avocate pour le défendre... Je me suis dit que je ne pouvais pas être dans la «famille». Ma mère ne décidait rien sur mon destin, mais elle essayait de contrôler tous les petits détails de la vie. Alors que mon père, dans la vie quotidienne, il n'intervenait jamais.

Était-ce complexe de trouver trois événements expliquant comment tu as échappé à ton destin?

Le premier est venu naturellement. Quand j'étais petite, ma mère nous donnait le droit de rien faire à mon frère et moi. Elle nous faisait peur en nous disant qu'on allait mourir si on sortait de la maison. Elle aurait voulu garder ses enfants pour elle et qu'on reste petits pour toujours. Le deuxième était assez naturel aussi, puisqu'il est en lien avec une amie très importante qui est morte il n'y a pas si longtemps. Sa mort a fait ressurgir beaucoup de choses en moi. Par contre, le troisième était plus difficile, un peu imprécis. Je ne voulais pas en parler. Je préférais montrer qu'il revient chaque fois qu'une catastrophe survient dans ma vie, sans que j'arrive à m'en rappeler précisément. Je voulais expliquer comment j'ai traversé ces malédictions et comment, même si je ne suis pas morte, plein de gens sont décédés autour de moi, et qu'on meurt un peu chaque fois qu'on perd quelqu'un.

On découvre une Catherine bien sage durant l'enfance et l'adolescence. Mais à quelques reprises, elle ose contredire ses parents. C'est ce qui t'a sauvée?

Absolument. Les moments où je me révolte, quand je pars à bicyclette à six ans ou quand mon père veut assassiner tout le monde et que je lui dis qu'il ne fera plus jamais ça, sinon il aura affaire à moi, ça a tout changé. Je ne sais pas d'où me vient cette force. Une part de moi pense que c'est un peu étonnant que je l'aie eue.

As-tu hésité avant de présenter tous les travers de tes parents avec autant de franchise?

Je n'ai pas protégé mes parents dans le texte, parce qu'ils n'ont pas à l'être. Ils ne m'ont pas beaucoup protégée eux-mêmes. Je n'ai pas pensé à leurs réactions, puisque mon père est mort et ma mère ne lit pas ce que j'écris. La seule personne à qui j'ai pensé, c'est mon frère, parce qu'il va reconnaître ce qu'on a vécu. Ça va le troubler un peu.

Que ressentais-tu en revisitant ces souvenirs?

Chaque fois que j'écris sur mes parents, je m'aperçois de la non-normalité dans laquelle on vivait, mais sinon, je n'y pense pas. Cette vie-là était normale pour moi. Mon père faisait vraiment des tentatives de suicide une fois par mois et il a essayé de nous tuer plusieurs fois. Je ne me rendais pas compte que c'était anormal. Alors, je n'ai rien à régler à ce sujet, car ces événements ne se sont pas inscrits en moi comme de l'anormalité. Par contre, c'était agréable d'en faire une forme, un livre. De faire en sorte que ce ne soit pas juste dans ma tête. Que ça existe un peu plus à l'extérieur de moi. C'est une forme de mise à distance. Que je dois peut-être toujours recommencer...

Courtoisie

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