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«Il Ritorno» de Circa: sombre portrait de l'humanité

«Il Ritorno» de Circa: sombre portrait de l'humanité
Courtoisie Tohu

Las de la pluie qui refuse de céder sa place au printemps ensoleillé? Ce n’est hélas pas Il Ritorno, nouvelle production de Circa présentement à l’affiche à la Tohu, qui vous requinquera le moral et vous illuminera le regard.

Morne et sombre, la production mariant cirque et opéra n’est pas sans intérêt, mais reflète davantage les misères de notre monde mal en point que l’espoir qu’on voudrait voir s’en dégager, en plus de ne pas être si époustouflante, ni acrobatiquement, ni visuellement parlant.

La troupe australienne Circa vit une véritable alliance inconditionnelle avec Montréal depuis huit ans, venant presque chaque année y présenter sa plus récente création, à divers moments de l’année. Wunderkammer, S, Opus, Beyond et Le carnaval des animaux y sont tous passés. Chaque fois, les spectateurs sont au rendez-vous, mais force est d’admettre qu’il n’y avait pas foule mardi, soir de première. Est-ce que Volta, du Cirque du Soleil, qui prend l’affiche ces jours-ci dans le Vieux-Port de Montréal, jouerait dans les pattes des athlètes de Circa?

Avec Il Ritorno, la compagnie s’inspire de l’opéra baroque Le retour d’Ulysse dans sa patrie (Il ritorno d’Ulisse in patria), du compositeur italien Claudio Monteverdi, créé à Venise, en 1640. Le metteur en scène Yaron Lifschitz a juxtaposé à la rentrée d’Ulysse à la maison après 20 ans à combattre à la Guerre de Troie, l’expérience des migrants et déportés de guerre en recherche de stabilité. Il Ritorno aborde donc en sous-jacence des notions comme la géopolitique, la nostalgie et les souvenirs post-traumatiques, dans l’enrobage solennel d’un opéra.

La mise en scène simpliste, où gris et noir se juxtaposent constamment, est portée par les rythmes des musiciens juchés sur leur plateforme à une extrémité de l’espace, dont trois instruments à cordes.

Lourd et obscur

Dès le départ, on comprend que ça ne sera pas tellement hop la vie. Les sept acteurs en piste, vêtus de légères tenues chiffonnées, en camisole ou sans chandail pour les hommes, clin d’œil à la pauvreté et aux inégalités, expriment corporellement leur mal de vivre. À eux seuls, leurs gestes remplis de langueur évoquent une interminable plainte, une détresse. Au son de la harpe, du violon et du violoncelle, ça résonne encore plus douloureux. L’image donne le ton, mais c’est long, ça s’étire, et on se demande si cette «souffrance» (sur scène, quand même pas dans la salle!) débouchera sur quelque chose de concret ou, à tout le moins, de compréhensible.

Sur les jérémiades de la chanteuse mezzo-soprano Kate Howden, qui se déchire l’âme, une acrobate pirouettera ensuite pendue aux sangles, avant qu’un homme ne prenne son relais au trapèze. Contorsions, prouesses d’équilibre et danse occupent de fait une large place dans ce Il Ritorno dénué d’artifices, portant plus à la réflexion qu’à l’émerveillement.

Une femme mimera la folie, la douleur, dans un délire corporel qui muera dans une joute à plusieurs. Ses camarades et elle partiront, reviendront, se rapprocheront, s’éloigneront, seront secoués de tremblements, fuiront, partiront en quête, se jetteront aux murs, s’immobiliseront de stupeur, se tordront ça et là, et le manège recommencera à plusieurs reprises jusqu’à la tombée du rideau, avec les nécessaires acrobaties d’usage, qui ne sont pourtant pas omniprésentes. Pas assez, oserons-nous affirmer. C’est ainsi que se résume l’essentiel de la prestation de moins d’une heure vingt sans entracte. On y décèlera assurément une tristesse, un vague à l’âme, et chacun en retirera ce qu’il souhaitera, mais la conclusion sera inévitablement obscure.

Comme dans plusieurs œuvres de Circa, le corps humain est au centre du récit de Il Ritorno, qui ne requiert aucun accessoire ni aucune fantaisie visuelle, laissant toute la lumière (façon de parler, ici) aux êtres. C’est à la fois joli, mais vide pour l’oeil; plein de sens, mais un brin redondant ; émouvant pour ceux qui sauront en lire la signification, mais peut-être ennuyant pour ceux qui ne la détecteront pas ; et ça manquera cruellement de matière pour quiconque carbure aux extravagances et fioritures propres aux arts du cirque. L’absence de couleur rebutera les uns, fascinera les autres. Le collage a au moins le mérite de respecter son atmosphère et d’y être fidèle jusqu’à la fin.

Il Ritorno, qu’on ne qualifierait pas de spectacle pour toute la famille, s’adresse probablement à un public de cirque éduqué, enclin à se laisser happer par aussi lourde fresque, transmettant aussi pessimiste réalité. Beaucoup de tendresse se dégage de la noirceur de l’ensemble, mais il faut être dans l’état d’esprit de compréhension, d’émotion, de compassion que commande pareille proposition. Or, alors que la température extérieure se fait déprimante et que les manchettes sont rarement réjouissantes, est-ce ce dont nous avons besoin?

Circa présente Il Ritorno à la Tohu jusqu’à samedi, 29 avril (www.tohu.ca).

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