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Donald Trump ou la nouvelle ère des Titans

Il ne s’agit pas d’un jeu vidéo mais de l’Amérique de la période qui vient, et nous en avons eu un aperçu troublant cette semaine.

Commençons par un peu de mythologie grecque:

Les Titans étaient les descendants gargantuesques et tout-puissants du Chaos. Ils régnaient sur la Terre avant l'arrivée des demi-dieux et des simples mortels. Tout cela jusqu'à l'avènement d'êtres imparfaits -responsables politiques, bureaucrates et mauviettes adeptes du politiquement correct- qui affaiblirent l'Amérique et rendirent notre avenir incertain.

Et puis, en 2015, en plein cœur de Manhattan, un nouveau titan -corpulent, tonitruant, coiffé d'une tignasse artificielle semblable à une mandarine enflammée- descendit sur Terre dans un escalator doré. Il annonça qu'il rendrait sa grandeur aux Etats-Unis (non, non, vraiment, faites-moi confiance) et fut élu président.

Tel était Donald Trump. Et le voici aujourd'hui, engendrant un nouveau choc des Titans né du Chaos, ici et dans le monde entier.

On a pu en observer les prémices cette semaine -ses promesses et les dangers de son orgueil démesuré- quand le président-élu a déboulé sur scène alors que Barack Obama venait tout juste de la quitter.

C'est à un énorme changement d'image que nous venons d'assister avec, d'un côté, un président sortant qui souhaite incarner la raison et le bien commun et, de l'autre, Donald Trump, qui sera investi président vendredi prochain, déclarant que la brutalité, l'argent et le volontarisme hérité des techniques de vente sont les seules choses qui nous permettront de redresser la barre.

Mais les Américains préfèrent le style Obama, dont la cote de popularité atteint à 55% selon un nouveau sondage Quinnipiac. Trump est à 37%, un chiffre très bas pour un président fraîchement élu. Les électeurs estiment qu'il est intelligent et puissant, mais aussi malhonnête, insensible à leurs préoccupations, très agité et qu'il devrait d'ailleurs arrêter de tweeter.

Tout ceci n'inquiète pas l'intéressé, ni son cercle rapproché. Loin de s'approprier le mythe du "grand homme" (c'est tellement XXe siècle, tellement Churchill, Franklin Roosevelt et Staline!), il veut incarner celui du superhéros, selon lequel les personnalités viriles (et virales) défient non seulement l'Histoire mais aussi les lois de la physique.

Par essence -ce sont des dieux, après tout-, les nouveaux titans s'affranchissent des règles qui s'appliquent au commun des mortels. Avec leur aide, et celle de personne d'autre, Donald Trump accomplira ses exploits.

Il continuera à lancer des tweets fulgurants.

Il utilisera son sourire carnassier pour terrasser des carnassiers encore plus voraces, comme ces voleurs de l'industrie pharmaceutique et les sous-traitants du ministère de la Défense.

Il mettra à profit son expérience de la vente pour passer des accords avec les entreprises afin qu'elles ne délocalisent pas, surtout dans les Etats majoritairement démocrates qui ont eu l'intelligence de voter pour lui.

Il ne fréquentera que les milliardaires et les requins les plus puissants et les plus sympathiques de la finance et des nouvelles technologies, et seulement les chefs d'Etats les plus décorés et les plus nationalistes, des petits pays comme des grands.

Il assumera totalement de faire étalage de ses relations lors de ses conférences de presse: les génies de la Silicon Valley qui sont venus à la Trump Tower, l'homme d'affaires chinois Jack Ma, le magnat du pétrole Harold Hamm -un très bon ami, vraiment-, sans oublier le président russe Vladimir Poutine, son seul égal parmi les Titans.

Il fera fi des règles auxquelles sont soumis les simples mortels. Ses avocats avancent d'ailleurs que la notion même de conflit d'intérêt ne saurait s'appliquer à l'empire d'un homme de son envergure. Comment pourrait-il se dissocier du monde qu'il dirige, voyons?

Contrairement aux responsables politiques ordinaires qui manigancent en secret, Donald Trump menacera publiquement ses ennemis, et jurera de les piétiner sous ses mocassins. Il les attaquera aussi, histoire de rappeler que personne ne peut l'en empêcher, même si cela leur fait de la publicité.

Il reconnaîtra à demi-mots les qualités des journalistes qui lui sont acquis et témoignent de la gloire de cet être hors du commun. A l'inverse, ceux qui le défient seront pris pour cible comme jamais auparavant, traités de "pourritures" ou pire, et menacés de représailles qui feront passer la "liste noire" de Richard Nixon pour un goûter d'anniversaire.

Les membres de son cabinet seront les subalternes de son équipe de superhéros. Ils ont principalement été choisis en fonction de leur fortune, de leur carrière sous les drapeaux et de leur prestance devant les caméras. Rex Tillerson d'Exxon Mobil en est le parfait exemple; le minuscule Bob Corker, sénateur du Tennessee, le parfait contre-exemple. Sean Spicer, prochain porte-parole de la Maison-Blanche, n'est pas grand non plus, mais ce réserviste à la mâchoire carrée n'hésite pas à envoyer paître les journalistes.

Les fortes têtes des services de renseignement seront rappelées à l'ordre. De toute manière, Donald Trump tentera d'obtenir des gages de leur loyauté en virant presque tous les responsables en place, et peut-être même le directeur du FBI, James Comey. Les Titans sont les maîtres de leur territoire, et le président-élu compte bien faire de même.

Un haut responsable des renseignements m'a dit qu'il pensait que Donald Trump tenterait d'être l'artisan d'une "détente musclée" avec la Russie. En revanche, personne ne sait à quoi s'en tenir au sujet du troisième Titan, le Chinois Xi Jinping.

Mais les dieux peuvent surtout faire don de leur personne (si cela leur chante). Ainsi en va-t-il pour Donald Trump qui, comme il nous l'a dit lors de sa conférence de presse, a refusé une offre à deux milliards de dollars à Dubaï (avec son très bon ami Hussein Sajwani) parce qu'il voulait se consacrer pleinement à la tâche de diriger l'Amérique. Il aurait pu choisir l'argent (son colistier, Mike Pence, et lui sont d'ailleurs les seuls membres du gouvernement à pouvoir se permettre de dire non, mais la fortune du vice-président est insignifiante, comparée à celle de Donald Trump) mais, dans sa grandeur, il a choisi de servir le peuple américain.

Peut-être réussira-t-il, d'ailleurs. On n'a cessé de le sous-estimer. A moins qu'il ne connaisse le même destin qu'un célèbre navire dont les propriétaires avaient voulu rendre hommage aux premiers superhéros de la mythologie grecque.

Son nom? Le Titanic.

Cet article, publié à l'origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.

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