Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Des fuites suggèrent que le comportement de Donald Trump inquiète jusqu'à ses conseillers

Le comportement de Trump inquièterait même ses conseillers

Le président n'était plus sûr de savoir: vaut-il mieux, pour l'économie américaine, que le dollar soit fort ou faible? Il a donc pris son téléphone, mais pas pour parler aux conseillers économiques qu'il a fait entrer au gouvernement, ni même à l'un de ses amis constructeurs immobiliers. Il a appelé son conseiller à la sécurité intérieure, le lieutenant-général Mike Flynn, d'après deux sources qui ont entendu celui-ci relater l'incident.

Flynn est un spécialiste du contre-espionnage, mais pas des questions macroéconomiques. Il a donc répondu à Donald Trump qu'il ne savait pas, que ce n'était pas son domaine d'expertise, et qu'il valait mieux demander à un économiste.

Le président n'a pas apprécié, mais c'était peut-être à cause de l'horaire. D'après Flynn, le coup de fil a été donné à trois heures du matin (ni la Maison-Blanche ni le secrétariat de Mike Flynn n'ont souhaité confirmer ce détail).

Les Américains qui ont de Donald Trump l'image d'un magnat compétent et résolu, comme celui qu'il incarnait dans son émission de téléréalité The Apprentice, sont peut-être étonnés d'apprendre cette anecdote, l'une parmi tant d'autres de ce type qui circulent actuellement à Washington: celle d'un dirigeant impulsif, parfois mesquin, davantage concerné par l'adulation du pays que par les détails de son propre programme, et qui n'hésite pas à faire porter le chapeau à d'autres quand les choses tournent mal.

Comme on pouvait s'y attendre, ce comportement lunatique a créé une atmosphère où les fuites des agences gouvernementales, et même de la Maison-Blanche, sont désormais monnaie courante. Et si les fuites sont habituellement le fait de membres du personnel qui médisent de leurs collègues pour se faire mousser ou dénoncent les initiatives qu'ils jugent désastreuses, le gouvernement Trump, qui n'a que deux semaines derrière lui, a une troisième sorte de lanceurs d'alerte: ceux qui, à la Maison-Blanche et dans les différentes agences gouvernementales, s'inquiètent de la conduite du président.

"Je suis à Washington depuis 26 ans et je n'ai jamais vu rien de tel", explique Eliot Cohen, haut fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères dans le gouvernement de George W. Bush, et membre du Conseil de sécurité nationale à l'époque. "Je pense sincèrement que ce président souffre de troubles mentaux."

"Je suis à Washington depuis 26 ans et je n'ai jamais vu rien de tel. Je pense sincèrement que ce président souffre de troubles mentaux."

- Eliot Cohen, haut fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères dans le gouvernement de George W. Bush

Il y a, par exemple, l'affaire des documents confidentiels préparés pour Donald Trump. Un assistant nous a confié, sous couvert d'anonymat, que le chef de l'exécutif n'aimait pas les synthèses trop longues: une page maximum dans l'idéal, sous forme de liste à puces (mais pas plus de neuf éléments par page).

Les petites choses peuvent l'amuser énormément, ou engendrer un agacement intense. Le président a dit au New York Times qu'il était fasciné par le réseau téléphonique de la Maison-Blanche. Dans le même temps, il s'est plaint des serviettes à main dans l'avion présidentiel, poursuit notre source, parce qu'elles n'étaient pas assez douces.

Il est particulièrement fasciné par la prestation de ses conseillers quand ils passent à la télé. Si ses prédécesseurs ne prenaient généralement pas le temps de regarder leur porte-parole lors du point de presse quotidien du gouvernement, Donald Trump semble le faire systématiquement. De même, il ne rate jamais les sketches de l'émission satirique Saturday Night Live sur le gouvernement qui, au mieux, ne l'amusent guère et, au pire, le font enrager.

Ces informations sur les échanges de Donald Trump avec ses conseillers et les coulisses de son gouvernement proviennent de sources travaillant dans les agences gouvernementales et à la Maison-Blanche. Elles ont demandé de ne pas révéler leur nom, de peur de perdre leur emploi.

Certaines des fuites s'expliquent par un désaccord politique – l'interdiction faite aux réfugiés et aux ressortissants de sept pays à majorité musulmane de venir aux États-Unis, par exemple –, mais la plupart semblent motivées par le sentiment que la rhétorique, les actes et les tweets de Donald Trump constituent une réelle menace.

Ses tweets sur la technologie nord-coréenne en matière de missiles balistiques trois semaines avant l'investiture, par exemple, ont interféré avec la stratégie des conseillers militaires de Barack Obama, qui estimaient dangereux de provoquer un jeune dictateur déséquilibré disposant de l'arme nucléaire.

Pour Richard Nephew, spécialiste des sanctions iraniennes au ministère des Affaires étrangères dans le gouvernement Obama, certaines de ses fuites semblent être motivées par l'envie d'indiquer aux Américains que l'on n'a pas tenu compte de l'avis des experts, au cas où les choses tourneraient au vinaigre. "Je crois que ces personnes veulent montrer, sans l'ombre d'un doute, qu'elles ont essayé de proposer une solution, mais qu'elles se sont vu opposer une fin de non-recevoir catégorique", pense-t-il.

Dans le même esprit, l'Associated Press a donné les détails d'une conversation téléphonique entre le président et son homologue mexicain, Enrique Peña Nieto, le 27 janvier, où Donald Trump évoquait les "bad hombres" qui se trouvent au Mexique et la possibilité de demander à l'armée américaine de s'en occuper (la Maison-Blanche a ensuite affirmé qu'il s'agissait d'une plaisanterie). De même, le Washington Post a publié les détails d'une conversation survenue le lendemain entre le président et le premier ministre australien, Malcolm Turnbull, au cours de laquelle Donald Trump a violemment condamné l'accord passé entre les deux pays au sujet des réfugiés en transit en Australie avant leur arrivée aux États-Unis.

Enfin, le New York Times a dressé le portrait d'un président déprimé, accro aux talk-shows politiques, errant en robe de chambre dans les couloirs de la Maison-Blanche le soir en exprimant sa frustration par des tweets furibonds.

"Je crois que c'est un appel au secours", estime Elizabeth Rosenberg, spécialiste du contre-terrorisme dans le gouvernement Obama. Selon elle, de nombreux employés des organismes chargés de la sûreté du territoire, alarmés par ce qui se passe, sont animés par un sentiment basique: "L'incrédulité, et le besoin d'en faire part à leurs pairs."

"Il y a toujours des fuites. Tous les présidents disent que la presse veut leur peau et qu'il y a trop de fuites."

- Ron Kaufman, qui a travaillé à la Maison-Blanche sous la présidence de George H.W. Bush

La Maison-Blanche a démenti plusieurs de ces témoignages, notamment celui qui voudrait que Donald Trump possède une robe de chambre (sans même parler de la porter). D'autres jugent qu'il n'est pas rare que des membres du gouvernement tentent d'entraver l'action du président. Ron Kaufman, qui a travaillé à la Maison-Blanche sous la présidence de George H.W. Bush à la fin des années 1980 et au début des années 1990, pense que les fuites actuelles sont symptomatiques des premiers mois d'un nouveau gouvernement: "Il y a toujours des fuites. Tous les présidents disent que la presse veut leur peau et qu'il y a trop de fuites."

De même, Randy Evans, l'un des membres de l'équipe — reines des fuites — de Newt Gingrich, lorsque celui-ci présidait la Chambre des représentants, dans les années 1990, n'a "pas l'impression" que les conseillers de Donald Trump remettent ses compétences en question. "Pas encore, en tout cas. C'est bien trop tôt. Je crois plutôt qu'ils se positionnent politiquement, et qu'ils font preuve de beaucoup de suffisance."

L'idée selon laquelle Donald Trump est fondamentalement incapable de diriger le pays ne date pas d'hier. C'était le principal argument de ses opposants lors des primaires de l'an dernier, et tout au long de la campagne présidentielle, en été et à l'automne. L'intéressé semblait parfois ravi de cette description, qui lui permettait de revendiquer le titre de candidat antisystème.

Mais ces inquiétudes purement théoriques ne l'ont pas empêché de prendre des décisions extrêmement graves à la Maison-Blanche, comme le montre la mort d'un membre des forces spéciales lors de l'assaut raté au Yémen, le 29 janvier. Le président avait autorisé l'opération après un dîner avec son principal conseiller politique, l'ex-directeur de Breitbart News, Stephen Bannon, dont la nomination au Conseil de sécurité national avait elle-même fait l'objet de multiples fuites et avertissements des services de renseignement américains.

"Les services de renseignement tentent désespérément de trouver le moyen d'influer sur les décisions les plus catastrophiques", explique Rick Wilson, ex-fonctionnaire du Pentagone, spécialiste de la question et critique virulent de Donald Trump.

Selon Randy Evans, la Maison-Blanche devra prendre des mesures efficaces contre les fuites si elle veut garder la main, comme l'équipe de Newt Gingrich avait dû le faire il y a vingt ans, en confiant des petits secrets à divers membres pour savoir ceux qui finiraient dans les journaux. "Si le gouvernement s'attaque sérieusement au problème, il trouvera les responsables", dit-il.

Eliot Cohen, qui enseigne aujourd'hui à l'École des Hautes études de l'Université Johns Hopkins, estime cependant que le problème n'est pas à chercher du côté des fuites, mais de la présidence de Donald Trump, qui ne respecte que les membres de sa famille proche et ne témoigne de sympathie à personne d'autre. De ce fait, il ne doit pas s'étonner si ses équipes se comportent de la même manière. "Voilà ce que c'est que d'avoir un président narcissique", prévient-il.

Cet article, publié à l'origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.

INOLTRE SU HUFFPOST

10 unes marquantes avec Donald Trump

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.