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L'élection de Marine Le Pen serait-elle une victoire pour les femmes?

L'élection de Marine Le Pen serait-elle une victoire pour les femmes?
Marine Le Pen, French National Front (FN) political party leader and candidate for French 2017 presidential election, attends a political rally in Saint-Herblain near Nantes, France, February 26, 2017. REUTERS/Stephane Mahe
Stephane Mahe / Reuters
Marine Le Pen, French National Front (FN) political party leader and candidate for French 2017 presidential election, attends a political rally in Saint-Herblain near Nantes, France, February 26, 2017. REUTERS/Stephane Mahe

Marine Le Pen présidente française? Si le scénario n'est pas le plus probable, il est de moins en moins exclu tant par les observateurs que par ses rivaux. Une femme au sommet de l'Etat français. Sur le papier, il s'agit d'un aboutissement, d'une suite logique au combat mené pour que triomphe l'égalité homme-femme. Mais, dans le cas de l'élection de Marine Le Pen, serait-ce le même symbole que si Ségolène Royal avait remporté la présidentielle en 2007? Ou Hillary Clinton en 2016? La victoire de Marine Le Pen à l'élection présidentielle représenterait-elle une victoire pour les femmes?

"C'est peut-être une victoire du féminisme, ce n'est pas une victoire pour la démocratie." Voilà la réponse que donna la philosopheElisabeth Badinter invitée sur France Inter le 7 février 2017. Une petite phrase qui fit polémique, certains lui reprochant de soutenir Marine Le Pen. Difficile donc de souligner le symbole sans déclencher de procès d'intention.

La candidate du Front national a l'occasion de s'exprimer sur le sujet puisqu'elle s'offre deux heures de direct sur la chaîne RTL ce mercredi 8 mars, Journée internationale des femmes.

"Il y a un énorme problème dont personne ne parle [...] c'est le recul du droit des femmes lié au fondamentalisme islamiste." #RTLMatinpic.twitter.com/EPJmhnjSpx

— Marine Le Pen (@MLP_officiel) 8 mars 2017

Pour les féministes et observateurs de la vie politique que nous avons interrogés, la question ne laisse pas indifférent, elle intrigue, agace ou met mal à l'aise. Si symbole il y a, mieux vaut lui tourner le dos et réaligner le sujet sur la question des idées.

Une "fille de" avant d'être une femme

"On ne peut pas déconnecter le fond de la personne", martèle Claire Serre-Combe, porte-parole d'Osez le féminisme, jugeant au passage les propos d'Elisabeth Badinter "hallucinants". Rebecca Amsellem, fondatrice du média féministe Les Glorieuses, refuse même d'accorder toute portée symbolique à cette accession au pouvoir: "Le symbole, on s'en fout".

Pourquoi refuser à Marine Le Pen ce symbole? À cause d'abord de son patronyme et de son parcours au sein du Front National. "Marine Le Pen est la fille de son père, avant d'être une femme politique", analyse Camille Froidevaux-Metterie, professeure de science politique à l'Université de Reims et auteure d'un docu-fiction sur les femmes politiques françaises.

Sans l'étiquette Le Pen/FN, les avis changent, évidemment. "Si c'était une candidate issue d'un parti qui prône les valeurs démocratiques, ce serait une victoire en terme de représentation pour les jeunes filles", assure Rebecca Amsellem, avant d'ajouter bien vite pour que le doute ne perdure pas "mais ce n'est pas le cas de Marine Le Pen. Ça fait treize ans qu'elle s'évertue à faire reculer les droits des femmes."

Dans son programme, trois lignes sur les droits des femmes

Dans son programme présidentiel justement, Marine Le Pen parle des femmes à une seule reprise. Dans l'engagement n°9, elle entend "défendre les droits des femmes". Elle envisage cela par trois actions: "lutter contre l'islamisme qui fait reculer leurs libertés fondamentales; mettre en place un plan national pour l'égalité salariale femme/homme et lutter contre la précarité professionnelle et sociale". Ce rapprochement entre lutte féministe et danger de l'Islam est une déclinaison du thème cher au FN, les dangers de l'immigration. Il est logiquement ce sur quoi la candidate communique le plus. Ce qu'elle n'a pas manqué de faire une nouvelle fois ce jeudi sur RTL.

"Les femmes doivent voir dans ma candidature, la seule capable de lutter contre le recul de leurs droits", a-t-elle notamment plaidé en pointant la lutte contre les inégalités et l'islamisme mais sans jamais évoquer les réticences de son propre camp sur le droit à l'avortement notamment.

Dernier exemple en date, en février 2017, en visite au Liban, Marine Le Pen refuse de se voiler pour son audience avec le mufti de la République à Beyrouth. Un geste parfois bien accueilli, y compris auprès de ses opposants politiques. Interrogé dans l'Émission Politique, Jean-Luc Mélenchon, qui se considère comme "un militant lié au féminisme", l'a par exemple soutenu.

"Un coup de com", dénoncent Rebecca Amsellem et Claire Serre-Combe. "Si elle n'avait pas à ce point voté contre toutes les lois en faveur des droits des femmes, ce geste aurait appuyé une conviction personnelle mais là ce n'était pas consistant", s'insurge Rebecca Amsellem, agacée par le traitement médiatique qui a suivi cette prise de position.

Les femmes votent de plus en plus pour Marine Le Pen

Du côté des observateurs de la vie politique, les positions sont à peine moins tranchées. Camille Froidevaux-Metterie reconnaît cependant que "Marine Le Pen, présidente de la République, n'est pas une victoire, mais un symbole important. Le fait d'être une femme n'est plus un obstacle". Pour sa part, Christèle Marchand-Lagier, maître de conférences en Sciences politiques à l'Université d'Avignon, se dit même "surprise" que la question se pose. Pourtant, c'est aussi par ce prisme que les électeurs l'appréhendent, en particulier hors du parti.

Christèle Marchand-Lagier suit depuis quinze ans, entre autres, un échantillon de femmes qui votent Front National. Elle remarque que, dans le sud de la France, le nom Le Pen et sa qualité de femme ne sont pas une carte de visite suffisante pour assurer un bulletin de vote féminin en sa faveur. Son positionnement "ni de gauche ni de droite" n'est pas particulièrement porteur dans l'électorat qui plébiscite par contre Marion Maréchal Le Pen, pour ses idées et pas pour son sexe. "Chez les femmes que j'ai suivies, elle ne fait pas du tout l'unanimité. Les femmes ne votent pas forcément pour des femmes". En effet, c'est particulièrement vrai au Front National, comme son père avant elle, en 2012, Marine Le Pen a pu compter sur un électorat plutôt masculin.

Mais l'écart entre les femmes et les hommes qui votent pour la candidate frontiste se resserre depuis son arrivée à la présidence du parti. Valérie Igounet, historienne, a parcouru les villes FN pendant deux ans à la rencontre des électeurs. Interrogée sur ce qui a changé entre le FN de Jean-Marie Le Pen et celui de sa fille, elle n'a aucune hésitation: "La vraie nouveauté du FN de Marine Le Pen, c'est le vote des femmes".

Une politique féminine et non féministe?

Un travail de normalisation du FN a permis cette féminisation. Pour lisser l'image sulfureuse du parti, sa présidente y a mis du sien, en se posant en femme moderne, jeune, active, divorcée, mère de famille. Un autre symbole auquel les féministes ne veulent pas souscrire: "Elle veut passer pour une femme normale mais c'est une imposture, une héritière. Elle ne connaît pas le quotidien des femmes", démonte Claire Serre-Combe.

Une image qui a en tout cas plu, en particulier aux femmes dite "employées de commerce". "Elles incarnent un nouveau prolétariat des services, peu qualifié, mal payé, dont les conditions de précarité n'ont rien à envier à celles des ouvriers. En 2012, ce groupe a voté pour Marine Le Pen à 30%, un score supérieur de 17 points à celui de son père en 2007", expliquait la sociologue et politologue Nonna Mayer dans l'hebdomadaire Le 1. Un électorat sensible certes à l'image mais aussi au discours sur la crise.

Si son image de femme a convaincu, dans son positionnement, Marine Le Pen reste très prudente sur cette thématique, en témoigne le peu de place laissé aux femmes dans son programme. "Outre l'heureuse convergence entre le rejet de l'immigration et la lutte féministe contre l'islamisme, remarque Camille Froidevaux-Metterie, on est très loin d'un projet féministe. Son féminisme est fluctuant, Marine Le Pen s'en sert comme d'une ressource en fonction des circonstances." Marine Le Pen, une politique féminine et non féministe? C'est l'hypothèse avancée par la porte-parole d'Osez le féminisme.

Difficile donc de comparer Marine Le Pen à d'autres candidates qui avaient mis en avant bien plus qu'elle leur image de femme et de féministe, d'autant que le contexte est différent. "Ségolène Royal a subi de nombreuses attaques sexistes en 2007, en particulier de son propre camp, rappelle Claire Serre-Combe. Ce n'est pas du tout le cas avec Marine Le Pen. Et c'est plutôt une bonne chose, il y a tellement de choses à redire sur son programme qu'il ne faut pas tomber dans ce piège", se félicite malgré tout la porte-parole d'Osez le féminisme.

Faut-il voir une victoire du féminisme dans le simple fait qu'une candidate ne soit pas attaquée en tant que femme mais en tant qu'adversaire politique? Oui, si la dite candidate ne jouait pas tant de son image.

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