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Syndicalisation à la GRC: des policiers se disent «espionnés» et «intimidés»

Syndicalisation à la GRC: des policiers se disent «espionnés» et «intimidés»
La Presse canadienne

Des agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affirment être espionnés par des confrères, qui tenteraient ainsi de les intimider pour les dissuader de se syndiquer. Cette surveillance serait commandée par les hautes sphères de la police fédérale, selon ce qu'allèguent les sources de Radio-Canada et une plainte de pratique déloyale déposée devant un tribunal indépendant.

Une enquête de Guillaume Dumont et de Catherine Lanthier

Des agents de la GRC qui se sont confiés à Radio-Canada soutiennent que des membres de cette police ont été photographiés, et leurs noms, pris en note, alors qu’ils participaient à des réunions visant à créer un syndicat.

« Certains membres dans plusieurs provinces, entre autres lors de réunions d’associations, ont été sujets de surveillance physique », déplore un policier de carrière de la GRC qui a requis l’anonymat, puisque ces commentaires pourraient lui coûter son emploi, selon lui.

La GRC est le seul corps de police d’importance à ne pas être représenté par un syndicat au pays. En janvier 2015, la Cour suprême du Canada lui a donné le champ libre en reconnaissant que son régime de relations de travail violait son droit à la liberté d’association.

Deux ans plus tard, des groupes d’employés tentent toujours d’obtenir le nombre requis de signatures pour recevoir leur accréditation syndicale. Ce processus est ralenti par des « mesures dissuasives » imposées par l’employeur, selon nos sources et la plainte.

«Les membres eux-mêmes se sentent à un certain point intimidés [...] Ils ont peur de s’enregistrer avec une organisation.» - Agent de la GRC sous le couvert de l’anonymat

Une « culture de peur » à la GRC

L’agent de la GRC qui s’est confié à nous dénonce « une culture de peur » au sein de l’organisation. Selon lui, les policiers qui surveillent les associations syndicales l’ont fait en uniforme et ont poussé l’affront en allant jusqu'à fouiller les véhicules personnels de membres à leur sortie de ces réunions.

«On prend des photos des membres, tient des listes de membres qui vont à ces rencontres-là [...] Des véhicules ont été fouillés, suite à des rencontres.» - Agent de la GRC sous le couvert de l’anonymat

Une pratique qui pourrait contrevenir aux normes du travail

Si ces allégations sont fondées, cette pratique contrevient aux normes du travail, selon le professeur de relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) Jean-François Tremblay.

«L’employeur ne doit pas s’ingérer d’aucune façon dans les activités syndicales.» - Jean-François Tremblay, professeur en relations industrielles, UQO

Le professeur Tremblay ajoute que, selon lui, « toute démarche qui vise à contrôler, monitorer, s’assurer de voir qui est actif à ce processus-là est contraire à la lettre des droits en matière de travail ».

Une plainte en relations de travail

De son côté, le vice-président de l’Association des membres de la police montée du Québec (AMPMQ), le caporal Charles Mancer, soutient lui aussi avoir été témoin de cette surveillance, qu’il détaille dans une plainte qu’il a déposée à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP).

Extrait de la plainte déposée à la CRTFP

« Le plaignant précise que le commissaire adjoint François Deschênes a, lui-même agissant pour l’employeur, entre le 18 mai 2016 et le 31 mai 2016, espionné les activités de l’AMPMQ et de ses dirigeants au local de l’AMPMQ [...] D’autres enquêteurs de la GRC ont aussi participé à cet espionnage ».

Cette plainte allègue que la direction de la GRC a « ordonné d’utiliser les caméras de surveillance pour espionner les activités de l’association lorsque ses représentants faisaient signer des cartes d’adhésion », et que « plusieurs membres se sont plaints de la surveillance par caméra ».

Dans sa réponse à la plainte, la GRC réfute cette allégation.

«À aucun moment les ressources et les techniques de la GRC n'ont été utilisées à l'endroit du plaignant ou contre tout autre employé de la GRC qui adhère à une organisation syndicale ou participe à ses activités.» - Réponse de la GRC à la plainte de Charles Mancer déposée à la CRTFP

La GRC dément aussi les allégations d’intimidation.

« Contrairement à ses prétentions, ce dernier [Charles Mancer] n'est pas victime d'intimidation, de harcèlement, de distinctions illicites en matière d'emploi et de pratique antisyndicale », peut-on lire dans la réponse de la GRC à la plainte déposée à la CRTFP.

Parler de syndicalisation hors des murs de la GRC

Dans une note publiée à l'intention de son personnel, la GRC lui interdit d’utiliser ses ressources pour « diffuser des renseignements au sujet d’un modèle de relations de travail quelconque ».

Ceci est légal, selon le professeur Jean-François Tremblay, tout en apportant une précision. « En fin de compte, l’employeur peut toujours restreindre l’utilisation de ces moyens-là dans la mesure où il pense que ça va à l’encontre de ses intérêts », explique-t-il.

Par ailleurs, les agents de la GRC qui souhaitent se syndiquer font face à d’autres défis importants. Toute initiative syndicale doit donc avoir lieu pendant les temps libres des employés, à l’extérieur des murs de la GRC.

Le caporal Mancer l’a appris à ses dépens.

En mai dernier, alors qu’il était en congé, il s’est rendu dans les bureaux de la GRC à Montréal pour encourager les agents à se déplacer au local loué à proximité par son groupe syndical.

Depuis, Charles Mancer fait face à des sanctions disciplinaires pour avoir fait la promotion de son association sur son lieu de travail.

Le caporal conteste cette poursuite disciplinaire, qu’il qualifie d'abusive, d’où sa plainte devant la CRTFP. Selon lui, cette procédure est « extrêmement nuisible » à sa carrière, et l’empêchera d’obtenir des promotions.

«Les membres de la GRC dans cette culture-là doivent faire attention s’ils veulent avoir une belle carrière, ne pas faire de vagues. C’est vu comme faire des vagues que de vouloir un syndicat.» - Charles Mancer, caporal à la GRC

Censurés jusque sur les médias sociaux?

Selon nos sources, le contrôle du discours syndical à la GRC s'effectuerait jusque sur les médias sociaux. Pourtant, il s’agit d’une des rares plateformes disponibles pour recruter des membres, puisque de nombreux agents sont déployés dans des régions isolées au pays.

«Comme on n’a pas accès à aucun système de communication de la GRC, le seul moyen qu’on a de rejoindre une grande quantité de membres, c’est avec les médias sociaux.» - Agent de la GRC sous le couvert de l’anonymat

Des agents auraient ainsi fait l’objet de réprimandes pour des commentaires au sujet de la syndicalisation, pourtant formulés sur des pages Facebook privées, selon nos sources.

Il est vrai que les membres de la GRC sont soumis en tout temps à un code de déontologie, qu’il leur incombe « de maintenir l’honneur de la Gendarmerie, ses principes et ses objets. »

En l’absence de représentation syndicale, notre source déplore cependant que la GRC ait « un très grand pouvoir » lorsque vient le temps de réprimander ses membres.

« On est sujets à ce code de conduite là. Si on fait un commentaire, n’importe qui qui voit ce commentaire-là peut faire une plainte », soutient notre source.

De son côté, le professeur Jean-François Tremblay estime que ces pratiques reprochées à la GRC se situent « sur la ligne de la légalité » et indiquent qu’il pourrait y avoir là « une démarche abusive de la part de l’employeur ».

« Si cette obligation-là de respecter l’employeur faisait en sorte d’interdire toute discussion qui pourrait emmener à la syndicalisation, ça va complètement à l’encontre non seulement de l’esprit de la loi, mais du jugement de la Cour suprême », explique-t-il.

Montée de la grogne, selon un ancien sous-commissaire

Depuis que la Cour suprême a déclaré que l’ancien programme de représentation des employés était inconstitutionnel, la GRC a mis sur pied un mode de représentation temporaire. Cependant, c’est toujours la direction qui aurait le dernier mot.

Selon l’ancien sous-commissaire à la GRC Pierre-Yves Bourduas, la grogne s’emparerait des membres du corps de police fédéral depuis deux ans.

«Le grenouillage monte de plus en plus. Il est grand temps que la GRC prenne les moyens pour s’assurer d’une représentativité adéquate qui serve les Canadiens et Canadiennes.» - Pierre-Yves Bourduas, ex-sous-commissaire à la GRC

Les policiers fédéraux n’ont pas obtenu d’augmentation de salaire depuis 2014. Ils gagnent environ 20 000 $ de moins que les policiers de Calgary et d’Edmonton, par exemple.

Selon M. Bourduas, cette situation pousse des agents de la GRC à quitter « l’organisation pour aller rejoindre d'autres corps policiers », qui offriraient des conditions plus avantageuses.

De plus, le controversé projet de loi C-7, qui doit définir le cadre de la syndicalisation à la GRC, traîne toujours au Parlement. En juin dernier, le Sénat l’a renvoyé à la Chambre des communes avec de nombreux amendements, en retirant notamment des éléments limitant le droit des agents à la négociation.

Un porte-parole du ministère de la Sécurité publique affirme que C-7 sera de retour aux Communes tôt ce printemps.

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