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Souveraineté et scandales : la route de la rédemption improbable de Maxime Bernier

Il a appuyé les souverainistes lors du référendum de 1995. Aujourd’hui, il veut prendre la tête d’un parti fédéraliste et devenir le prochain premier ministre du Canada.

Maxime Bernier déballe son sac.

«J’étais souverainiste, alors j’ai sans doute voté oui. Écrivez que j’ai voté oui. Je n’ai pas de problème avec ça», dit-il en entrevue avec HuffPost Canada.

Il a appuyé les souverainistes lors du référendum de 1995. Aujourd’hui, il veut prendre la tête d’un parti fédéraliste et devenir le prochain premier ministre du Canada.

En avouant avoir (peut-être) voté en faveur de la séparation du Québec, Maxime Bernier démontre une fois de plus qu’il est le leader candide que plusieurs Canadiens recherchent.

Parmi les nombreux candidats à la direction du Parti conservateur du Canada – ils sont 13 –, le député de la Beauce ressort du lot. Le scandale qui a secoué sa deuxième année en politique fédérale et a mené à son expulsion du Cabinet fait encore jaser.

«L’histoire officielle, c’est que j’ai oublié les documents. Mais la [version] non officielle, c’est peut-être qu’elle les a pris», raconte Maxime Bernier en parlant de son ex-compagne Julie Couillard et du fait qu’il ait laissé des documents secrets chez elle. Le politicien maintient qu’il n’a jamais sorti les papiers de son sac, et Julie Couillard a refusé de participer à une enquête gouvernementale sur l’affaire.

«Dans la vie, les gens ont droit à l’erreur, affirme Jay Hill, un ancien whip conservateur qui s’est rangé derrière Maxime Bernier dans la course à la chefferie. Il a fait des erreurs, mais il n’a jamais tenté de les cacher ou de chercher des excuses. Il est aujourd’hui plus mature.»

Le plus proche conseiller du Beauceron, Martin Masse, compare l’appui à la souveraineté à ceux qui s’affichaient comme communistes à l’université avant de changer leur fusil d’épaule.

«Bien sûr, je comprends que certains Canadiens croient que nous sommes des traitres parce que nous n’avons pas cru toute notre vie en un Canada uni, mais… nous avons grandi dans un environnement où il était normal d’être en faveur de la souveraineté», explique M. Masse.

Devant son thé, Maxime Bernier indique au HuffPost que ces controverses – les anciennes comme les nouvelles – sont derrière lui. «Ça fait partie du passé, dit-il. Ce n’est plus important.»

Mais, en quelque sorte, ce l’est encore.

Les Canadiens qui suivent un tant soit peu la politique se souviennent de l’homme de 54 ans comme du politicien débonnaire qui s’est présenté à son assermentation comme ministre des Affaires étrangères, en 2007, au bras de Julie Couillard, qui portait alors un décolleté plongeant. Moins d’un an plus tard, les médias révélaient des liens entre la femme et les motards. Julie Couillard avouait aussi que son compagnon avait été négligent avec des notes confidentielles.

Maxime Bernier souligne qu’il ne serait sans doute pas de la course au leadership n’eut été de cet incident. S’il n’avait pas été mis de côté, s’il n’avait pas eu la chance de parler plus librement, partout au pays, pour pousser ses valeurs de libertarisme et d’un État moins interventionniste, il n’aurait pas découvert ce public qui apprécie son authenticité et son refus du compromis sur plusieurs principes conservateurs.

Sans tout ça, il n’aurait peut-être pas eu le courage de se lancer dans la course.

Julie Couillard, qui a raconté en détails sa version des faits dans son livre Mon histoire, publié en 2008, dit que Bernier croyait que le premier ministre Stephen Harper ne resterait pas à la tête du parti pour un mandat complet et qu’il serait sur les rangs pour le remplacer.

Sur les murs du bureau parlementaire de Maxime Bernier, plusieurs coupures de journaux et de magazines encadrées sont fièrement affichées. On voit le politicien sur la couverture du magazine Wireless Telecom. Un article de 2006 de L’actualité est coiffé du titre «L’Albertain du Québec».

Et un texte de 2007 sort du lot : «Maxime Bernier, dauphin de Stephen Harper?» Dans ce papier, le journaliste de La Presse Joël-Denis Bellavance avance que le rêve de Stephen Harper de transformer le Parti conservateur en LA force politique canadienne du 21e siècle sera assurée seulement si l’alliance entre les fédéralistes québécois et les conservateurs de l’ouest du pays perdure – et que le fait d’avoir un chef québécois aiderait grandement la chose.

Un article de 2007 de La Presse sur un mur du bureau de Maxime Bernier

L’article en question cite plusieurs collègues de Maxime Bernier montrant de la surprise et de l’admiration devant un Québécois aussi déterminé à pousser ses idées de libre marché. «Des députés lui ont déjà fait savoir qu’ils l’appuieraient s’il décide un jour de succéder à Stephen Harper», écrivait Joël-Denis Bellavance en 2007.

Dix ans plus tard, Maxime Bernier est sur les rangs pour devenir le prochain chef, mais il n’a pas un appui important du caucus conservateur. Seulement sept députés ont choisi de l’appuyer.

S’il fallait croire seulement les sondages publics, le Beauceron serait propulsé à la tête du parti. Le député était déjà un des favoris quand son plus important rival, l’homme d’affaires et vedette de la téléréalité Kevin O’Leary a abandonné la course, le mois dernier, avant de donner son appui à Bernier.

Les deux anciens adversaires s’étaient livrés une lutte violente. Le camp O’Leary a accusé la campagne de Bernier d’avoir recruté des milliers de membres de manière frauduleuse. La guerre était déclarée et, en riposte, le Québécois avait allégué que l’équipe O’Leary était impliquée dans un recrutement illégal. Une enquête a démontré des irrégularités et 2 729 membres ont été retirés des listes du parti. Aucun camp n’a été directement pointé du doigt, toutefois, comme les cartes de membre avaient été achetées de manière anonyme sur le site du parti.

Deux semaines avant d’annoncer son retrait de la course, Kevin O’Leary a appelé Maxime Bernier pour lui demander de se retirer : «Si tu quittes la course, tu seras mon numéro 2. Avec toi à mes côtés, je pourrai conquérir le Québec. Tu seras mon lieutenant», aurait-il affirmé, se rappelle Maxime Bernier. Le Beauceron dit avoir ri avant de lui dire non.

Après cet appel, Maxime Bernier se doutait bien que Kevin O’Leary quitterait le bateau. Deux jours avant le dernier débat des candidats, O’Leary lui a envoyé un message lui disant qu’il souhaitait discuter avec lui.

Lorsqu’ils se sont rencontrés, juste avant minuit, dans un condo du centre-ville, O’Leary lui a offert son appui.

Les deux sont aujourd’hui tout sourire. Ils font campagne côte à côte, et Maxime Bernier s’amuse à dire qu’il encouragera la vedette télé à se présenter pour lui en 2019.

* * *

L’arrivée en politique de Maxime Bernier est due en grande partie à son père – de la même façon que Justin Trudeau peut dire merci à son géniteur de lui avoir pavé la voie.

En 2005, les conservateurs avaient d’abord approché le père, Gilles Bernier, afin qu’il se relance en politique. Il était alors un animateur radio connu et avait remporté deux élections successives sous l’ère Mulroney, en 1984 et 1988. En 1993, il l’avait emporté de nouveau mais en tant que candidat indépendant. La chef conservatrice de l’époque, Kim Campbell, avait refusé qu’il se présente sous la bannière du Parti progressiste-conservateur, après des allégations de fraude et de bris de confiance.

En 1990, Gilles Bernier et l’ancien député Richard Grisé avaient été accusés par la Gendarmerie royale d’avoir chacun engagé le fils de l’autre (Maxime et son frère Gilles junior et le fils de Richard Grisé, Bruno) pour des emplois fictifs à leurs bureaux. Les règles de la Chambre des Communes interdit aux politiciens d’engager leur conjoint ou enfants, mais pas les membres de la famille d’un collègue.

L’histoire a trainé en cour pendant des années, et Gilles Bernier a tenté de faire tomber les accusations. En 1994, la juge ontarienne Maria Linhares de Sousa a tranché durant l’enquête préliminaire qu’il y avait «clairement» eu fraude, mais a par la suite acquitté M. Bernier.

Selon ce qui est rapporté dans les médias de l’époque, la juge a dit croire qu’il avait commis une faute, mais que la Couronne n’avait présenté aucune preuve qui mènerait un jury à le condamner. Richard Grisé, de son côté, a plaidé coupable à deux accusations de bris de confiance et a été mis à l’amende pour 5 000 $.

«Je m’en souviens, indique Maxime Bernier à propos de cette affaire. La juge avait critiqué la Couronne parce qu’il n’y avait pas de preuves.» Il hausse la voix : «Il n’y a jamais eu de procès. C’était une affaire politique. Certains voulaient nuire à mon père.»

Les électeurs n’ont pas été refroidis par les allégations. Jean Chrétien non plus. L’ancien premier ministre libéral a décidé qu’il allait gagner le siège de Beauce, en 1997. Il ne pouvait y parvenir avec le populaire Gilles Bernier dans les parages. Chrétien lui a fait une offre qu’il ne pouvait refuser : un poste d’ambassadeur en Haïti.

Maxime Bernier se souvient que Jean Chrétien avait posé une condition. «Je ne veux pas que tu fasses de politique pendant la campagne. Je veux être sûr que mon candidat l’emporte», aurait dit Chrétien. «Mon père lui a répondu qu’il ne pourrait pas interférer depuis Haïti de toute façon!»

Le Parti réformiste avait rouspété, disant que Gilles Bernier n’avait pas l’expérience nécessaire pour un poste d’ambassadeur, lui qui n’avait été qu’à la tête de la Commission des langues officielles pendant sa carrière politique. Mais sa nomination a été entérinée et le Parti libéral a ravi la Beauce.

Quand Stephen Harper a approché Gilles Bernier pour qu’il revienne en politique, quatre ans après la fin de son mandat d’ambassadeur, l’homme de 70 ans était flatté, raconte Maxime Bernier. Mais il a dit au chef conservateur d’aller voir son fils à la place.

Maxime Bernier est né le 18 janvier 1963 à Saint-Georges-de-Beauce, la «capitale» de la région. Il n’a jamais démontré de réel intérêt pour la politique. Plus jeune, il voulait devenir entrepreneur.

Gilles et Doris ont eu quatre enfants. Maxime est le deuxième. Brigitte est de deux ans son aînée, puis suivent Caroline et Gilles second.

Au secondaire, le grand Maxime Bernier était maraudeur dans l’équipe de football. Il aimait les sports et, en 1980, il aidait son équipe AA, les Condors du cégep Beauce-Appalaches, à remporter le championnat provincial, au Stade olympique. «C’est un souvenir important pour moi», dit-il.

Maxime Bernier avoue qu’il n’était pas le meilleur élève en classe. Mais pas le pire non plus. «J’étais un peu au-dessus de la moyenne.»

«J’étais très mauvais en anglais. J’ai encore besoin de m’améliorer», ajoute-t-il en riant [l’entrevue a été menée en anglais].

À 18 ans, il s’inscrit au baccalauréat en administration (avec une spécialisation en économie) à l’Université du Québec à Montréal. Diplôme en main, il entre à l’Université d’Ottawa pour étudier le droit civil.

C’est là, à l’époque des pourparlers de 1987 et de 1988 sur le libre-échange avec les États-Unis, que Maxime Bernier a pour la première fois la piqûre de la politique. Il partageait un appartement avec son père, qui en était à son premier mandat. Gilles Bernier avait été un père impliqué pendant l’enfance de Maxime, le conduisant à ses pratiques de hockey et de football. Les deux hommes devaient se rapprocher encore davantage.

«Il était toujours là pour m’écouter. Quand j’étais jeune, j’allais souvent le voir pour lui demander conseil. Et même aujourd’hui, il continue de me donner des conseils politiques. Il est mes yeux et mes oreilles en Beauce.»

Alors que le débat sur le libre-échange fait rage sur le campus et sur le terrain politique, Maxime Bernier lit le texte de l’accord, mémorise les clauses et écrit les discours politiques de son père, qui défend l’accord.

«Je n’ai jamais rêve d’entrer au Parlement. Je n’ai jamais rêvé d’être premier ministre. Mais j’aimais les politiques publiques», avance Maxime Bernier.

Il a lu tout ce qu’il pouvait à propos de l’accord et aimait en découdre avec ses adversaires. «J’étais obsédé», reconnaît-il.

En 1990, le Beauceron rejoint le Barreau du Québec et débute une carrière de deux ans à la firme Clarkson Tétreault (aujourd’hui McCarthy Tétrault) à Montréal, où il avait été stagiaire. Il souhaite faire du droit commercial, mais réalise que cette pratique se fait surtout en anglais et il ne se sent pas assez outillé pour affronter les diplômés de McGill. Il se rabat alors sur le droit du travail, où il y avait plusieurs francophones.

«Je n’ai pas aimé ça, dit-il en parlant de son passage à la firme, alors qu’il n’a toujours pas touché à son Earl Grey commandé à son arrivée au Farmteam Cookhouse and Cellar, un restaurant situé à deux coins de rue de son bureau ottavien. (Il ne restait plus de son premier choix, à la menthe poivrée.)

La maitrise de l’anglais demeure un sujet sensible pour Maxime Bernier. Il indique fièrement que ses filles parlent la langue de Shakespeare sans accent. Elles ont fréquenté une école privée anglophone de Montréal. La loi le permettait, puisque leur grand-père maternel a étudié en anglais avant l’adoption de la Loi 101.

Le politicien est toujours en bons termes avec son ex-épouse Caroline Chauvin. Les deux se sont rencontrés lors d’un vernissage. Elle était avec ses amies et il visitait avec un groupe de jeunes avocats. «Les gars ont invité les filles à prendre un verre», se souvient-il.

«Nous avons eu du plaisir, puis je l’ai relancée et ça a fonctionné! raconte-t-il en riant. Nous avons été ensemble pendant 13 ans.»

Le couple s’est marié en 1991 à l’église. Ils ont eu deux filles : Charlotte, 18 ans, et Megan, 15 ans. Leur union n’a pas duré et le divorce a été prononcé le 14 septembre 2005, le jour de leur anniversaire de mariage.

«Nous n’avons pas réussi notre mariage, mais nous avons réussi notre divorce et elle est aujourd’hui ma meilleure amie. Nous avons une très bonne relation. Nous mangeons parfois avec ma compagne et son conjoint. Je suis très heureux et très fier de ça.»

Maxime Bernier est toujours avocat – il paie ses cotisations chaque année. «Je peux encore pratiquer le droit au Québec, si jamais je quitte un jour la politique.»

Mais son cœur ne balance pas pour le droit. En 1992, il quitte la firme d’avocats pour devenir directeur des comptes commerciaux à la Banque Nationale, sur la Rive-Sud. Il aide les petites entreprises à grandir. Il devient ensuite directeur de la succursale.

En 1996, un ami l’approche pour une toute autre chose. Daniel Audet était chef de cabinet du nouveau ministre des Finances Bernard Landry. Il demande à Bernier s’il est intéressé à travailler au bureau du ministre sur les réformes législatives du milieu financier.

«Je suivais la politique. J’aimais la politique. Et je connaissais Bernard Landry parce que je l’avais rencontré lors d’un débat sur le libre-échange, en 1988.»

Bernier avait aussi invité Landry à prendre la parole lors d’une conférence à l’Université d’Ottawa.

«À l’époque, j’étais nationaliste», explique le politicien, en faisant la listes des amis souverainistes avec qui il passait du temps sur le campus. Maxime Bernier souhaite que j’utilise le terme «nationaliste» ou «très nationaliste». Il croit que les mots «souverainiste» et «séparatiste» font peur aux conservateurs anglophones.

Mais Bernard Landry a déjà révélé le passé souverainiste de Maxime Bernier. Dans une entrevue menée en 2010, l’ancien premier ministre québécois avait dit que tous ceux qui travaillaient pour lui devaient être en faveur de la séparation du Québec. «C’est ce qu’il m’a dit et je l’ai cru. Et je le crois encore», avait dit M. Landry à La Presse canadienne.

Maxime Bernier ne renie pas ses prises de position du passé. Je lui demande s’il avait voté oui en 1995. Il change de sujet. Je reviens à la charge.

Il souhaite que les juridictions provinciales soient respectées. «J’étais souverainiste à l’époque. J’étais indépendantiste. J’étais souverainiste. C’était quoi votre question, encore?»

Je la répète, en précisant cette fois qu’il m’avait dit par le passé avoir voté non.

«J’ai voté oui au référendum, lance-t-il. J’étais séparatiste à l’époque. J’ai voté oui à ce référendum et à l’autre référendum, j’ai voté non.

«En 1980? que je demande. Vous ne pouviez même pas voter en 1980…»

«Non. Pas en 1980», réplique-t-il.

«Il n’y a eu que deux référendums.»

«C’est vrai.»

«Alors, vous avez voté oui ou non?»

Il rit. «J’étais souverainiste. Et puis écrivez donc que j’ai voté oui. Je n’ai pas de problème avec ça. J’ai déjà dit que j’étais souverainiste, mais personne ne m’avait demandé directement si j’avais voté oui au référendum. J’ai dû voter oui. J’ai voté oui. Écrivez que j’ai voté oui.»

Je lui dis que je ne peux pas l’écrire si ce n’était pas le cas. Il me dit ne plus s’en souvenir.

«Est-ce que j’ai voté oui ou non? Qui étaient mes amis à l’époque? se demande-t-il à lui-même en énumérant des noms. «Je ne m’en souviens pas, câline. J’étais souverainiste, j’ai dû voter oui. Écrivez que j’ai voté oui. Je n’ai pas de problème avec ça, répète-t-il. C’est plus logique ainsi, puisque j’étais souverainiste.»

En 2014, Maxime Bernier a affirmé au HuffPost avoir flirté avec le PQ, mais avoir voté non au référendum.

Lisez l’entrevue complète avec Maxime Bernier sur le site du HuffPost Canada (en anglais).

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