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Cinq ans plus tard, peut-on s'attendre à un autre printemps érable? (VIDÉO)

Cinq ans plus tard, un «carré vert» et un «carré rouge» font le point.

En février 2012 s’amorçait la plus importante mobilisation étudiante de l’histoire du Québec. Cinq ans plus tard, deux anciens leaders étudiants à l’opposé du spectre politique s’entendent pour dire qu’il serait une « erreur » de tenter de recréer le printemps érable.

« Dans le monde du cinéma, comme dans le monde de la politique, les reprises sont rarement une bonne idée », fait valoir Gabriel Nadeau-Dubois, qui s’est fait connaître comme co-porte-parole de la CLASSE et qui est maintenant courtisé pour faire le saut en politique provinciale.

L’ex-leader étudiant, devenu auteur, pense que le vœu de « refaire 2012 » par nostalgie serait une « mauvaise manière de réfléchir » dans une réalité politique changeante. C’est pourquoi il pense que le mouvement étudiant actuel a tout avantage à cesser de tenter de recréer les succès d’il y a cinq ans.

« C’était quand même la plus grande lutte sociale de l’histoire du Québec, peu importe les indicateurs qu’on garde. Les militants d’aujourd’hui, qui sont dans le mouvement étudiant, ne peuvent pas se donner comme objectif de recréer ça. C’est beaucoup trop lourd, comme responsabilité », renchérit Nadeau-Dubois.

En 2015, des associations étudiantes avaient voté en faveur d’une grève « sociale » au printemps, afin de dénoncer les compressions budgétaires dans les cégeps et les universités ainsi que l’ensemble des mesures d’austérité du gouvernement Couillard.

Mais leur tentative de recréer un autre printemps étudiant est tombée à plat, n’ayant pas réussi à mobiliser autant les étudiants ou la population générale que trois ans auparavant.

« Ma job, ce n’est pas de faire la leçon aux gens qui sont actuellement dans le mouvement étudiant », poursuit Nadeau-Dubois. À son avis, la force de 2012 est d’avoir réussi à articuler une « demande précise, concrète, très spécifique » qui était l’annulation de la hausse des frais de scolarité.

Une saga de quatre ans

La grève étudiante de 2012 a également vu une judiciarisation du conflit. Alors que des dizaines et des centaines de « carrés rouges » manifestaient dans les rues du Québec, les autres étudiants – surnommés les « carrés verts » - tentaient de réintégrer leurs cours par le biais des tribunaux.

Alexandre Meterissian, qui était lui aussi étudiant en 2012, a co-fondé la Fondation 1625, un organisme à but non lucratif pour financer des injonctions d’étudiants affectés par la grève et offrir un « contrepoids » médiatique aux associations étudiantes.

« Historiquement, il n’y a jamais eu une mobilisation de jeunes qui voulaient aller à l’école ou s’il y en a eu, c’était extrêmement marginal. Pour la première fois, on s’est mobilisés, mais on n’avait pas d’institution, on n’avait pas de financement, on n’avait pas d’encadrement », relate celui qui est maintenant consultant senior chez HATLEY Conseillers en stratégie, une firme de relations publiques.

La Fondation 1625 avait soutenu financièrement Jean-François Morasse dans sa poursuite contre Gabriel Nadeau-Dubois pour outrage au tribunal. Il l’accusait d’avoir incité les étudiants à contrevenir à un ordre de la cour qui lui permettait d’aller à ses cours.

L’affaire s’est finalement rendue jusqu’en Cour suprême. Dans une décision majoritaire à six voix contre trois, les juges ont blanchi GND et ont ainsi mis fin à une saga judiciaire qui durait depuis quatre ans.

« Ça met un barème, après ça, pour toutes les mobilisations. Tous les prochains porte-paroles vont être capables, après ça, de savoir elle est où la limite de ce qu’on peut dire. Si au moins cette pénible bataille a pu servir à créer ce précédant-là, je suis content quand même de l’avoir fait », indique Nadeau-Dubois.

« Malheureusement, on a perdu, on respecte la décision, mais c’était un enjeu pour lequel il fallait se battre, répond Meterissian. Il fallait envoyer un message clair aux prochains leaders des syndicats étudiants qu’on ne va pas se laisser faire. »

Une population plus cynique

Le thème de l’éducation n’a pas fini de faire jaser. Gabriel Nadeau-Dubois en a encore parlé lors d’assemblées de cuisine, dans le cadre de sa tournée « Faut qu’on se parle ». Son collectif s’apprête à dévoiler les conclusions des consultations dans un livre-bilan, Ne renonçons à rien.

Il explique que ce n’est pas tant les cégeps et les universités qui ont retenu l’attention de la population dans les dernières années, mais plutôt les niveaux primaire et secondaire, durement affectés par les compressions du gouvernement Couillard.

« L’impact des mesures d’austérité est réel, mesurable et concret dans la vie des gens. Et ça, les gens nous en ont parlé, qu’on ait été sur le Plateau-Mont-Royal, aux Îles-de-la-Madeleine ou à Lebel-sur-Quévillon », fait-il valoir.

« Ce dont il faut peut-être se rappeler, c’est qu’à l’époque, on a été tous précipités dans une lutte, dans une mobilisation dont on n’avait pas prévu l’ampleur »

— Gabriel Nadeau-Dubois

Mais si c’est la colère qui alimentait les débats il y a cinq ans, la population cède tranquillement au cynisme.

« J’en sens peut-être plus qu’en 2012, explique Nadeau-Dubois. Beaucoup de gens me l’ont dit : on n’a pas envie de devenir cyniques, mais c’est difficile de ne pas devenir cyniques dans la conjoncture politique actuelle au Québec. »

GND déplore des décisions comme celles du premier ministre Justin Trudeau de renoncer à la réforme du mode de scrutin du jour au lendemain, après avoir martelé cette promesse électorale jusqu’à tout récemment.

« C’est sûr que des gestes comme ça ont un impact dévastateur sur la confiance que les gens ont envers les institutions démocratiques », indique-t-il.

Une jeunesse politisée

Alexandre Meterissian constate quant à lui que la grève étudiante de 2012 a créé une « nouvelle génération qu’on ne voit pas tant dans les médias » de jeunes intéressés par les affaires publiques.

Selon lui, le Québec verra des « carrés verts » se lancer en politique dans 10, 15 ou 20 ans. Entretemps, il est d’avis que les étudiants qui veulent aller à leurs cours seront « beaucoup plus structurés, beaucoup plus outillés pour faire face à Goliath – les grandes fédérations étudiantes qui sont extrêmement bien financées ».

Gabriel Nadeau-Dubois rejette complètement l’affirmation que les jeunes n’étaient pas politisés avant l’époque des carrés rouges et verts.

« Si ce n’était pas vrai avant 2012, ce n’était pas vrai en 2012, ce n’est pas vrai en 2017. C’est quelque chose qu’on a beaucoup dit, dans l’espace public, et d’ailleurs, ce sont souvent des gens plus âgés qui le disent », rétorque-t-il.

« Je n’ai jamais adhéré à cette idée-là que les jeunes ne sont pas impliqués politiquement. Ce qui est vrai, par contre, c’est que les jeunes ont de plus en plus de difficultés à s’identifier aux partis traditionnels. »

Une vision pour l’avenir

En regardant cinq ans en arrière, GND admet que son organisation a fait des erreurs et qu’il en a fait en tant que porte-parole. Mais il dit qu’il y a eu d’autres très beaux moments, comme les grandes manifestations du 22 mars et du 22 mai 2012.

« Ce dont il faut peut-être se rappeler, c’est qu’à l’époque, on a été tous précipités dans une lutte, dans une mobilisation qui nous dépassait beaucoup, dont on n’avait pas prévu l’ampleur. Une mobilisation qui a vraiment pris des proportions historiques », rappelle-t-il.

Meterissian, qui a dénoncé la violence des « carrés rouges » en 2012, admet ne jamais avoir assisté à une manifestation étudiante. « Je les ai vues de l’externe, ces manifestations-là. Je les ai regardées beaucoup à la télévision », explique-t-il.

Il pense malgré tout avoir réussi à compliquer la tâche aux GND de ce monde avec les injonctions de sa fondation.

« Aujourd’hui, je pense que ça va être beaucoup plus difficile pour les leaders des associations étudiantes à l’avenir de faire une grève de la taille qu’on a vue en 2012 », se félicite-t-il.

Nadeau-Dubois, lui, ne sait pas s’il va continuer son engagement en politique citoyenne ou en politique active après la fin de l’aventure de « Faut qu’on se parle ».

« Au moment où on se parle, à quel moment est-ce que je suis rendu dans ma vie? Je ne le sais pas encore. J’y pense beaucoup, surtout depuis quelques semaines. Mais je n’ai pas encore de réponse définitive à ça, parce que c’est un gros dilemme pour moi. »

Chose certaine, il espère que la prochaine mobilisation au Québec, qu’elle provienne du mouvement étudiant ou non, sera « encore plus massive » qu’en 2012.


Voyez notre entrevue intégrale avec Gabriel Nadeau-Dubois :



Voyez notre entrevue intégrale avec Alexandre Meterissian :


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MANIFESTATION DU 22 MARS 2012

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