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Suicides chez les vétérans: une famille endeuillée dénonce le «labyrinthe administratif» d'Ottawa (VIDÉO)

La famille d’un ancien militaire qui s’est suicidé dit qu’il a été une « victime du système ».

OTTAWA –La famille d’un ancien militaire qui s’est suicidé dit qu’il a été une « victime du système ». Maintenant qu’elle est prise avec la paperasse des Anciens combattants, elle veut dénoncer le « labyrinthe administratif » qui a fini par achever l’un de ses proches qui souffrait tant sur le plan physique que mental.

« Vous n’avez même pas idée à quel point c’est compliqué, de mourir. Puis le suicide, c’est encore pire. Nous autres, on est en train de virer fous », a déploré Myriam Plourde, qui agit comme porte-parole pour la famille, lors d‘une entrevue en décembre.

Depuis la mort de son frère Dominic, en novembre dernier, ses proches tentent de recoller les morceaux. Mais ils ont également dû gérer la paperasse entourant son suicide et ont reçu des messages contradictoires du gouvernement entourant le remboursement des funérailles – après qu’elles aient eu lieu.

« Ma mère, son conjoint et moi, on trouve ça vraiment compliqué. Alors on se dit que quelqu’un qui est en détresse psychologique, qui est en douleur chronique, […] il pouvait bien-être découragé. C’est un tourbillon qui ne finit plus », déplore Myriam Plourde.

Les funérailles des anciens membres des Forces armées canadiennes (FAC) sont remboursées en entier par le Fonds du Souvenir à certaines conditions. Le décès de l’ancien combattant doit avoir un lien direct avec son service militaire et pour lequel il recevait une compensation monétaire du gouvernement.

« Ils nous demandent encore un paquet de paperasse pour prouver qu’il est mort. Voyons, est-ce qu’il va falloir leur envoyer un petit peu de cendres? »

— Myriam Plourde, soeur du défunt

Le lien entre son service et son décès doit être certifié par une autorité médicale, précise Anciens Combattants Canada (ACC). Mais difficile de faire le tri entre les nombreux spécialistes qui le traitaient pour ses maux.

« Ils nous demandent encore un paquet de paperasse pour prouver qu’il est mort. Voyons, est-ce qu’il va falloir leur envoyer un petit peu de cendres? » s’exclame Myriam Plourde, excédée.

Si le gouvernement a finalement accepté de rembourser le coût des funérailles, tel que prévu, des problèmes de communication dans le dossier ont laissé un goût amer dans la bouche de sa famille.

Une faute de frappe dans le dossier – le nom de famille mentionnait « Ploudre » et non « Plourde » est aussi venu compliquer le processus.

Dominic Plourde, qui vivait à Pont-Rouge dans la région de Québec, est décrit par ses proches comme un « grand bâtisseur », un « gars humaniste » et un « fonceur ».

Mais au moment de son décès, en novembre dernier, l’homme de 52 ans était affaibli tant physiquement que mentalement, en raison de blessures passées et de problèmes d’argent. Il n’avait pas de conjointe ni d’enfants.

Myriam Plourde raconte qu’elle voyait bien qu’il traversait des moments difficiles, surtout dans les deux dernières années. Mais son frère était persuadé qu’il était le seul à pouvoir se sortir du pétrin et rassurait sa famille quand il le pouvait.

« C’est sûr que les fois où l’on sentait que le moral était [moins bon], il avait tendance à minimiser ou à s’effacer », a-t-elle confié.

Originaire de Saint-Hyacinthe, il s’était enrôlé au Centre de recrutement des Forces canadiennes de Montréal en 1982, avant de suivre sa formation à Saint-Jean-sur-Richelieu pour devenir technicien des systèmes de contrôle de tir.

Il a été déployé en Syrie, en Allemagne et en Bosnie avant de quitter les forces armées pour de bon en 2010, en raison d’une hernie discale dégénérative et de problèmes de genoux.

Sa sœur raconte qu’il faisait des cauchemars récurrents depuis environ 20 ans, qui étaient reliés à des évènements traumatisants quand il était à l’étranger dont il ne parlait que très peu - des conséquences de son état de stress post-traumatique.

« Au Canada, ma vie était vraiment misérable »

Des idées plein la tête, Dominic Plourde rêvait de construire un centre de retraite en Jamaïque pour aider les vétérans comme lui à trouver la paix et la tranquillité d’esprit. Il tenait ses proches au courant de ses plans par le biais de son compte Facebook et avait même créé un groupe sur le réseau social pour aider les familles de militaires.

« [La] Jamaïque deviendra ma nouvelle maison à partir de maintenant. Le peuple et le pays sont tout simplement [géniaux], écrivait-il sur sa page Facebook personnelle en mars 2016. Au Canada, ma vie était vraiment misérable (demandez à ma famille et les amis, ils vous diront!) En Jamaïque, je l'ai retrouvé une certaine santé, le confort, la tranquillité d'esprit et beaucoup d'espoir. »

Le vétéran avait décidé de cesser toute sa « médication chimique » il y a environ deux ans parce qu’il trouvait qu’il en prenait trop, poursuit Myriam Plourde, et s’est tourné vers le programme de cannabis médical du gouvernement.

« Il ne prenait plus de pilules, il faisait du beurre de cannabis, il l’intégrait à son alimentation, il faisait du yoga, de la méditation – des choses que, moi, je considère positives pour s’en sortir », ajoute-t-elle. Il disait avoir trouvé « sa » sorte de cannabis en Jamaïque qui apaisait ses douleurs.

Mais le gouvernement l’avait averti que son plan de réadaptation ainsi que son allocation de perte de revenus seraient annulés parce qu’il n’avait pas avisé la gestionnaire de son dossier de ses plans de voyage, selon des lettres envoyées en janvier et en mars 2016.

Toujours sur Facebook, Dominic Plourde avait accusé la personne responsable de son cas de « faire toutes les choses qu’elle peut pour [le] garder ici au Canada » parce qu’elle croyait, en son sens, qu’il ne faisait que la fête là-bas.

« Je vais [à son bureau] pour voir son visage cette semaine pour lui dire qu'elle est en train de faire le contraire de ce qu'elle est censée faire. Aider les gens à ne pas mettre des bâtons dans les roués. Whatta BITC... F*ck elle! »

« Sachez qu’Anciens Combattants Canada travaille de concert avec les vétérans et leur famille pour s’assurer qu’ils obtiennent les services et les avantages auxquels ils ont droit. »

— Zoltan Csepregi, porte-parole d’ACC

Mais il a vite déchanté lors de son deuxième séjour là-bas. Sa sœur dit qu’il avait manqué d’argent et s’était possiblement fait voler. Son ami Michel Pelletier avait dû lui payer son billet d’avion pour retourner au Canada.

Une fois revenu chez lui, son allocation de pertes de revenus coupée, l’ancien militaire avait du mal à joindre les deux bouts avec une maison et une voiture à payer – au point où il avait rencontré un syndic de faillite en juillet 2016 pour évaluer ses options, selon Michel Pelletier.

Zoltan Csepregi, porte-parole d’ACC, dit que son ministère ne peut pas faire de commentaires sur des cas particuliers, comme celui de Dominic Plourde.

« Sachez qu’Anciens Combattants Canada travaille de concert avec les vétérans et leur famille pour s’assurer qu’ils obtiennent les services et les avantages auxquels ils ont droit », a-t-il fait savoir dans une déclaration.

Le porte-parole ajoute que « les vétérans doivent respecter les exigences du plan personnel de réadaptation qu’ils avaient élaboré en collaboration avec leur gestionnaire de cas ».

Si les exigences ne sont pas satisfaites, les anciens combattants recevront un avis écrit les informant des motifs, des conséquences et de la date d’entrée en vigueur de la suspension ou de l’annulation, ainsi que le droit de demander une révision de la décision.

Une fin tragique

Michel Pelletier, qui a connu Dominic Plourde en 1984 dans l’armée, avait repris contact avec son ami dans les dernières années. Il est aussi celui qui a découvert que son ancien compagnon d’armes s’était suicidé dans sa demeure de Pont-Rouge, le matin du 14 novembre 2016.

Deux jours auparavant, Michel Pelletier l’avait appelé pour prendre de ses nouvelles. « Je trouvais que sa voix était tellement frêle… Je ne l’avais jamais entendu comme ça. Il n’avait pas de force dans sa voix, je lui demandais de répéter », décrit-il en entrevue.

« J’ai dit à mon épouse : "Il faut que j’aille voir Dominic. Ça presse." »

Michel Pelletier a retrouvé son ami dans un état de détresse cette journée-là. Il a passé du temps avec lui et l’a amené manger dans un restaurant à Québec. « Il ne s’occupait plus de sa personne », se rappelle-t-il.

Michel Pelletier lui a ensuite proposé de venir passer du temps chez lui, avec son épouse, pour lui changer les idées. Après une journée d’hésitation et quelques appels, où il « sautait du coq à l’âne », Dominic Plourde a finalement admis qu’il avait besoin d’aide et a accepté la proposition de son ami.

Les deux hommes se sont parlés au téléphone le dimanche et ont convenu de se donner rendez-vous le lundi pour faire la route vers la maison de Michel Pelletier.

Avant d’aller le chercher, lundi matin, Michel Pelletier a tenté de téléphoner à son ancien compagnon d’armes à plusieurs reprises, mais n’a pas obtenu de réponse.

« Là, dans ma tête, je me disais que j’allais retrouver un corps. »

— Michel Pelletier

Arrivé à destination dans la ville de Pont-Rouge, l’ex-militaire a fait le tour de la maison, mais toutes les portes étaient barrées. Il a ensuite remarqué que la voiture de son camarade était encore dans le garage.

« Là, dans ma tête, je me disais que j’allais retrouver un corps. Je savais qu’il y avait quelque chose qui se passait », dit-il.

Michel Pelletier a regardé plus attentivement dans la porte de l’entrée et a aperçu du sang sur le plancher. C’est à ce moment-là qu’il a composé le 9-1-1.

Dominic Plourde s’était coupé les deux bras, dans le pli du coude, puis s’est tranché la gorge sans atteindre une de ses artères du cou. Il est décédé en se vidant de son sang. Les enquêteurs ont retrouvé un couteau Exacto et un couteau de cuisine à côté de son corps.

« Mon frère, ce n’était pas un violent, explique sa sœur Myriam. Si ç’avait été vraiment planifié, il se serait documenté, ç’aurait été short and sweet. Mais ce n’est pas ça qui s’est passé. »

Quand la famille est entrée dans sa demeure, après les faits, ils ont vu qu’il avait fait sa valise, sa canne pour marcher et sa genouillère.

«Il était prêt pour partir pour la semaine! Qu’est-ce qui s’est passé cette nuit-là? Connaissant mon frère et la façon dont il [s’est enlevé la vie], ce n’est tellement pas lui », poursuit-elle.

Un système « brisé »

Les problèmes de stress post-traumatique des vétérans ont refait les manchettes dans les dernières semaines, lorsque l’ex-militaire Lionel Desmond a tué sa famille avant de se suicider en Nouvelle-Écosse.

Michel Pelletier blâme la nouvelle charte qui est une source de stress supplémentaire pour plusieurs anciens combattants selon lui. Il veut que le fédéral se tourne vers l’ancien système, où les vétérans recevaient un montant fixe par mois.

La nouvelle charte a été adoptée par le gouvernement libéral de Paul Martin et est entrée en vigueur sous les conservateurs de Stephen Harper en 2006. Tous les partis avaient appuyé la nouvelle mouture à l’époque.

« J’ai essayé de leur expliquer que le système est brisé, et il n’est pas mieux depuis que [le ministre des Anciens combattants Kent] Hehr est au pouvoir. C’est pire. »

— Michel Pelletier, ami du défunt

En vertu de la nouvelle charte, les anciens combattants peuvent recevoir des montants forfaitaires et des prestations ciblées pour cause d’invalidité ou pour aider à la réorientation professionnelle, par exemple.

Les montants peuvent également être redistribués par versements annuels sur le nombre d’années choisi par le vétéran.

Le gouvernement Harper avait fait des modifications au fil des années, pour ajouter de nouvelles indemnités ou des soutiens supplémentaires pour les vétérans gravement blessés ou malades, entre autres.

En comparaison, l’ancien programme, qui était mis en place après la Seconde Guerre mondiale, garantissait une pension mensuelle versée à vie.

« Ce qui n’était pas facile, c’était d’expliquer à la famille [pourquoi Dominic a fait ça]. Eux, ils essaient de comprendre. J’ai essayé de leur expliquer que le système est brisé, et il n’est pas mieux depuis que [le ministre des Anciens combattants Kent] Hehr est au pouvoir. C’est pire », laisse entendre Michel Pelletier.

Il explique que certains vétérans sont obligés de s’endetter auprès de leurs créanciers en attendant la somme promise – et parfois, il y a des délais supplémentaires en raison d’embûches ou de refus dans leur dossier.

Des promesses qui se font attendre

Le gouvernement Trudeau a promis de rétablir les pensions à vie « à titre d’option » pour les vétérans blessés ainsi que d’augmenter le montant des indemnités d’invalidité, tel que mentionné dans la lettre de mandat du ministre Hehr.

Dans le cadre de sa tournée pancanadienne pour parler aux « Canadiens ordinaires », le premier ministre Justin Trudeau a d’ailleurs été interpelé au sujet des pensions à vie par un ex-militaire.

« Nous avons pris une série de mesures immédiates pour combler certaines lacunes ou des défis dont nous avons hérité comme gouvernement, a répondu Trudeau. Nous avons reçu un mandat très clair pour mieux traiter nos vétérans, de le faire correctement et nous avons pris des mesures significatives, mais il y a encore beaucoup à faire. Les bénéfices à vie en font partie. »

Entretemps, des anciens membres des FAC comme Dominic Plourde continuent de mettre fin à leur vie après leur service militaire. Il est impossible de savoir pour l’instant combien d’entre eux commettent le geste ultime à chaque année, puisque les statistiques n’ont pas été compilées auparavant.

ACC a promis en 2015 de dorénavant faire le suivi et de dévoiler les tristes statistiques au public. Le premier rapport est prévu en décembre 2017.

La famille Plourde précise qu'elle voulait raconter son histoire non pas pour amasser de l’argent, mais bien pour éviter que d’autres ex-militaires et leurs proches connaissent le même sort que leur frère Dominic.

« J’imagine que mon frère, dans sa carrière militaire, s’est beaucoup accompli, laisse tomber Myriam Plourde. Mais l’autre côté de la médaille, par contre, c’est qu’on t’use à la corde, on te fait vivre dans des conditions et dans un stress non stop et un coup que t’es scrap, là, bye bye. »

Michel Pelletier, de son côté, a assisté à l’une des rencontres du Comité permanent des anciens combattants à Ottawa, avant les Fêtes, avec un portrait de son ami sur les genoux, afin que le gouvernement mette un visage sur son « chum mort des conséquences de son système ».

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