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Ton art/Ta job: «Je me rappelle très bien de rouler mes cennes noires» - Julie Beauchemin (ENTREVUE VIDÉO)

Ton art/Ta job: Julie Beauchemin
Julien Lamoureux

Être artiste, un rêve enrobé de paillettes? Un gage de glamour et d'abondance? Pour certains oui. Pour d'autres, la réalité est toute autre. Beaucoup d'artistes qui rencontrent un beau succès décident tout de même d'avoir un deuxième revenu, pour de multiples raisons. Et ils ne le crient pas nécessairement sur tous les toits. Parce qu'il est trop difficile de vivre de son art? Pour vivre de nouveaux défis? Tour d'horizon avec Fab (Random Recipe), Julie Beauchemin, Mathilde Lavigne et Nicolas Letarte.

Vous avez sûrement déjà vu la bouille de Julie Beauchemin dans Les poupées russes, Rumeurs, Jean Duceppe, Toute la vérité et plus récemment, dans Les pêcheurs. Saviez-vous que la comédienne est aussi une pro du doublage et une photographe hors pair qui prépare d'ailleurs sa prochaine exposition? Depuis quelques années, l'artiste se partage entre ces différents emplois.

«J'ai commencé à faire de la photographie parce que j'aimais ça. Ce n'était pas nécessairement pour pallier un manque. La photographie artistique m'apporte tout ce que j'ai un peu moins en doublage. La créativité qui part de soi, on l'a un peu plus à la télévision, au théâtre. La photographie, ça me permet de raconter une histoire.»

Et le doublage? «C'est vraiment quelque chose que j'ai voulu, pour utiliser ma voix d'une manière différente. J'ai travaillé fort pour me rendre là! J'ai fait plus de 200 heures d'observation pour comprendre comment ça fonctionne.» Une corde à son arc qui s'est avérée très utile: «J'ai travaillé sur Les poupées russes pendant 6 ou 7 ans. J'ai eu un enfant et il y a eu un arrêt de télévision pendant ce temps: ça a bien tombé. Les horaires de doublage, ça cadre bien avec un bébé!» Depuis, les journées se suivent et ne se ressemblent pas: «Parfois, je vais faire 8h à 21h et une autre, de 10h à 11h.»

Si avoir trois emplois ne répond pas nécessairement à un manque financier en ce moment, Beauchemin avoue que ça apporte une sécurité d'esprit qui vaut beaucoup. «Il y a des hauts et des bas: ce sont des métiers instables. Tu ne sais jamais! Même si bon, à un moment, tu te dis que si tes collègues aiment comment tu travailles, il y a une chance de retravailler ensemble. Ça apaise un peu les tensions! (Rires) Reste qu'on ne sait jamais. À la limite, si je vois qu'il y a moins de trucs qui se passent du "côté comédienne", je peux pallier avec la photographie.»

A-t-elle l'impression que le fait de ne pas uniquement se concentrer sur son métier de comédienne peut entraîner des jugements, ou même un tabou? «Je ne sais pas... Moi, je n'en ai pas. Peut-être que certaines personnes vont avoir l'impression de ne pas avoir réussi parce qu'elles sont obligées de pallier, mais ce n'est tellement pas ça que ça veut dire! Il faut le dire: il n'y a pas tant de projets dans lesquels on peut jouer. Pas tant de pièces de théâtre ou de rôles à la télévision. Et même des comédiens qui vont faire cinq projets dans une année n'arriveront pas parce que ce ne sont pas de bons salaires. Je ne sais pas si c'est un tabou pour certaines personnes, mais ça ne devrait pas. On est des humains, on est sur la Terre, on travaille pour pouvoir vivre. J'essaie d'avoir une partie créative pour être mieux dans ma tête, mais je n'ai pas besoin d'être comédienne pour être satisfaite de ma vie. Donc, je ne vis pas ce tabou, mais je crois que certains doivent le vivre.»

Sent-elle un stress dans le milieu, face aux salaires et conditions souvent difficiles? «Oui. Et aussi, comme fille, arrive un moment où on a l'impression qu'il y a moins de rôles. Surtout passé 40 ans. Même en doublage. D'ailleurs, beaucoup de films mettent seulement de l'avant des personnages masculins. Je pense que c'est plus instable pour les filles que pour les gars. C'est difficile aussi de vieillir à l'écran. Ce n'est pas bien accepté qu'une femme prenne de l'âge, des rides et du vécu. Alors que moi, je trouve ça très beau. Le fait que la société n'accepte pas de vieillir, ça se reflète dans les rôles.» Dur de combler le vide entre jeune première et grand-mère dans ce cas!

On s'en rend de plus en plus compte: la vie des artistes n'est pas toujours rose, même si elle comporte parfois son lot de glamour. Surtout devant les caméras. «Certaines personnes doivent voir les comédiens sur les tapis rouges des galas et se dire: "Ah les maudits artistes qui ont de l'argent et qui en veulent toujours plus!" C'est normal, les artistes veulent se mettre cutes. Et souvent ce sont des stylistes qui vont prêter des tenues pour faire de la pub. Et parfois, quand je vais dans ma famille élargie, les gens vont me dire: "Ah, c'est dur ce que vous vivez les artistes!" Il y a deux visions qui existent, et je dirai que la réalité est un mélange des deux. Parfois, on va avoir des contrats payants et ça va faire du bien de vivre là-dessus et d'autres fois, on roule nos cennes. Ça n'existe pas tant que ça des artistes fortunés.»

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Bien sûr, il y a les subventions, l'aide financière: «Je pense que toutes les sphères de notre société bénéficie d'aide. C'est important. Tu ne peux pas créer en essayant de travailler en même temps au dépanneur du coin. Il faut avoir la tête un peu libre et c'est normal que cet espace-là soit offert.» Quand on sait que le revenu moyen des 8 440 membres actifs de l’Union des artistes (UDA) était de 16 121 dollars et que 72% des membres actifs ont gagné 16 000 dollars et moins en 2015 - bien sûr, sans compter les sources de revenus extérieures provenant de contrats signés hors de la juridiction de l'UDA ou d'autres emplois -, la réalité rattrape. «Ça n'a aucun sens.» lance Julie, en souriant tristement.

A-t-elle déjà eu à compter ses sous, malgré les beaux rôles qu'elle a réussi à décrocher tout au long de sa carrière? «Oh, oui! (Rires) Je me rappelle très bien de rouler mes cennes noires, en calculant que j'allais bientôt faire une publicité qui allait me donner 2000 dollars et que ça allait me permettre de me rendre 3 mois plus tard. C'était des moments plus difficiles, je commençais. À un moment, tu finis par te planter les pieds. Et si ça ne fonctionne pas, tu fais autre chose. On peut développer beaucoup de passions dans la vie. J'ai accepté de faire des sacrifices du côté des finances quand j'étais jeune, je pouvais le prendre. Je ne resterai plus dans cet état à mon âge.»

Ton art/Ta job: une série à suivre sur Le Huffington Post Québec.

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