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Les avocats de Bibeau ont ralenti l'enquête Mâchurer

Les avocats de Bibeau ont ralenti l'enquête Mâchurer

L'enquête Mâchurer, qui porte notamment sur le financement politique et l'octroi de contrats publics, a été longuement retardée par des requêtes judicaires qui ont empêché l'exploitation de documents-clés, a révélé jeudi le commissaire de l'Unité permanente anticorruption (UPAC). Mais depuis février, cet obstacle a été levé.

Lors d'un long témoignage devant la commission de la sécurité publique de l'Assemblée nationale, Robert Lafrenière a précisé que l'enquête, lancée en 2013, a été bloquée par une requête judiciaire de type Lavallée déposée par des avocats de la défense.

Des documents de la Cour suprême révèlent que la requête en question a été déposée par Saramac, Shokbeton Inc. et les Centres d'achats Beauward, trois entreprises de la famille de l'ex-argentier libéral Marc Bibeau. Elle a entraîné la mise sous scellés de documents saisis par les policiers.

Cette requête, portant sur des questions relatives au lien privilégié entre un avocat et son client, a entraîné une saga judiciaire qui a longuement empêché l'exploitation de renseignements obtenus lors d'une perquisition effectuée au début de l'enquête.

« La Cour supérieure nous a donné raison sur la façon dont les données devaient être extirpées pour les donner à la défense et à la Couronne, avec un ami de la cour. Les défenseurs ont contesté, sont allés en Cour suprême. Et la Cour suprême a refusé d’entendre ça », a-t-il expliqué. La décision a été rendue en février dernier.

«Il y a quelques semaines, on a commencé à mettre en place un processus avec un ami de la cour pour aller dans cette banque de données […] qui va nous apporter du plus pour bien ficeler l’enquête Mâchurer.» - Robert Lafrenière

L'UPAC doit être prête à combattre de telles manoeuvres, a affirmé le commissaire Lafrenière, citant, pour illustrer la situation, un avocat de la défense « très réputé » qui a admis que les requêtes constituaient un moyen efficace pour lutter contre des opérations de l'UPAC.

« Faut pas se rendre au jour 1 du procès, parce qu’on est fait, aurait dit cet avocat. Donc, c’est ou plaidoyer de culpabilité, ou requêtes, requêtes, requêtes pour étirer, pour que les témoins soient un peu mêlés dans leur témoignage avec le temps, et c’est ce qu’il faut combattre », a relaté M. Lafrenière.

Lafrenière « outré » par les fuites

Le commissaire Lafrenière a par ailleurs assuré que Mâchurer n'a pas été compromis par les informations sur l'enquête distillées la semaine dernière par le bureau d'enquête de Québecor.

Ce dernier a notamment révélé que Marc Bibeau et l’ex-premier ministre québécois Jean Charest auraient été sous la loupe des responsables de l'enquête jusqu'à récemment dans le cadre de l'enquête sur le financement politique et l'octroi de contrats publics.

« En aucun temps, la conclusion de cette enquête n'a été menacée par cette fuite-là », a cependant assuré M. Lafrenière. « Si la personne qui a fait ça pensait nous déstabiliser, elle ne nous a que distraits. Soyez certains que je vais me rendre au bout de cette enquête […] et on va le déposer au DPCP, j’en suis convaincu », a affirmé Robert Lafrenière.

M. Lafrenière dit par ailleurs avoir été « outré » par ces fuites « inadmissibles » provenant « selon toute vraisemblance » de documents détenus par son organisation. Il n'a pu dire si la fuite était attribuable à un membre de l'UPAC ou à un pirate informatique, mais il a indiqué qu'il s'agissait là d'une infraction criminelle d'entrave à la justice.

Une enquête interne à ce sujet est en cours, a-t-il rappelé, et différentes mesures ont été immédiatement prises. Les échanges d'informations entre différents groupes d'enquêteurs nécessitent maintenant l'accord de gestionnaires, ce qui constitue un « petit handicap ».

«C’est un geste d’une déloyauté totale. [...] Je souhaite ardemment qu’on arrive à la conclusion et qu’on trouve le bandit qui aurait fait ça.» - Robert Lafrenière

Le commissaire de l’UPAC dit être conscient que des gens s’interrogent sur le temps qui s’écoule entre des perquisitions médiatisées et le dépôt d’accusations, mais assure qu'il ne faut pas y voir la preuve d'un quelconque complot.

« Souvent, on s’est fait dire : "il y a eu une perquisition en telle année, et il ne s’est rien passé" », a-t-il convenu. « Quand on reçoit un signalement et qu’on pense qu’on peut perdre la preuve, rapidement, si on obtient des mandats de perquisition, on agit. On va chercher la preuve, on la cristallise et puis on remet la suite du dossier à plus tard. C’est pour ça que, des fois, ça nous a fait mal paraître. »

Il n'est donc pas question d'accélérer le travail des enquêteurs pour répondre aux pressions. « Moi, la vitesse, j’embarque pas là-dedans. Je ne tourne pas les coins ronds. Je me rends à la cible avec le temps que ça va prendre. Et on va arrêter de mettre de la pression sur les enquêteurs pour que ça aille plus vite », a lancé M. Lafrenière.

Ni immunité ni blocage de dossiers, dit Lafrenière

Le patron de l'UPAC a par ailleurs démenti le fait que les élus bénéficient d’un traitement spécial auprès de son corps de police. « Il n’y en a pas d’immunité pour personne », a-t-il assuré. Il soutient même que l’UPAC considère comme un « facteur aggravant » le fait qu’une personne visée par des allégations soit un élu, municipal ou provincial. « Il faut tout de suite s’en occuper. »

«Il n’y a aucun blocage. Ce qui amène cette perception, […] c’est la longueur de nos dossiers. Et ça va toujours être des dossiers longs. Il y en a un, entre autres, qui est rendu à neuf ans. Mais on va arriver à des conclusions. Et j’ai bien l’impression qu’on va mettre des bracelets à ces gens.» - Robert Lafrenière

Sur le même sujet, Robert Lafrenière a assuré n'avoir « rien trouvé » qui pourrait corroborer les allégations du président de la Fraternité des policiers de Montréal, Yves Francoeur.

Ce dernier a déclaré la semaine dernière au 98,5 FM que deux élus libéraux - dont un siégerait toujours à l'Assemblée nationale - avaient échappé à des accusations au terme d'une enquête portant sur des modifications législatives apportées en échange de dons au parti, qui impliquait en outre un promoteur immobilier « relié à la mafia italienne ».

« Je dois dire qu’on a fait des recherches aussitôt qu’on a entendu ça le matin […] parce que, ce que M. Francoeur décrivait, ça ressemblait pas mal à notre business. Et on a reculé avec la Sûreté du Québec dans les années - de l’écoute électronique d’élus, on s’entend-tu qu’on s’en souviendrait – et on n’a rien trouvé », a-t-il déclaré.

«Moi, l'agenda politique, je n'en ai rien à cirer!» - Robert Lafrenière

M. Francoeur a rencontré les enquêteurs de la Sûreté du Québec jeudi pour discuter de l'affaire.

Des lanceurs d'alerte à l'affût

Le patron de l'UPAC a par ailleurs témoigné sous le regard intéressé de deux témoins vedettes de la commission Charbonneau, soit l'ex-entrepreneur Lino Zambito et l'ex-syndicaliste Ken Pereira, de même que devant l'ex-patron de l'agence de sécurité BCIA Luigi Coretti.

Peu avant le début de l’étude des crédits, M. Zambito, qui avait fait de nombreuses allégations devant cette commission sur la collusion à Montréal et le financement du PLQ, a fortement critiqué le patron de l’UPAC, en qui il n’a plus confiance.

« Les dossiers des enquêteurs de l’UPAC sont très bien faits, ils sont bien étoffés, a-t-il insisté. Le problème que moi je vois, c’est que quand les dossiers sont terminés et vient le temps que la haute direction les envoie au DPCP, on s’accroche les pieds. »

« Moi, je m’en viens écouter M. Lafrenière; il y a des dossiers [dans lesquels] je suis impliqué. Il y a des déclarations que j’ai faites à l’UPAC dans le dossier de [l’ex-ministre libérale Nathalie] Normandeau, et on voit que, dans certains dossiers, plus on s’approche du pouvoir politique, [plus] on fait du surplace », a-t-il insisté.

Le syndicaliste Ken Peirera, qui avait pour sa part alimenté la commission Charbonneau en révélant les dessous du milieu syndical de la construction, a tenu un discours similaire.

«Je fais confiance à l’UPAC. Mais il faut se demander pourquoi on est rendus à une couple d’années et qu’il n'y a rien qui a sorti. J’ai confiance aux inspecteurs, j’ai donné beaucoup d’information, mais elle est rendue où, cette information-là?» - Ken Peirera

M. Peirera soutient avoir encore des contacts « assez régulièrement » avec des enquêteurs de l’UPAC, mais il doute de la progression des enquêtes.

Il reproche également aux policiers d’avoir lancé « une chasse aux sources journalistiques » sous prétexte qu’elles nuisent aux enquêtes policières.

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