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Mieux traiter les plaintes d'agressions sexuelles, c'est possible

Mieux traiter les plaintes d'agressions sexuelles, c'est possible

À Philadelphie, les autorités ont regagné la confiance des victimes d'agression sexuelle en faisant collaborer les policiers avec les groupes de défense des droits des femmes. Un modèle qui pourrait servir d'inspiration ici.

Un texte d'Alexandra Szacka

Il y a une vingtaine d’années, aux États-Unis, des gens de Philadelphie ont constaté que beaucoup trop de crimes sexuels restaient impunis,que beaucoup trop de plaintes étaient considérées par les enquêteurs comme non fondées.

Quand le scandale a éclaté dans la presse, le chef de la police de l’époque a décidé de prendre le taureau par les cornes. Dans un geste exceptionnel, il a rouvert plus de 2000 cas classés comme non fondés au cours des cinq années précédentes. Et il a invité des groupes de défense des droits des femmes et des enfants à les réexaminer et à faire des recommandations.

Cette collaboration dure jusqu’à aujourd’hui. Chaque année, pendant plusieurs jours, les militantes féministes examinent plusieurs centaines de dossiers de police classés comme non fondés. Elles posent ensuite des questions aux chefs du corps de police et font des suggestions.

Ne plus « blâmer la victime »

La méthode a porté ses fruits. Aujourd’hui, à Philadelphie, ce sont seulement 4 % de plaintes qui sont mises de côté, contre 20 % il y a 18 ans. Mais le plus important est que les méthodes de la police ont changé de tout au tout...

« Avant, dit Tom McDevitt, policier aujourd’hui à la retraite, on s’intéressait davantage à ce qu’avait fait la victime, plutôt que de mettre l’accent sur le coupable ». Et il ajoute « C’est le seul crime où on blâme la victime ».

Depuis qu’a commencé cette collaboration, bien des choses ont changé à Philadelphie. Le public a commencé à faire plus confiance à la police et le nombre de plaintes pour agressions sexuelles a bondi de 50 %. Aussi, l’unité de victimes spéciales comme on appelle là-bas, l'équipe de policiers qui enquêtent sur les crimes sexuels et le trafic humain, a obtenu un pavillon tout neuf où tout se fait sous le même toit, l’examen médical, le counseling, les consultations psychologiques.

Le témoignage de Maryse

Maryse Arseneau s’en souvient comme si c’était hier. Le Fête de la Saint-Jean-Baptiste aux Îles-de-la-Madeleine d’où elle est originaire. Professeur d’anglais dans un Cégep de Québec, Maryse passait ses vacances dans sa famille. Ce 24 juin elle est allée d’abord dans un bar, avec des amis. C’est là, croit-elle, qu’à son insu, quelqu’un a mis quelque chose dans son verre. La drogue du viol? On ne saura jamais. Par la suite, Maryse s’est dirigée vers la plage de Havre Aubert où avait lieu le traditionnel feu, sur la plage.

Pendant la soirée, même si elle dit ne pas avoir beaucoup bu, elle ne se sentait pas très bien. À un certain moment, elle s’est éloignée quelque peu de la fête, c’est à ce moment qu’a eu lieu l’agression. La jeune femme dans la trentaine n’a pratiquement aucun souvenir des évènements, mais elle croit qu’il y avait plus d’un agresseur, que ça a duré longtemps et lui a fait mal. Elle a ni plus ni moins perdu conscience.

Quand elle est revenue à elle, elle avait des ecchymoses et des écorchures un peu partout. Elle était en état de choc. Malgré qu’elle a rapporté l’agression à la police, malgré qu’elle a fait le test de la trousse médico-légale à l’hôpital local (qui a conclu à une agression probable), son cas a été classé comme non fondé par les enquêteurs de la Sûreté du Québec, et cela au bout de quelques jours. Il va sans dire qu’on n’a jamais trouvé les agresseurs.

Par contre, Maryse, elle, a subi tout un interrogatoire de la part des deux enquêteurs. Tout y a passé : sa vie de couple, ses histoires d’amour précédentes, ses habitudes sexuelles. Les policiers sont arrivés à la conclusion qu’il ne s’agissait pas d’un viol, mais d’une relation sexuelle consentante. « Vous avez inventé cette histoire de toutes pièces parce que vous avez peur de perdre votre conjoint », ont-ils dit en fermant le dossier.

Huit mois plus tard, Maryse ne décolère pas. « Il n’y a pas une journée qui passe sans que j’y pense », affirme-t-elle, au bord des larmes.

S'inspirer de Philadelphie?

Mais ce sont surtout les méthodes d’enquête qui ont changé à Philadelphie. Le questionnement comme celui qu’a dû subir Maryse Arseneau est aujourd’hui inconcevable à Philadelphie. « Nous ne posons jamais ce genre de questions, dit Tom McDevitt. Peu importe que la victime ait un copain, à quoi ressemble son passé sexuel ou qu’elle soit nue, étendue sur le plancher. Personne ne mérite d’être agressé sexuellement. »

À quand l’adoption d’un modèle semblable chez nous? Bien que la volonté politique semble au rendez-vous, du côté de la ministre fédérale de la Justice, les choses risquent de ne pas changer rapidement. De son côté, la Sûreté du Québec a bel et bien décidé de revoir un échantillon de cas classés comme non fondés entre 2010 et 2014, mais aucun intervenant de l’extérieur n’a été consulté et il n’y a pas de groupes féministes dans le portrait.

Une enquête récente du quotidien Globe and Mail a révélé qu’en moyenne, au Canada, une plainte pour agression sexuelle sur cinq est considérée comme non fondée par la police et classée comme telle. Quand on sait que 5 % seulement des femmes dénoncent leurs agresseurs, peu d'entre eux risquent de subir un procès. En fait, au Canada, ce n’est que 1 % de tous les agresseurs sexuels qui sont reconnus coupables.

Regagner la confiance

« Le leadership dans ce domaine est très important », souligne Terry Fromson, du Women’s Law Project, un des groupes qui participe aux révisions des plaintes à Philadelphie. Et elle souligne qu’aujourd’hui le « modèle de Philadelphie » est en train de faire école aux États-Unis. « L’Association nationale de police a reconnu que le biais sexuel est un problème réel », dit-elle, pas peu fière.

Rien de tel au Québec ni au Canada. Maryse Arseneau dit qu’aujourd’hui, elle conseille aux femmes de bien y penser avant d’aller dénoncer leurs agresseurs à la police. Pour elle, la rencontre avec les enquêteurs spécialisés en crimes sexuels a été aussi traumatisante que le viol lui-même.

Si les corps de police au Canada imitaient la police de Philadelphie, des femmes comme Maryse Arseneau pourrait regagner confiance.

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