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Dans les coulisses des romances érotiques, le témoignage accablant d'une ancienne auteure, Camille Emmanuelle

Dans les coulisses des romances érotiques
Reading enjoyment. Carefree young woman is holding book and covering her face with it. She is sitting in bed and looking forward with joy
YakobchukOlena via Getty Images
Reading enjoyment. Carefree young woman is holding book and covering her face with it. She is sitting in bed and looking forward with joy

Faites le test, ouvrez la bibliothèque virtuelle de votre smartphone et regardez les livres les plus vendus du moment. Les premières places de ces classements sont semaines après semaines toujours reconnaissables par les mêmes couvertures de torses imberbes, les mêmes titres de romans en anglais aussi faciles à comprendre qu'à oublier, les mêmes histoires d'amour entre une jeune femme et un homme puissant.

Camille Emmanuelle, journaliste spécialisée dans les questions de sexualités, a écrit douze romans à l'eau de rose entre 2013 et 2014 pour une maison d'édition française. Un travail alimentaire qui l'amusait au départ, avant de l'agacer, puis de franchement lui devenir insupportable au fil des mois.

Dans Lettre à celle qui lit mes romances érotiques, et qui devrait arrêter tout de suite, paru le jeudi 2 février, Camille Emmanuelle dépeint une industrie qui méprise ses lectrices, ses auteures et qui donne à lire une sexualité clichée, réductrice et tout sauf épanouissante.

Un cahier des charges précis à suivre à la lettre

Au bout d'un an d'écriture, la trentenaire s'était transformée en machine à écrire. En cinq jours, elle pouvait désormais accoucher d'un roman. C'est bien simple, il lui suffisait de suivre un cahier des charges extrêmement précis et codifié pour pouvoir composer une nouvelle oeuvre.

L'homme est forcément très viril. La trentaine, il est milliardaire et non millionnaire. Les deux amoureux souffrent tous les deux de blessures secrètes qui les empêchent de s'engager mais qui ne sont pas non plus trop graves. L'héroïne est très féminine, jeune et inexpérimentée.

L'auteure doit remplir un grand fichier Excel qu'elle affichera au-dessus de sa table de travail pour s'assurer que les personnages restent tels qu'ils ont été décidés avec l'éditrice. Au détail près. Au fil des pages, impossible de les faire évoluer. L'héroïne aime la photographie? "Il faut qu'à chaque tome, elle ait son appareil et qu'on la voie prendre des photos", rappelle l'éditrice à Camille Emmanuelle.

Du sexe propre et un orgasme à tous les coups

Dans la forme, là encore, la liberté n'est pas de mise. "Des phrases courtes, beaucoup de dialogues, peu de descriptions, et le maximum de 'pensées intérieures' (dixit l'éditrice)", explique-t-elle. Dans ces romans, toutes les pensées de l'héroïne sont retranscrites à l'écrit, elle sont décortiquées, pré-mâchées, pré-digérées pour faciliter la compréhension de la lectrice.

Une lectrice à qui l'on doit surtout donner à lire un peu de sexe, c'est quand même tout l'intérêt de cette littérature! Ces scènes sont aussi capitales que composées selon une charte très précise. Le cadre des ébats doit être le plus romantique et le plus "propre" possible. "C'est du sexe sans fluides: il n'y a pas de sperme, pas de mouille, pas de sueur", déplore encore Camille Emmanuelle.

Mais surtout, ces romans-là mentent. "Notre héroïne de romance n'a pas de sextoys [...] mais miracle, à 20 ans elle jouit au bout de 4 minutes, quand l'homme la pénètre". Cet homme est d'ailleurs forcément un dieu du sexe qui ne connaît aucun faille, ni aucune faiblesse. Bienvenue dans un monde où la panne sexuelle, la spontanéité du sexe, les questions qu'il pose au sein du couple et le manque de désir n'existent pas.

Bien sûr, ce paysage désolé n'est pas représentatif de toute la littérature érotique contemporaine. En France, des auteures comme Octavie Delvaux qui a connu un joli succès littéraire avec ses deux romans Sex in the kitchen et Sex in the TV, ou Louisa Méonis qui a publié chez Harlequin Lola, grosse et exhibitionniste sont bien éloignés des travers dénoncés par Camille Emmanuelle. Preuve que d'autres plumes savent faire entendre leur voix et qu'il ne tient qu'à la lectrice de chercher ailleurs un peu de bonheur et de sexe.

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