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Les trolls viennent à bout de la chroniqueuse Judith Lussier

Les trolls viennent à bout d'une chroniqueuse
Courtoisie

Épuisée par le nombre et la violence des commentaires sur les réseaux sociaux, plusieurs femmes dans les médias décident de s'en éloigner. C'est le cas notamment de Judith Lussier, qui a récemment abandonné sa chronique d'opinion largement consacrée aux idées féministes.

Un texte de Vincent Rességuier

Judith Lussier a signé des chroniques pendant sept ans (deux ans au magazine Urbania et cinq ans au journal Métro). À travers ses textes, elles provoquaient des débats, souvent à propos de féminisme, parfois en lien avec son homosexualité. Elle a souvent fait le choix d’affronter les trolls sur les réseaux sociaux, mais elle a décidé de jeter l’éponge parce qu’ils sont une « source d’épuisement » et qu’ils ont fini par la décourager, explique-t-elle à Radio-Canada.

Elle affirme que pendant sept ans elle s’est convaincue que la violence verbale faisait partie de son travail. Dans cet esprit elle a tenté de supporter « les petits et grands désaccords, les insultes, les humiliations publiques, les argumentations malhonnêtes, la mauvaise foi, le paternalisme, le harcèlement ». Mais elle juge aujourd’hui que la société ne devrait pas accepter un tel niveau de violence et que « personne ne mérite de vivre autant d’agressivité dans son travail ».

Elle juge que la violence verbale a provoqué de l’usure dans la pratique de sa profession. Elle ne retient aucune parole en particulier, mais plutôt l’accumulation des commentaires.

Elle a tout de même porté plainte une fois auprès de la police de Montréal et en tant que travailleuse autonome, a dû assumer l’intégralité des frais. Elle explique que la plainte n'a jamais abouti, car il est très « difficile » de démontrer qu'un commentaire haineux est commis par une personne derrière un compte sur les réseaux sociaux. « Bref, c'est compliqué, épuisant et inutile », conclut-elle.

La faute à Facebook

Bien que sa chronique soit ouverte aux commentaires sur le site du journal Métro, ce sont les paroles dans les médias sociaux qui l’ont épuisé. D’abord, parce que la page du journal est gérée par une équipe de modérateurs, mais surtout parce que son compte Facebook est à la fois son outil de travail et un lieu de socialisation.

Comme les débats suscités par ses chroniques se poursuivaient régulièrement sur sa page Facebook, c’est sur cet espace personnel que Mme Lussier a particulièrement subi les foudres du public.

Elle estime que Facebook est un « outil extraordinaire » pour recevoir des commentaires de la part des lecteurs, mais aussi pour s’informer et trouver des sujets de chroniques. Le réseau social crée cependant une abondance de commentaires qui ne tous ne sont pas respectueux ou constructif. Elle juge qu’il y a beaucoup de malhonnêteté dans les propos de personnes qui ont « une opinion sur tout ».

« Il faudrait faire quelque chose, Mark Zuckerberg », lance-t-elle.

Son rédacteur en chef chez Métro, Yannick Pinel, assure avoir tout fait pour soutenir sa chroniqueuse, notamment en affectant des modérateurs sur le site du journal. Il se dit déçu de sa décision, mais n’est pas surpris. Après une rencontre au début de l’année, il a senti qu’elle avait atteint une « limite par rapport à ce qu’une personne peut subir comme insultes, comme menaces et comme propos diffamatoires ».

Le féminisme : sujet polémique

Mme Lussier estime que les sujets de ses chroniques, le féminisme et l’homosexualité l’ont particulièrement exposé aux paroles violentes. Elle considère que les féministes génèrent des tensions et de l'incompréhension. Elle regrette que de nombreuses personnes soient convaincues que « le féminisme c’est contre les hommes » et déplore qu’il soit plus facile pour un homme que pour une femme de s’aventurer sur ce terrain.

« C’est très rare qu’un homme soit critiqué pour une position féministe », estime-t-elle.

De son côté, M. Pinel souligne que les articles de Mme Lussier suscitaient « beaucoup de commentaires violents » à cause des thèmes abordés et « des positions qu’elles pouvaient prendre sur le féminisme ».

M. Pinel la décrit comme une guerrière de la justice sociale (social justice warrior) et note qu’elle avait de nombreux trolls.

Une santé mentale de fer

Lundi soir, l'auteure et blogueuse Manal Drissi, lassé des insultes et des menaces de trolls, a affirmé qu'elle envisageait, elle aussi, de s'éloigner des médias.

« Pour être une femme dans les médias dans l'état des choses, il faut avoir une santé mentale de fer et une résilience surhumaine », écrit-elle sur son compte Facebook.

« Va falloir réfléchir à ce qu’on attend des femmes dans l’espace public. Parce que présentement, on s’attend à ce qu’elles se fassent entendre sans parler fort, qu’elles se démarquent sans déranger et qu’elles prennent leur place sans la revendiquer », poursuit-elle.

Avec la collaboration de Laurence Niosi

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