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Simon Boulerice: l'écrivain humaniste

Simon Boulerice: l'écrivain humaniste
courtoisie

La plupart du temps, ses garçons sont vulnérables, alors que ses filles sont solides et fortes en gueule. Mais en tout temps, ses personnages ont une différence mise en lumière, une marginalité loin des clichés ou un trait particulier qui rehausse leur beauté. Reconnu depuis longtemps pour sa production effrénée, l’écrivain Simon Boulerice publie en l’espace de quelques semaines quatre titres, alors qu’il en avait publié trois à l’automne. Mais au-delà de son rythme de travail, on retient l’énorme tendresse et l’humanité qui émanent de ses œuvres.

La semaine dernière, en réaction aux propos d’Éric Duhaime sur l’homosexualité, tu as pris parole sur les réseaux sociaux pour lui suggérer de lire « Moi aussi, j’aime les hommes », une correspondance avec Alain Labonté. En quoi ça peut l’éclairer?

Dans le livre, les lecteurs comprennent qu’Alain et moi, on a deux parcours sereins avec notre homosexualité, mais on est quand même témoins de choses laides et lourdes. Ça nous imprègne. On ne peut pas se mettre la tête dans le sable. Même si notre petite personne va bien, il ne faut jamais se résumer à soi-même dans la vie. Je trouve ça très nocif d’affirmer « après moi, le déluge! ». Chaque fois que j’entends ça, je me dis que les gens pourraient avoir plus d’empathie et comprendre que ce n’est pas pareil pour tout le monde. Le livre s’ouvre sur le meurtre d’un homosexuel commis par l’État islamique et se termine sur la tragédie au Pulse, le bar gai à Orlando, avec entre les deux des échanges sur nos vies, nos parcours et nos aspirations, en lien ou non avec les réalités lgbt. On ne peut pas faire semblant que tout va bien. Le monde est blessé.

Dans le livre, tu répliques aux gens qui te reprochent d’écrire « toujours » sur des thématiques lgbt. Pourquoi?

Je trouve ça perturbant d’entendre ça. Je sens vraiment un malaise avec cette idée. Il y a une part d’homophobie dans ce malaise. Si je retournais la question à l’envers, on pourrait demander à la plupart des auteurs pourquoi ils écrivent toujours sur des questions hétérosexuelles. Mais est-ce qu’on relève vraiment ça?

Pourquoi est-ce si naturel pour toi d’écrire là-dessus?

J’ai l’empathie nécessaire pour me glisser dans la peau de plusieurs personnages, mais je conçois particulièrement bien cette marginalité. Je la comprends et elle me préoccupe. Mais ultimement, avant d’explorer les thématiques lgbt, j’aime brouiller les pistes sur les étiquettes qu’on donne aux enfants, quand les gens disent que les garçons doivent être comme ça et les filles comme ça. Ça m’agace.

Tu as d’ailleurs changé le personnage de ton album jeunesse Un ami lumineux, où l’on suit un enfant qui découvre/imagine un employé responsable de changer les feux de circulation.

Au départ, c’était une petite fille qui prépare des tartines pour nourrir le travailleur, mais je n’étais pas à l’aise à l’idée de perpétrer ce cliché, alors je l’ai changé.

Dans l’histoire, on découvre Ludo, dont les parents se sont séparés. Il est très à l’aise chez sa mère à la campagne, mais il n’aime pas aller chez son père en ville. Les choses changent lorsqu’il se lie d’amitié avec le responsable du lampadaire. Est-ce une métaphore illustrant la capacité des humains à s’adapter à leur environnement?

Oui! Je voulais écrire sur les enfants qu’on arrache à leur routine, à leurs amis proches et à leur confort, mais qui finissent par s’éveiller à la nouveauté, à s’ajuster et à trouver de la beauté même dans la grisaille. C’est aussi une histoire sur l’imaginaire qui prend le dessus et une ode à l’empathie en amitié.

Quel style voulais-tu mettre de l’avant avec l’illustratrice Marilyn Faucher?

Marilyn a privilégié le clair-obscur qui révèle beaucoup de choses de la vie. C’est carrément un album de nuit. On est dans l’illicite : Ludo va porter une tartine en pleine rue, la nuit. Et Marilyn évoque très bien les couleurs de la ville, les réverbères et les feux de circulation, en faisant un beau dosage entre le jour et la nuit, qui génère à la fois de la tendresse et quelque chose d’inquiétant.

Tu vas complètement ailleurs dans la direction artistique de ta nouvelle bande dessinée, Mon cœur pédale, où tu racontes l’histoire du jeune Simon, qui s’ennuie de sa tante Chantal, une bombe blonde qui est en chicane avec sa maman, une vendeuse de voitures au look plus conventionnel. Quand les deux sœurs se réconcilient, Chantal va le garder pendant un mois et ils vont vivre plusieurs moments pétillants. Il y a quelque chose de vintage au projet, non?

Puisque l’histoire se passe à la fin des années 80, avec les références de l’époque (Samantha Fox, Alerte à Malibu, le spray net, etc.), il fallait que ce soit vintage. L’illustratrice Émilie Leduc a utilisé des couleurs pastel et un peu délavées, et tout a l’air un peu en retrait, comme derrière une vitre. Ça offre une sorte de distance nostalgique. Parce qu’au fond, tous nos souvenirs sont malhonnêtes : on travestit, on hypertrophie et on magnifie tout ce qui nous est arrivé. Mais ça reste un plaisir de se repencher sur notre enfance. Et cette espèce de vernis sur les illustrations dénote quelque chose de lucide. Comme quelqu’un qui se regarde vivre.

À la fin de son mois avec Chantal, Simon retourne vers le confort de sa mère. Tu voulais dire quoi en la comparant à la beauté qui flashe?

Que le bien-être n’est pas toujours là où c’est le plus séduisant. À 11 ans, on est attiré spontanément vers le crémage et l’artifice, ce que Chantal incarne. Elle a tout de la beauté ostentatoire, alors que la maman représente autre chose avec ses vestons épaulettes. En fait, c’est inspiré d’un fait vécu. Ma mère a vraiment eu une chicane avec sa sœur, parce que celle-ci avait acheté une voiture ailleurs. Ça peut avoir l’air banal, mais ça a teinté un an de ma vie. Je voulais les réconcilier. Et je trouve que c’est une thématique dont on traite peu en littérature : une enfant qui essaie de convaincre sa mère d’avoir juste la sagesse d’aimer. Mais plus l’histoire avance, plus il comprend le sentiment de trahison de sa mère. Quand il va vivre la même chose, il va découvrir le concept de trahison et son empathie envers sa mère va décupler. Au fond, c’est une déclaration d’amour à ma mère.

Tu publies également le roman Le dernier qui sort éteint la lumière, tiré de ta pièce Tout ce que vous n’avez pas vu à la télé. Pourquoi voulais-tu raconter cette histoire de papas qui écrivent à leurs jumeaux des lettres qui dévoilent leur propre enfance, chaque version de leur rencontre et leur réflexion sur la parentalité?

J’ai écrit la pièce alors que j’étais en résidence d’écriture de trois mois à Limoges. Je m’ennuyais de mes parents. Je suis près d’eux, je vis dans leur triplex et on se voit souvent. En pensant à eux, j’ai réalisé que je ne connaissais pas l’histoire de leur coup de foudre, alors j’ai commencé en fantasmant la rencontre de mes parents. Ensuite, j’ai voulu y mêler mon fantasme d’avoir des enfants et mon couple rêvé, alors les parents sont devenus deux papas. Et après avoir écrit l’histoire tragique de L’enfant mascara (Leméac), j’avais envie d’écrire un roman tendre sur une famille aimante, saine et un peu banale.

Tu démontres aussi que la parentalité n’est pas très différente quand il s’agit de deux papas.

Je montre la tendresse ordinaire. La moquerie qui existe dans tous les couples. Le ludisme entre deux amoureux. Les jumeaux sont très conscients de l’amour qui existe dans leur famille. Et les parents, comme tous les autres, ont les mêmes craintes et des chicanes sur la façon d’élever leurs enfants. Je soulève aussi une question intéressante sur la génétique. Je suis persuadé que lorsqu’un Caucasien adopte un bébé haïtien, l’enfant peut lui ressembler, soit par mimétisme ou par osmose. Comme si les mimiques s’inscrivent jusque dans le visage. Dans le roman, les deux enfants sont la jonction parfaite de leurs deux pères.

« Moi aussi, j’aime les hommes » (Stanké) et « Le dernier qui sort éteint la lumière » (Québec Amérique) sont présentement en librairie, alors que « Mon cœur pédale » (La Pastèque) et « Un ami lumineux » (La courte échelle) arriveront en librairies en avril 2017.

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