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Cette frontière qui sépare des familles américaines

Cette frontière qui sépare des familles américaines
Yanik Dumont-Baron/Radio-Canada

Selon les estimations, 9 millions d'Américains vivent au sein de familles bien particulières. Des familles où au moins une personne réside illégalement aux États-Unis. Des familles qui pourraient être déchirées par les politiques de Donald Trump.

Un texte de Yanik Dumont Baron

Plusieurs groupes d'aide aux immigrants disent être submergés de demandes depuis l'élection-surprise du républicain. Bien des gens à la recherche de protection contre ses promesses de déportation.

En novembre, plus de 1000 personnes ont été rencontrées par les employés de l’organisme Chicanos por la Causa (« Chicanos » est un terme parfois donné aux Mexicains habitant aux États-Unis), à Somerton, en Arizona. Presque le double de ce qui est habituel. Le petit centre est débordé; les clients attendent souvent 90 minutes avant d’être reçus, explique Iveth Lopez, une des consultantes.

Iveth Lopez aide des gens comme Cindy Hernandez, une grande femme à la peau blanche, née dans l’État de New York il y a 42 ans. Ce qui l’a amenée en Arizona, c’est la déportation d’un être cher. Son cas pourrait être un prélude à ce qui pourrait bientôt toucher bien des familles d’Américains.

Le mari de Cindy Hernandez, qui vivait illégalement aux États-Unis, a été déporté au Mexique. Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont-Baron

La vie de Cindy a basculé en 2012. Elle rentrait de l'église en voiture avec son mari et ses enfants. Les policiers lui ont ordonné de se ranger au bord de la route. Elle est citoyenne américaine, mais son époux habitait aux États-Unis illégalement depuis 16 ans.

« Les policiers se sont probablement dit : "Allons voir s'il a ses papiers". Ils l'ont pris devant nos enfants! »

Cindy se souvient de cette journée avec difficulté. Les larmes l’empêchent de terminer ses phrases. Les policiers « m’ont répété qu’ils le ramèneraient à la maison s'il n'avait pas de dossier criminel, qu'il reviendrait. Mais ils ne me l'ont jamais ramené. »

Antelmo a plutôt été déporté au Mexique, le pays où il est né, mais avec lequel il n'a pas vraiment gardé de liens. Cindy a donc tout laissé pour se rapprocher de lui. Elle a traversé le pays et s’est installée avec sa famille dans un motel tout près de la frontière.

Cindy nous a invités dans cette petite pièce qu’elle partage tant bien que mal avec quatre de ses enfants. La nourriture s'empile par-dessus le vieux micro-ondes, les vêtements sont accrochés partout, rangés dans des sacs de plastique. Sur les murs, des photos et quelques dessins. Une pièce trop petite devenue sa demeure par nécessité.

La petite chambre de motel où habitent Cindy et ses quatre enfants pour être à proximité du Mexique, où son mari a été déporté. Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont-Baron

« Je me sens prisonnière », explique-t-elle. « En plus, il y a des barreaux dans les fenêtres de la chambre! » Elle rit un peu, en expliquant que cela permet d’y sécher des vêtements.

Chaque vendredi après-midi, la famille s’évade de ce motel aux murs défraîchis. Après l'école, Cindy et ses quatre enfants traversent la frontière à pied pour passer la fin de semaine avec Antelmo.

Côté mexicain, la chambre est bien plus grande, mais moins meublée. C’est une seule pièce trop chaude et humide, qui donne directement sur une rue poussiéreuse. Antelmo est un homme de 34 ans, timide, isolé, réduit aux petits travaux pour survivre.

« Je ne fais que travailler. Et j’essaie d'oublier mes problèmes. » Pour survivre, il fait des pommes au sucre qu’il vend dans la rue. Il tente aussi de vendre des objets qu’il trouve, comme de la vaisselle, du linge. » Il calcule gagner environ 7 $ par jour.

Antelmo voit ses quatre enfants seulement le week-end, lorsque sa femme traverse la frontière mexico-américaine. Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont-Baron

Légalement, Antelmo doit attendre 10 ans avant de tenter de revenir aux États-Unis. C'est la pénalité pour y avoir vécu plus de 12 mois dans l'illégalité. Il a demandé une exemption qui lui permettrait de revenir aux États-Unis plus rapidement, en invoquant les souffrances que la séparation impose à sa famille.

C’est une demande d'exemption qui prend plus d’un an à analyser. Le système d'immigration est engorgé et inadéquat, explique Iveth Lopez, la conseillère juridique.

«Pour certaines catégories de visa, on traite présentement les demandes faites en 1997 [...] C'est complètement fou!» - Iveth Lopez, conseillère juridique

Impossible de prédire comment les politiques de Donald Trump influeront sur la situation de cette famille. Reste qu’ils ont peu d’options. Si la demande d'exemption leur est refusée, la famille regardera peut-être du côté du Canada, mais pas question d'aller au Mexique.

Et il n’est pas question pour Antelmo de revenir illégalement aux États-Unis. « Ça risque d'être encore pire si je me fais prendre de nouveau. Je comprends que les Américains veulent qu'on entre légalement. J'attends de voir s'ils vont me donner une autre chance. »

Le couple navigue à travers ces incertitudes tant bien que mal. Cindy juge « raciste » l’approche de Donald Trump. Mais elle approuve l’idée de protéger la frontière, d’expulser les criminels.

C’est pour les autres cas qu’elle n’est pas d’accord avec les promesses du prochain président. Pour ceux qui travaillent, paient des impôts et dont le seul crime est d’être entré sans demander la permission.

« Ceux qui n’ont rien à se reprocher, qui sont ici avec leur famille. Il ne faut pas les séparer. Ce n’est pas juste de séparer des familles », dit Cindy.

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