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Délais judiciaires: la Cour suprême confirme l'arrêt Jordan dans l'arrêt Cody

Délais judiciaires: la Cour suprême confirme l'arrêt Jordan
brown gavel and open book on a wooden table of the law in the courtroom
serggn via Getty Images
brown gavel and open book on a wooden table of the law in the courtroom

La Cour suprême du Canada (CSC) persiste et signe. Dans une décision cette fois unanime, les juges du plus haut tribunal au pays ont envoyé vendredi un message clair: l'arrêt Jordan est là pour rester, et il doit être appliqué.

L'arrêt Cody vient renforcer et clarifier celui tombé en juillet dernier avec Jordan. La décision signée "La Cour", un geste que les magistrats posent pour envoyer un signal d'unité, exhorte les acteurs du système judiciaire et les gouvernements à se faire à l'idée, et à se relever les manches.

"C'est ce cadre qui régit dorénavant l'analyse requise pour l'application de l'al. 11b) (de la Charte canadienne des droits et libertés) et, à l'instar des prescriptions de tout autre précédent de la Cour, il doit être suivi et il ne saurait être infirmé ou écarté à la légère", y tranche-t-on.

Car les retards attribuables aux dysfonctionnements de la machine judiciaire briment le droit de toute personne à être jugée dans un délai raisonnable que garantit cet article de la Charte. Ainsi, les plafonds établis dans l'arrêt Jordan doivent être respectés, tranchent les sept juges.

"Correctement appliqué, ce cadre accorde déjà suffisamment de souplesse, en plus de prévoir la période de transition requise pour que le système de justice criminelle puisse s'adapter", est-il écrit dans l'arrêt relativement succinct de vendredi.

C'est la réponse qu'offrent les juges du plus haut tribunal au pays aux procureurs des provinces qui sont intervenus dans cette cause — le Québec, l'Ontario, l'Alberta, la Colombie-Britannique et le Manitoba — pour réclamer davantage de flexibilité pendant la période de transition.

Pour les inculpations de l'ère pré-Jordan, la gravité du crime pourra peser dans le calcul du délai. Mais le ministère public devra établir que "le temps qui s'est écoulé est justifié du fait que les parties se sont raisonnablement conformées au droit tel qu'il existait au préalable".

L'enjeu de la période transitoire était au centre de l'arrêt Cody.

Et le cas de l'appelant — un Terre-Neuvien sous le coup depuis 2010 de chefs d'accusation de possession de stupéfiants et d'armes qui n'avait toujours pas subi son procès en 2015 — illustre parfaitement "pourquoi un changement est nécessaire", soulignent les magistrats.

"Entre le moment où l'appelant James Cody a été accusé d'infractions liées aux drogues et aux armes et la date à laquelle son procès de cinq jours devait commencer (date antérieure à l'arrêt Jordan de notre Cour), cinq années complètes se sont écoulées", illustrent-ils.

Les magistrats ont donc ordonné l'abandon des accusations qui pesaient contre l'homme, dont le cas vient s'ajouter aux multiples autres s'étant multipliés à travers le pays au cours des derniers mois.

L'électrochoc Jordan a été dur à encaisser pour les gouvernements provinciaux, responsables de l'administration de la justice. Au Québec seulement, trois personnes accusées de meurtre ont vu tomber les accusations qui pesaient contre elles.

Et en date du 18 mai dernier, 895 requêtes en arrêt des procédures avaient été déposées pour délais déraisonnables, dont 542 en matière criminelle et 353 en matière pénale, selon le site internet du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

Le premier ministre Justin Trudeau a dit comprendre l'inquiétude de la population face à cette situation.

"Ça fait partie d'un pattern qui est très troublant, et pour nous en tant que gouvernement, et pour les Canadiens", a-t-il lâché vendredi après-midi en conférence de presse conjointe au parlement avec son homologue belge Charles Michel.

Il a assuré que le gouvernement travaillait "assidûment pour remplir tous les postes judiciaires" vacants et qu'il était impatient de créer les 15 nouveaux postes de juge prévus dans le projet de loi sur le budget qui fait actuellement l'objet d'un bras de fer au Sénat.

En plus de plancher sur les nominations, la ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould, travaille à la refonte du modèle d'administration de la justice. Sa réforme des peines minimales obligatoires, promise au printemps, a cependant été remise à l'automne.

Une autre piste de solution à l'étude est l'élimination des enquêtes préliminaires. L'idée de "restreindre l'accès" à cette étape du processus devrait être explorée, a affirmé en mêlée de presse le porte-parole conservateur en matière de justice, Rob Nicholson.

Du côté de l'Assemblée nationale, la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a soutenu que la décision rendue vendredi venait de nouveau mettre en lumière la nécessité de nommer des juges, tout en soulignant que des progrès avaient été constatés sur le plan des délais.

La porte-parole de l'opposition officielle en matière de justice, Véronique Hivon, a pour sa part fait valoir que face à cette "rigidité" affichée par la CSC, le gouvernement se devait d'invoquer la disposition de dérogation. La Coalition avenir Québec (CAQ) a formulé la même demande.

La ministre Vallée a tout de suite fermé la porte à cette suggestion "carrément irresponsable" qui "ajouterait aux délais" et "multiplierait la congestion".

Pour le moment, la réalité demeure qu'en vertu de l'arrêt Jordan, que vient confirmer et clarifier l'arrêt Cody, il ne peut s'écouler plus de 18 mois dans les cours provinciales et plus de 30 mois dans les cours supérieures entre le moment où une personne est accusée, puis jugée.

Et il incombe à "toutes les personnes associées au système de justice criminelle" d'adopter "une approche proactive" afin de prévenir les délais inutiles, a signalé vendredi le plus haut tribunal au pays dans sa décision.

Cela commence dans les tribunaux de première instance, indiquent les juges dans une décision succincte qui tient sur 34 pages à laquelle souscrivent les deux magistrats québécois qui faisaient partie des quatre dissidents dans Jordan, Richard Wagner et Suzanne Côté.

Les juges de première instance "devraient proposer des moyens d'instruire plus efficacement les demandes et requêtes légitimes et ne devraient pas hésiter à rejeter sommairement des demandes dès qu'il apparaît évident qu'elles sont frivoles", lit-on dans l'arrêt Cody.

Les juges y spécifient également que dans l'éventualité où la défense userait de stratagèmes pour délibérément retarder les procédures afin de défoncer les plafonds de Jordan, un juge peut déduire ces délais de la compilation.

Le DPCP a accueilli favorablement l'arrêt de la CSC. "On est satisfaits parce que la décision donne des précisions sur l'application des critères de l'arrêt Jordan", a réagi son porte-parole Jean-Pascal Boucher.

La ministre Vallée a fait écho à ce sentiment dans un communiqué publié vendredi après-midi. "Ces précisions aideront les tribunaux à prendre une décision éclairée sur la pertinence ou non de déclarer un arrêt des procédures", a-t-elle déclaré.

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