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«Les désordres amoureux» de Marie Demers: le roman de l’éternelle insatisfaction

Le deuxième roman de Marie Demers parlera particulièrement fort aux membres des générations X et Y.
Marie-Pier Lavoie

Marianne n'a pas oublié son ex, son amoureux record avec qui elle a été pendant 437 jours. Elle flanche pour les égoïstes en acceptant quelques parcelles d'attention, même si elle est consciente de leur absence de potentiel amoureux. Elle couche avec – plusieurs – hommes qui lui servent des gestes mécaniques, sans se préoccuper de son plaisir.

Insatisfaite de sa vie relationnelle et sexuelle, elle part en Colombie pour déconnecter de Montréal et entreprendre l'écriture d'un premier roman, sans éviter le retour de certaines fâcheuses habitudes. Franche et entière, elle ne se gêne pas pour juger l'inculture des autres, tout en doutant férocement d'elle-même. Intense, drôle, vulnérable, limite Borderline (selon ses mots) et profondément attachante, elle permet à sa créatrice Marie Demers de publier un deuxième roman qui parlera particulièrement fort aux membres des générations X et Y.

Courtoisie

As-tu l'impression de t'inscrire dans un courant d'auteurs en particulier?

Je me reconnais beaucoup dans la vague générationnelle entre 20 et 40 ans. On fait beaucoup d'autofiction, avec une certaine trashitude, un réel brut, de l'ironie, du sarcasme, de l'autodérision et une lucidité dans l'écriture. Même si on est tous différents, on est lié dans notre travail, avec nos préoccupations, nos intérêts et plusieurs thèmes qui se recoupent.

Comme tu donnes beaucoup dans l'autofiction, est-ce qu'on peut dire que Marianne est un peu la suite logique d'Ariane, le personnage en partie inspiré de toi dans ton premier roman In Between?

Oui. J'ai joué avec ça: Marie, Ariane, Marianne. Même si j'envisage Marianne comme un personnage détaché de moi, je me place au-dessus d'elle et je porte un regard critique sur ce qui se passe. Dans In Between, je me censurais un peu pour protéger mon entourage, étant donné que je parlais d'un sujet délicat: la famille. Mais dans Les désordres amoureux, je n'étais pas dans la volonté de protéger personne. Je voulais pousser l'autofiction au maximum et exposer les désastres amoureux dans ce qu'ils ont de plus laid: les relations qui ne fonctionnent pas, les catastrophes et les injustices qu'on vit en tant que femmes. J'avais l'impression d'en avoir vécues beaucoup. Mais je n'ai pas tout raconté. J'ai fait un tri et j'ai changé des affaires. Ce n'est pas du tout une biographie.

Quand on s'attarde au fond, on comprend à quel point les amours de Marianne sont désordonnées. Pourquoi désirais-tu aussi illustrer le désordre dans la forme avec une structure en pièces détachées?

J'ai de la misère à écrire de façon linéaire. J'aime donner un défi supplémentaire aux lecteurs en superposant des univers et des temporalités pour montrer l'avant, l'après et le maintenant. Je trouve ça intéressant de tout mélanger pour voir comment certains patterns restent et d'autres changent. C'est un peu comme quand tu vas chez le psy, tu ne pars pas du début en allant vers la fin. Tout va se mêler.

Pourquoi décris-tu cette histoire comme le roman de l'éternelle insatisfaction?

Marianne s'arrange pour ne jamais être satisfaite, et quand elle l'est, elle s'arrange pour ne pas aller au bout de sa satisfaction. Je trouve que c'est super caractéristique de notre génération. On est pris avec une espèce de quête éternelle de bonheur, tout en s'arrangeant pour ne pas le trouver ou pour le saboter quand on le trouve. Le roman met en lumière l'autosabotage de Marianne et ses éternels recommencements. Elle essaie avec plein de gars nouveaux, elle revient avec des ex et elle enchaîne les débuts, comme si l'aboutissement était effrayant. Elle veut faire de l'ordre dans sa vie et elle est consciente de ses bibittes, mais elle ne sait pas comment ne pas être elle-même.

Est-ce qu'elle croit en l'amour ou elle est convaincue que les histoires du «nous» durable ne sont que des «esties de menteries», comme tu l'écris?

Elle aime l'idée, mais dans la pratique, ça ne fonctionne pas pour elle et elle le sait. Je voulais montrer que les désordres amoureux sont en réalité un symptôme de son éternelle insatisfaction, qui se déploie dans plusieurs sphères de sa vie. Quand elle finit sa maîtrise, elle pète un plomb et elle ne profite pas du tout du moment où elle dépose son mémoire. Rien n'est jamais assez.

Peut-on tracer un parallèle entre son réflexe d'abandonner certains emplois sans avoir fourni tous les efforts nécessaires et sa recherche amoureuse bardée de critères qui n'aboutit pas parce que tout ne lui tombe pas tout cuit dans le bec?

Tout à fait. Notre génération s'est fait dire qu'elle pouvait tout faire, mais ce n'est pas ça la réalité. On a beaucoup d'obstacles financiers et on manque d'opportunités. À cause de ça, on a beaucoup d'attentes et à un moment donné, on a peur que ça n'aboutisse pas. Donc, au lieu de se faire rejeter par quelqu'un, on le laisse avant. C'est la même chose avec le travail. C'est plus une protection qu'une incapacité à fournir les efforts requis. Je trouve que notre génération travaille très fort, malgré le gros cliché des enfants qui ont eu tout cuit dans le bec.

Pourquoi c'est important de camper une partie de tes histoires à l'étranger?

Le recul du voyage est extrêmement éclairant. À l'étranger, tu vois où tu étais avant de partir et comment tu veux être en revenant. Et la situation permet à Marianne de vraiment goûter au moment présent et d'en être comblée, alors que le reste de son histoire expose le sentiment inverse. Aussi, la portion qui se déroule en Colombie est plus légère que ce qui se déroule à Montréal. Je voulais faire respirer le lecteur.

Quand elle débute son roman en Colombie, elle évoque son envie d'absolu et son désir de créer quelque chose d'immensément douloureux et de terriblement beau. Est-ce qu'on peut comparer sa volonté d'ébranler les lecteurs avec ses mots et son désir de troubler un homme en amour?

Ce qu'elle ne trouve pas dans sa vie amoureuse, elle voudrait que les lecteurs le ressentent d'elle. Je pourrais dire la même chose de moi, maintenant. Écrire, c'est une quête d'amour. Certains auteurs disent que c'est dont ben pas important la réception, mais ce n'est pas vrai. Moi, je carbure au bonhomme de 55 ans qui me dit qu'il a pleuré en lisant mon roman. C'est ça qui me fait vivre!

As-tu l'impression que ta plume est plus confiante?

J'en suis convaincue. Je suis en train de me trouver à travers mon style, qui est très singulier. Que les gens aiment ça ou non, ils savent qu'ils lisent du Marie Demers. C'est incisif, trop des fois, intense et drôle à la fois.

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