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Commission Charbonneau: un an après, où en sont les procès?

Un an après le dépôt du rapport Charbonneau, plusieurs procès issus d'enquêtes de l'UPAC tardent à aboutir.

Un an après le dépôt du rapport Charbonneau, plusieurs procès issus d'enquêtes de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) sur des dossiers de collusion, de corruption et de fraude tardent à aboutir, voire à se mettre en branle. Un exemple probant des lenteurs de notre système judiciaire, arguent deux juristes, qui invitent le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) à revoir ses façons de faire.

Nathalie Normandeau, Gilles Vaillancourt, Frank Zampino, Tony Accurso, Bernard Trépanier... La liste des témoins qui ont comparu à la commission Charbonneau et qui font aujourd'hui face à de graves accusations criminelles reste longue. À l'exception de l'ex-ministre libérale et de ses présumés complices, arrêtés le printemps dernier, les autres sont pourtant accusés depuis des années, mais les verdicts dans leur dossier sont loin d'être prononcés.

« On a un problème dans notre système quand on met 3, 4, 5 ans à gérer des dossiers en matière criminelle et à avoir des verdicts », constate l'ex-bâtonnier du Québec Gilles Ouimet, qui est aussi membre du comité de suivi mis sur pied par d'anciens employés de la commission Charbonneau pour surveiller l'application de ses recommandations. « C'est la question qu'on doit se poser à mon point de vue. »

La juge à la retraite Suzanne Coupal, qui a analysé les travaux de la commission Charbonneau pour Radio-Canada, abonde dans le même sens. « On est face à un problème de lenteur du système judiciaire qui a plus rapport avec l'administration de la justice que le résultat d'enquêtes policières », souligne-t-elle.

« Le système est lourd actuellement [...] mais ce l'est plus encore dans les dossiers de fraude, parce que c'est long et laborieux à préparer comme dossier », précise-t-elle. La preuve dans de tels procès est généralement plus complexe que dans des cas de trafic de drogue, par exemple.

Selon Me Ouimet, il revient au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) de mieux orienter ces dossiers, en soulignant qu'il est « un peu illusoire » de penser que le système judiciaire peut absorber d'un coup le dépôt de centaines de chefs d'accusation contre des dizaines des personnes, comme cela s'est fait dans le cadre du procès des Hells Angels arrêtés dans le projet SharQc.

Ces commentaires ne sont pas sans rappeler les conclusions du comité d'examen mis sur pied par le DPCP présentées la semaine dernière et le jugement de la Cour suprême qui a établi, cet été, un nouveau cadre pour déterminer si un procès criminel a été retardé de manière déraisonnable.

« Il faut, au moment de déposer des accusations, tenir compte de la réalité du système, de sa capacité à gérer un dossier », commente Me Ouimet. Les délais judiciaires touchent tous les dossiers, dit-il, mais « plus un dossier est gros et complexe, plus il va falloir s'assurer qu'on prend les mesures pour s'assurer qu'il réussisse à passer dans le système dans des délais raisonnables ».

« Normalement, ça devrait être le DPCP qui explique comment ça se fait qu’après tant d’années on n’ait toujours pas obtenu des résultats », poursuit-il. « Est-ce qu’on a pris des bonnes décisions stratégiques dans ces dossiers-là? Évidemment, le DPCP va nous dire : "Les procès sont en cours, on ne peut pas commenter." Et c’est vrai. »

« Mais à un moment donné, il faut arrêter de dire qu’il n’y a plus personne qui rend compte de rien dans ces décisions », souligne-t-il, en précisant que ce problème ne touche pas uniquement les procès concernant les acteurs de la commission Charbonneau.

«C’est une chose d’être indépendant, parce qu’on ne veut pas que le pouvoir politique interfère dans les décisions, dans la justice criminelle. Ça, c’est clair. […] Mais est-ce qu’en consacrant cette indépendance au niveau du DPCP on n’a pas sacrifié un peu d'[obligation de rendre des] de comptes?» - Gilles Ouimet

L'ex-juge Coupal souligne pour sa part que le DPCP devrait notamment tenir compte de la recommandation du comité d'examen stipulant qu'il serait peut-être approprié pour le DPCP de ne traduire en justice que « les auteurs les plus responsables et les plus impliqués » dans des crimes allégués.

«Il faut d'abord s'attarder à toucher les têtes de réseaux. Il faut commencer par accuser les personnes qui sont en mesure de diriger les réseaux, plutôt que d'essayer d'attraper aussi les plus petits au bas de l'échelle.» - L'ex-juge Suzanne Coupal

Elle invite également le DPCP à repenser à sa façon de gérer ces procès. « Il faut que le DPCP prenne ses responsabilités, qu'après avoir décidé de poursuivre quelqu'un il ne s'en remette pas uniquement au juge, et arrête les procédures s'il se rend compte qu'on ne se rendra pas à la fin. »

Suzanne Coupal croit tout de même que ces procès aboutiront, aussi « longs et lents » puissent-ils être.

Le procès de l'ex-maire de Montréal Michael Applebaum, accusé d'avoir accepté des pots-de-vin s'élevant à plusieurs dizaines de milliers de dollars entre 2006 et 2011, constitue d'ailleurs une preuve que des procès pour corruption finissent tout de même par avoir lieu, même s'il faut beaucoup de temps.

Voici une liste non exhaustive des procès dont les témoins ont comparu devant la commission Charbonneau.

» Procès Roche : En attendant la comparution de l'ex-ministre Normandeau

Ce procès, le seul impliquant un ancien membre du gouvernement du Québec, n'est pas sur le point de connaître son dénouement. L'enquête préliminaire des sept personnes accusées en mars dernier ne s'ouvrira que le 5 juin 2017 au palais de justice de Québec, et leur procès pourrait ne s'instruire qu'en 2018. Les accusés entendent d'ailleurs profiter de l'occasion pour contester la tenue d'un procès, prévu jusqu'à nouvel ordre devant jury.

Cinq témoins entendus pendant la commission Charbonneau - l'ex-ministre libérale Nathalie Normandeau, son ex-chef de cabinet, Bruno Lortie, deux ex-vice-présidents de la firme de génie-conseil Roche, Marc-Yvan Côté et France Michaud, et l'ex-responsable du bureau de circonscription de Pauline Marois, Ernest Murray - doivent répondre à des accusations de complot, de corruption, de fraude et d'abus de confiance.

Selon l'UPAC, ces cinq personnes, ainsi que Mario Martel, ex-président de Roche, et François Roussy, ex-maire de Gaspé et ancien attaché du député péquiste Gaétan Lelièvre, ont comploté « dans le but de commettre un acte criminel, soit : corruption d'un membre d'une législature, fraude envers le gouvernement et souscription à une caisse électorale pour l'obtention ou la rétention d'un contrat, abus de confiance et fraude ».

S'ils sont reconnus coupables, Mmes Normandeau et Michaud, et MM. Lortie, Côté et Martel seront passibles de 14 ans de prison. Il s'agit de la peine maximale pour les accusations de fraude de plus de 5000 $, mais aussi pour celle de corruption de fonctionnaires judiciaires.

Nathalie Normandeau a plaidé non coupable, une position qu'elle a réitérée en prenant de la barre d'une nouvelle émission de radio de la station BLVD 102,1 à Québec, en septembre 2016. Elle a alors déchiré sa carte de membre du Parti libéral.

» Collusion alléguée à Laval : un mégaprocès qui tarde à se mettre en branle

Voilà un autre procès qui n'a toujours pas commencé, bien que les 37 personnes concernées aient été formellement accusées en... mai 2013! Les parties en cause se sont donné rendez-vous au palais de justice de Laval le 12 décembre prochain pour discuter de requêtes préliminaires, qui ne seront vraisemblablement entendues que l'année prochaine.

L'ex-maire de Laval, Gilles Vaillancourt, l'ex-directeur général de la Ville, Claude Asselin, et l'ancien directeur général de son service d'ingénierie, Claude Deguise, doivent répondre à une kyrielle d'accusations, dont celles de gangstérisme, de fraude, de corruption et d'abus de confiance, tout comme les 34 autres personnes - entrepreneurs, ingénieurs, facilitateurs - qui ont été arrêtées en même temps qu'eux.

Dix d'entre eux ont été entendus par la commission Charbonneau, soit les entrepreneurs Tony Accurso, Normand Bédard, et les frères Ronnie et Mike Mergl, les ingénieurs François Perreault, Rosaire Sauriol et Yves Théberge, l'ex-agent officiel du parti du maire Vaillancourt, Jean Bertrand, l'avocat Pierre Lambert et le notaire Jean Gauthier.

L'enquête de l'UPAC dans ce dossier, baptisée projet Honorer, a duré 3 ans. Les enquêteurs ont interrogé 150 témoins, effectué 70 perquisitions, enregistré 30 000 conversations et saisi 495 000 $. Les trois principaux accusés ont en outre dû payer d'importantes cautions s'élevant à plusieurs dizaines de milliers de dollars pour recouvrer leur liberté.

Accurso bientôt de retour devant le tribunal

Il est à noter que M. Accurso doit aussi répondre à des accusations de fraude envers le gouvernement, de complot pour fraude, de complicité en vue d'aider un fonctionnaire à commettre un abus de confiance et de tentative d'influence de fonctionnaires municProcès Faubourg Contrecoeur : déferlante de requêtes

Le procès pour fraude, abus de confiance et complot des sept personnes accusées en mai 2012 dans l'affaire du Faubourg Contrecoeur - une affaire qui a accaparé beaucoup de temps à la commission Charbonneau - finira-t-il par se mettre en branle? Le procès s'est ouvert en février dernier, mais le juge Yvan Poulin a immédiatement été saisi de plusieurs requêtes, dont une visant à arrêter les procédures, sous prétexte qu'il y avait eu des lacunes dans la divulgation de la preuve par le ministère public.ipaux dans le procès issu de l'opération Gravier, portant sur un stratagème de partage de contrats à Mascouche.

Ce procès devant jury s'ouvrira le 5 décembre, au palais de justice de Joliette pour une durée prévue de quatre mois. Les accusés entendent là aussi déposer des requêtes pour que les procédures soient abandonnées contre eux en raison de délais jugés déraisonnables. La juge Nancy McKenna a déjà décrété l'arrêt des procédures dans le dossier de 1 des 17 accusés la semaine dernière, en raison de ces délais.

L'ex-maire de Mascouche Richard Marcotte, au coeur de cette affaire, est mort en mai dernier.

» Procès Faubourg Contrecoeur : déferlante de requêtes

Le procès pour fraude, abus de confiance et complot des sept personnes accusées en mai 2012 dans l'affaire du Faubourg Contrecoeur - une affaire qui a accaparé beaucoup de temps à la commission Charbonneau - finira-t-il par se mettre en branle? Le procès s'est ouvert en février dernier, mais le juge Yvan Poulin a immédiatement été saisi de plusieurs requêtes, dont une visant à arrêter les procédures, sous prétexte qu'il y avait eu des lacunes dans la divulgation de la preuve par le ministère public.

Cette requête a finalement été rejetée en juin dernier, mais une nouvelle requête visant le même objectif a été déposée il y a quelques jours. Elle allègue cette fois que le procès doit être abandonné parce que les délais judiciaires sont trop importants. Si elle est rejetée, le procès se déroulera entre janvier et juin 2017.

L'ex-président du Comité exécutif de la Ville de Montréal Frank Zampino, l'homme d'affaires Paolo Catania et l'ex-collecteur de fonds d'Union Montréal, Bernard Trépanier, sont donc toujours libres, alors qu'ils sont accusés d'avoir ourdi un complot pour faire diminuer la valeur d'un terrain, de 19 à 4,4 millions de dollars, sur lequel un projet domiciliaire de 1800 logements devait être construit.

La Couronne allègue qu'un stratagème a été mis en place dans le but de favoriser Construction Frank Catania et Associés dans ce dossier. Quatre autres employés qui travaillaient pour cette entreprise à l'époque, soit Martin D'Aoust, André Fortin, Patrice Pascale et Pasquale Fedele sont aussi accusés dans cette affaire. Un huitième, Martial Filion, est mort en 2014.

Seul un accusé a réglé son dossier avec la justice dans ce dossier. Il s'agit de Daniel Gauthier, ex-président de la firme d'urbanistes Groupe Gauthier Biancamano Bolduc (GGBB), qui a plaidé coupable à deux accusations de fraude et à une autre de complot pour fraude. Il a été condamné en septembre à purger une peine d'emprisonnement de 18 mois dans la communauté, pendant laquelle il doit exécuter des travaux communautaires.

M. Trépanier subit un procès distinct dans cette affaire, en raison de son état de santé. Au début de l'année, son avocat a plaidé devant la Cour supérieure et la Cour d'appel que le juge Poulin devait se récuser, mais en vain.

» Procès Boisbriand : deux peines de prison ferme en attente d'une confirmation

Ces deux procès, les premiers à avoir été instruits au terme d'une enquête de l'Unité permanente anticorruption (UPAC), visaient huit personnes accusées d'avoir trempé dans un stratagème en vertu duquel des entreprises qui finançaient le parti au pouvoir obtenaient de lucratifs contrats en échange.

L'affaire avait été révélée par l'émission Enquête, dans un des reportages qui ont contribué à faire monter la pression pour que le gouvernement Charest crée une commission d'enquête publique sur l'industrie de la construction.

Les accusations portées contre deux accusés - Gaétan Morin et Rosaire Fontaine - ont finalement été abandonnées, mais six autres personnes ont bel et bien été condamnées, au terme d'un procès marqué par de nombreux rebondissements. Jusqu'à nouvel ordre, personne n'a encore purgé de peine de prison pour sa participation à ce stratagème, en raison des appels.

Sylvie St-Jean Berniquez, ex-conseillère municipale devenue mairesse en 2005, a plaidé coupable en février 2014 à des accusations de fraude, de complot pour fraude, d'abus de confiance et de complot pour abus de confiance. Elle a écopé d'une peine de prison de deux ans moins un jour, avec sursis, à 240 heures de travaux communautaires et à une probation de deux ans. Elle a ensuite témoigné contre ses anciens collaborateurs.

Robert Poirier, maire de Boisbriand de 1998 à 2005, a été reconnu coupable en septembre 2015 de fraude, de complot pour fraude, d'abus de confiance et d'aide à l'abus de confiance. Il a été condamné à 18 mois de prison ferme, assortis de trois ans de probation. Le juge a pris en considération le fait qu'il avait été le maître d'oeuvre des stratagèmes et qu'il n'éprouvait pas de remords. M. Poirier en a appelé du verdict et demeure donc libre.

Lino Zambito, à l'époque propriétaire de la firme de construction Infrabec, a plaidé coupable en mai 2015 à six chefs d'accusation de fraude, de complot et de corruption. Il a écopé d'une peine de prison de deux ans moins un jour avec sursis, de 240 heures de travaux communautaires et d'une probation de trois ans. Il a depuis écrit un livre, Le témoin, dans lequel il fait d'autres révélations que celles faites à la commission Charbonneau. Il entend donner des conférences pour inciter la population à s'engager dans la lutte contre la corruption.

Giuseppe Zambito, père de Lino, a plaidé coupable à une accusation pour avoir intimidé un concurrent d’Infrabec en 2009. Il a toutefois reçu une absolution inconditionnelle, comme l'avaient demandé conjointement la Couronne et la défense. M. Zambito a notamment prouvé au tribunal qu'il avait effectué des dons de 20 000 $ à l'Hôpital Sainte-Justine, à l'Hôpital de Saint-Eustache et à diverses fondations.

France Michaud, ex-vice-présidente de la firme de génie-conseil Roche, a été reconnue coupable de fraude, de complot pour fraude et d'abus de confiance en septembre 2015. Mme Michaud, qui avait précédemment témoigné à la commission Charbonneau, a écopé d'une peine de 18 mois de prison et de trois ans de probation. Elle en a appelé du verdict et demeure donc libre, à l'instar de M. Poirier.

Claude Brière, ex-conseiller municipal de 2005 à 2009, a été reconnu coupable d'abus de confiance et de complot pour son rôle dans une rencontre réunissant Mme St-Jean Berniquez et M. Zambito et deux conseillers de l'opposition, en juin 2009. Cette rencontre, divulguée par Enquête, avait pour but de convaincre ces deux conseillers d'éviter la tenue d'élections en novembre 2009. M. Brière a écopé d'un an de prison avec sursis, de deux ans de probation et de 240 heures de travaux communautaires.

Avec la collaboration de Geneviève Garon

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