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Des Hells Angels produisent de la marijuana médicinale légale depuis 2013

Des Hells Angels produisent de la marijuana médicinale depuis 2013
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Radio-Canada a appris que des membres et des associés des Hells Angels ont obtenu des permis individuels pour produire légalement de la marijuana médicinale depuis 2013. Certains d'entre eux ont aussi soumis des demandes pour faire partie des 42 producteurs autorisés par Santé Canada, qui seront au coeur du nouveau régime récréatif dévoilé jeudi par le gouvernement Trudeau.

Une enquête de Guillaume Dumont

Lutter contre le crime organisé et protéger les enfants : c’est la pierre angulaire du projet de légalisation de la marijuana à des fins récréatives du gouvernement libéral.

Or, des groupes criminels, dont les Hells Angels et certains de leurs associés, font des pieds et des mains pour conserver leur part de ce marché extrêmement lucratif, d’après un document de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) obtenu par Radio-Canada en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

«Ce n’est pas surprenant qu’ils vont vouloir garder une part de terrain. C’est une économie de milliards de dollars.»

— Sylvain Tremblay, enquêteur à la retraite de la SQ et expert en crime organisé

Plusieurs associés des Hells Angels ont ainsi soumis des demandes à Santé Canada pour produire de la marijuana médicinale en toute légalité, en utilisant le plus récent Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicinales [sic], d’après le document de la GRC.

« Il ne manque pas de groupes criminels qui ont présenté une demande pour produire de la marijuana médicinale sous le nouveau régime de Santé Canada (MMPR), y compris des membres autoproclamés des Hells Angels et des associés de groupes du crime organisé transnationaux. » (Source : Traduction d’un document de la GRC transmis à l’ACCP en novembre 2013)

L’information, soumise par la GRC à l’Association canadienne des chefs de police (ACCP) en novembre 2013, n’a jamais été rendue publique. Nous l’avons obtenue en 2017 grâce à une demande d’accès à l’information soumise à la GRC en 2014.

Le document ne précise pas si la GRC a pu confirmer que des membres des Hells Angels ont passé à travers les mailles du processus de vérification mis en place par Santé Canada pour faire partie du club sélect des producteurs autorisés.

De son côté, le bureau du ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, soutient par courriel que « la Gendarmerie royale du Canada travaille de concert avec Santé Canada afin de s’assurer que les entreprises cultivant de la marijuana à des fins médicinales ne sont pas liées à des activités de crime organisé. Elle effectue la vérification des dossiers sur l’exécution de la loi pour tous les demandeurs ayant reçu une recommandation de Santé Canada en vertu du Règlement sur la marijuana à des fins médicinales. »

Du producteur au dispensaire illégal

Nos sources* soutiennent que de nombreux Hells Angels et associés, principalement en Colombie-Britannique et dans une moindre mesure en Ontario, profitent des règlements actuels pour faire pousser du cannabis ou pour acheter la production de cultivateurs individuels autorisés, en vertu de la décision de la Cour fédérale.

*NOTE: Nos quatre sources ont requis l’anonymat par crainte de représailles des Hells Angels ou de leurs supérieurs.

La marijuana serait ensuite revendue à travers le pays, toujours selon nos sources, notamment dans certains dispensaires illégaux, qui ont poussé comme des champignons en Colombie-Britannique, à Toronto et à Ottawa.

D’ailleurs, CBC révélait en août 2015 qu’un associé allégué des Hells Angels figurait en tant que propriétaire d’un dispensaire ayant fait l’objet d’une perquisition à Vancouver Est, selon des informations contenues dans un mandat de perquisition.

En avril 2014, Santé Canada avait émis 38 000 permis individuels, afin de faire pousser de la marijuana médicinale pour consommation personnelle, lorsqu’elle a remplacé le programme par le Règlement sur l'accès au cannabis à des fins médicinales, qui visait à forcer l’approvisionnement auprès de 35 producteurs autorisés. En février 2016, la Cour supérieure déclare ce changement inconstitutionnel et donne six mois au gouvernement pour qu’il modifie son règlement. Depuis, le Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicinales combine ces deux règlements et préserve le droit des détenteurs de permis de cultiver à la maison.

Toutes nos sources s’entendent pour dire que les Hells Angels ne vont pas abandonner de leur plein gré un marché aussi payant que celui de la marijuana, légalisation ou non.

« Au niveau de la production, il va falloir que la loi soit vraiment bien encadrée, justement pour pas que les Hells obtiennent des permis, que ce soit par des prête-noms, ou par d’autres approches », avertit de son côté l’enquêteur à la retraite de la SQ et expert en crime organisé Sylvain Tremblay.

Selon un rapport publié en 2016 par la firme Deloitte, la valeur du marché récréatif au Canada pourrait atteindre 5 milliards de dollars dès la légalisation.

De son côté, le propriétaire de l’entreprise de cannabis médicinal Tweed, Bruce Linton, estime que la légalisation demeure la seule façon efficace de lutter contre le crime organisé.

« Si le gouvernement adopte un système de taxation semblable à celui de l’alcool, je pense que ce qui va arriver, c’est que lorsqu’ils vont commencer à taxer la marijuana et qu’ils vont contrôler la distribution avec un modèle à la LCBO, on va pouvoir rapidement repérer ceux qui opèrent en dehors des lois », avance-t-il.

D’après lui, les dispensaires illégaux seront rayés de la carte partout au pays en moins d’une semaine, sauf en Colombie-Britannique.

Des conséquences internationales à la légalisation?

La légalisation du cannabis préoccupait déjà la GRC « de façon permanente » en 2013, en ce qui concerne les répercussions internationales, entre autres, selon le rapport que nous avons obtenu.

Plusieurs États américains ont cependant légalisé cette drogue depuis ce temps.

« La communauté de la sécurité et du renseignement devrait être consciente que [la légalisation] est une préoccupation permanente pour notre organisation, non seulement les vulnérabilités que ces nouvelles réglementations ont créées au pays, mais aussi celles provenant de l’international. » (Source : Traduction d’un document de la GRC transmis à l’ACCP en novembre 2013)

Les Hells Angels ont développé une expertise en importation de produits illégaux, mais aussi en exportation depuis les années 1990, selon nos sources. Ces dernières ajoutent que même des produits légaux comme le tabac sont détournés par l'organisation criminelle pour engranger d’énormes profits.

Le bureau du ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a refusé de nous accorder une entrevue sur le sujet, parce qu’il « ne peut commenter les questions opérationnelles ». Par courriel, il rappelle que le seul moyen légal de se procurer du cannabis est de le faire auprès d’un producteur autorisé.

«Nous demeurons résolus à lutter contre le crime organisé, quelle qu’en soit la forme.»

— Bureau du ministre de la Sécurité publique du Canada

Lutter contre l’utilisation des prête-noms, mission impossible?

L’un des principaux défis des policiers dans ce dossier demeure la lutte contre l’utilisation de prête-noms, selon nos sources.

«On sait que c’est facile. Ils ont déjà infiltré l’économie légale.»

— Sylvain Tremblay

Selon Sylvain Tremblay, il va aussi falloir surveiller la marijuana qui continuera d’être produite illégalement par les motards criminels, parce que ces derniers pourraient miser sur des produits toujours plus puissants en THC, pour conserver leur pertinence dans ce marché.

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