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« Chenous », la poésie délicate et douloureuse de Véronique Grenier

Entrevue avec Véronique Grenier
Marc-Étienne Mongrain

Chenous, c'est le doute de sa signifiance, l'anxiété de son existence, le cri étouffé dans l'oreiller et la pensée, de moins en moins passagère, qu'il vaudrait peut-être mieux en finir... jusqu'à ce qu'on les voit, eux, les petits bouts de vie qui fournissent toujours de nouvelles raisons de s'accrocher. C'est un petit livre de rien du tout qui dit de grandes choses, de la poésie tissée de mots simples et des tournures de phrases qui catapultent ses lecteurs dans la réalité. C'est une autre preuve du talent de Véronique Grenier, qui avait déjà fait exploser les cœurs avec Hiroshimoi.

Qu'est-ce que l'écriture t'apporte au quotidien?

L'écriture, c'est une impulsion viscérale de dire. C'est un besoin de crier. C'est une manière d'avoir une prise sur des choses, quand j'ai l'impression que le monde m'échappe. Lorsque j'écris, momentanément, j'arrive à tenir quelque chose avec l'encre de mon crayon ou les touches de mon clavier.

As-tu l'impression de te dévoiler entièrement dans Chenous?

Je donne vraiment accès à quelque chose de moi, mais tout n'est pas tiré d'une expérience vécue. Certains trucs sont de l'ordre du fait raconté ou du ressenti. Ma subjectivité se dilue dans plusieurs expériences humaines dont j'ai été témoin. Quand les gens me lisent, plusieurs me disent « on dirait que tu es dans ma tête et que tu racontes mon histoire ». Je pense que l'un des plus grands plaisirs de lecture, c'est quand les auteurs mettent des mots sur des émotions qu'on a déjà vécues et qu'on ignorait que des mots existaient pour en parler. Ça comble une impression d'esseulement. C'est ce que je cherche à faire dans mon écriture.

De quelle façon la présence de tes enfants t'a aidé à sortir de ta dépression?

J'avais une obligation d'enracinement, parce qu'ils étaient là. Ce n'est vraiment pas évident de vivre des problématiques de santé mentale qui créent des souffrances physiques qu'on aimerait arrêter par tous les moyens. Parfois, on se convainc que nos enfants seraient mieux sans nous, qu'on n'est pas de bonnes personnes ni de bons modèles. Mais finalement, je voulais aller mieux pour eux. Je me suis obligée à passer à travers cette souffrance pour être avec eux, pleine et entière.

Est-ce que l'écriture t'a aussi soutenue dans ton cheminement ?

Écrire la souffrance que je ressens durant une crise d'anxiété m'aide généralement plus vite qu'un Ativan. Pour moi, c'est une manière d'avoir un contrôle en sortant de mon corps et en créant un objet sur lequel j'ai une emprise. Ça n'enlève pas la douleur. Mais ça me permet de regarder mon mal de l'extérieur. En dépression, tout crisse le camp : tu n'es plus capable de faire des toasts, tu ne dors plus, tu ne manges plus, tu es complètement désorganisé, tu redeviens comme un enfant et en plus, tu as mal. Donc, si pendant deux minutes, je peux contrôler mon crayon, mes mots et mon papier, c'est déjà beaucoup.

Écrire te fait du bien, mais pourquoi choisir de publier tes mots ?

C'est important que le « laite » et la vulnérabilité apparaissent dans l'espace public. Quand je n'allais pas bien, j'ai lu Virginia Woolf, Sylvia Plath et plusieurs mémoires sur la dépression. Ça me faisait du bien. Je voyais que d'autres avaient vécu ça et ressenti les mêmes images que moi. Quand j'ai commencé à écrire sur ce que je vivais, le livre s'est imposé. Plus on va avoir d'images concrètes de la dépression, plus les préjugés vont s'atténuer.

Ta poésie est loin d'être hermétique. Pourquoi privilégies-tu la simplicité ?

Ça m'a longtemps complexée de faire ce que je fais là, de raconter la banalité des choses. Mais avec le temps, je me suis aperçu que c'était ben correct, qu'il y avait de la beauté dans l'ordinaire. J'ai envie de le raconter. Et j'ai besoin de rejoindre le monde. La vie est courte, alors aussi bien qu'une œuvre nous rentre dedans tout de suite.

Es-tu consciente que tu fais partie des rares poètes qui ont une place dans le cœur de plusieurs lecteurs ?

Oui, je commence à l'accepter. Les gens qui me lisent beaucoup dans Urbania et le blogue Les p'tits pis moé m'ont donné accès rapidement à leurs tripes, parce que ce que j'écris est accessible et parce que je ne suis pas intimidante. Au début, je pensais que seulement 20 amis achèteraient Hiroshimoi parce qu'ils me prendraient en pitié, et j'en voulais à mon éditeur d'avoir imprimé autant de copies. Je me sens hyper privilégiée d'avoir une telle réception.

L'automne dernier, tu as participé au recueil collectif Sous la ceinture – Unis pour vaincre la culture du viol. Que voulais-tu illustrer dans ta nouvelle ?

J'ai écrit une première partie plus littéraire et une deuxième qui se rapproche de l'essai, dans laquelle la prof de philosophie en moi embarque et explique. C'est cru par moments, mais des fois, c'est comme ça que les gens comprennent. Je voulais générer de l'empathie, de la compréhension et de la sensibilité, tout en donnant des pistes de solutions accessibles.

Tu es aussi porte-parole de l'organisme Sans oui, c'est non. Pourquoi t'impliques-tu autant dans cette cause ?

Parce que c'est une réalité tellement violente et tellement présente, mais qui reste cachée au fond du corps des gens qui la vivent. Je veux que le monde change et je prends les moyens qui sont à ma portée. Un jour, j'ai écrit un article sur un truc qui m'énervait, puis un deuxième, puis on m'a demandé de faire une conférence, puis j'ai abouti dans cet organisme que j'ai endossé, puis j'ai débuté les conférences avec Koriass. Je sens que j'arrive à rejoindre les gens sans les braquer, avec ma manière de m'exprimer, mon côté prof et ma sensibilité à la souffrance.

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