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L'aberration de l'eau embouteillée

L'aberration de l'eau embouteillée
Human hand taking mineral water from shelf in supermarket
mediaphotos via Getty Images
Human hand taking mineral water from shelf in supermarket

Un organisme citoyen qui milite, entre autres causes, pour le droit à l'accès à l'eau, le Conseil des Canadiens, a publié cette semaine un communiqué pour le moins troublant. Il a trouvé des bouteilles d'eau en vente à des milliers de kilomètres de la source.

Un texte de Yanick Villedieu, animateur de l'émission Les années lumière

L’eau en question, embouteillée sous la marque Nestlé Pure Life, avait été prélevée à deux endroits différents. L’un est situé à Aberfoyle, en Ontario : on a trouvé de cette eau à Saint-Jean, dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador, soit à 3147 km de la source; on en a aussi trouvé en Nouvelle-Écosse et à Montréal.

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L’autre source exploitée par Nestlé est située à Hope, en Colombie-Britannique : on a trouvé de cette eau à Yellowknife, à 2126 km de là, ainsi qu’à Winnipeg, à 2144 km, et dans plusieurs localités de Saskatchewan, toutes à plus de 1500 km de la source en question.

Il y a quelques semaines, au début de février, l’entreprise qui embouteille l’eau prélevée dans les eskers d’Abitibi, vendue sous la marque Eska, a annoncé qu’elle délocalisait une partie de son activité d’embouteillage. Au lieu d’être conditionnée à Saint-Mathieu-d’Harricana, l’eau destinée à être gazéifiée sera transportée en vrac et embouteillée à Montréal, un voyage de plus de 600 kilomètres. Bien sûr, l’eau gazéifiée représente seulement 5 % de la production d’Eska. Mais pour les gens de la région, cette exportation d’une de leurs richesses naturelles est fort mal perçue – et on les comprend.

Les deux faits que je viens d’évoquer, les choix commerciaux de Nestlé et d’Eska, sont révélateurs d’une aberration : embouteiller de l’eau à une source, et aller la vendre, en lui faisant parcourir des distances parfois considérables, à des consommateurs qui disposent déjà d’une eau de parfaite qualité, celle de leur robinet. L’eau douce, on le sait, n’est pas également répartie à la surface de la planète. Mais au Canada, qui en possède 20 % des réserves mondiales, l’eau potable est à peu près partout disponible.

L’aberration de l’eau embouteillée, surtout dans un pays comme le Canada, est triple.

D’abord, transporter des tonnes et des tonnes d’eau, par camion généralement, a un coût énergétique qui est loin d’être négligeable. Combien de gaz à effet de serre a-t-on dû émettre pour apporter une bouteille d’eau sur les rayons de votre supermarché? Et pour promener des millions de bouteilles un peu partout au pays?

L’autre aberration, c’est la pollution par le plastique causée par les millions et les millions de bouteilles consommées par ce commerce. L’usine Nestlé d’Aberfoyle, en Ontario, est la plus grande au Canada, note le Conseil des Canadiens dans son communiqué. L’embouteilleur a le droit de prélever, donc d’embouteiller, par jour, 3,6 millions de litres d’eau. Par jour, je répète.

Ce qui m’amène à la troisième aberration de l’eau embouteillée : la pression indue sur une ressource, l’eau souterraine, qui n’est pas une ressource renouvelable à perpétuité. Ou, plus exactement, qui est une ressource très, très, très lentement renouvelable. En prélever trop, c’est mettre cette ressource en danger, dans 10, 20, 50 ans, on ne le sait pas toujours. Mais ce qu’on sait de plus en plus, c’est que l’eau de source, ça ne coule pas forcément… comme de l’eau.

Le communiqué publié il y a quelques jours par le Conseil des Canadiens était effectivement troublant. Il a remis la question de l’eau embouteillée à l’ordre du jour. Et c’est une bonne chose. Des pavés comme celui-ci, il faut en jeter régulièrement dans cette mare-là.

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