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Ton art/Ta job: «Quand il te reste 22 dollars dans ton compte...» - Fab de Random Recipe (VIDÉO)

Être artiste, un rêve enrobé de paillettes? Pour certains oui. Pour d'autres, la réalité est toute autre.
Julien Lamoureux

Être artiste, un rêve enrobé de paillettes? Un gage de glamour et d'abondance? Pour certains oui. Pour d'autres, la réalité est toute autre. Beaucoup d'artistes qui rencontrent un beau succès décident tout de même d'avoir un deuxième revenu, pour de multiples raisons. Et ils ne le crient pas nécessairement sur les toits. Parce qu'il est trop difficile de vivre de son art? Pour vivre de nouveaux défis? Tour d'horizon avec Fab (Random Recipe), Julie Beauchemin, Mathilde Lavigne et Nicolas Letarte.

Fabrizia Di Fruscia alias Fab (rap, beat box) a vu son rêve se réaliser quand Random Recipe, groupe qu'elle a fondé avec Frannie Holder (voix, guitare), a commencé à connaître du succès. La formation montréalaise colorée, qui fait flirter hip-hop avec électro, a vite accueilli Vincent Legault (guitare, clavier) et Liu-Kong Ha (percussions), et c'était parti pour la gloire... Ou du moins, pour un succès dur à ignorer. Avec deux albums encensés par le public et la critique, Fold It! Mold It! (2010) et Kill the Hook (2013), Random Recipe a une place bien claire dans le paysage musical québécois.

Devant la popularité de Random Recipe, certains pourraient être portés à croire que Fab vit maintenant de sa musique... Et rester un peu surpris en la trouvant derrière la table d'hôtesse au restaurant Orange Rouge ou en l'apercevant en train de couper les cheveux d'un client chez Waxman House. Parfois (ou plutôt, souvent), Fab se trouve nez à nez avec des fans, presque choqués de la retrouver là. «"Tu travailles ici aussi?" Ils sont choqués, surpris. Souvent gênés. Et moi, je suis très à l'aise. Je leur dis: "You gotta do what you gotta do"» avoue-t-elle en riant.

Surprenant, cette réaction, n'est-ce pas? « Si quelqu'un me disait que Win Butler d'Arcade Fire travaille au bureau des passeports, j'aurais plus tendance à me dire "Nice, il est capable de tout gérer, d'être lui-même sur scène et au bureau des passeports." Il y a des gens qui diraient probablement que ce n'est pas un vrai artiste. Certains ont vraiment la vision du superhéros, toujours sur la scène avec une coupe parfaite, qui ne chie pas, ne pisse pas.»

Pour subvenir à ses besoins, l'artiste a dû bien vite se rendre à l'évidence: sa carrière en musique, bien que très florissante, ne lui apporte pas le nécessaire en ce moment. Débrouillarde, Fab a cumulé les jobs au fils des années: serveuse dans un café, vendeuse dans un magasin, etc. Pourtant, elle est catégorique: «Ma priorité, c'est Random Recipe! Quand je suis engagée dans n'importe quel travail, je laisse savoir que le band passe avant.»

Une priorité qui n'a pas toujours été facile pour le porte-feuille. «Quand tu te réveilles le matin et qu'il te reste 22 dollars dans ton compte, mais que tu es quand même capable de mettre un peu de bouffe sur la table et que le soleil brille dehors... Ça fait mal, mais c'est le coup de pied au cul pour s'en sortir, mieux planifier pour la prochaine fois. C'est une manière assez naturelle d'apprendre comment la vie fonctionne.» Fab prend un ton hilarant pour imiter sa mère: «Tu devrais travailler dans une banque, tu ferais plus d'argent! And I'm like, mom, ça ne va jamais se passer!» lance-t-elle en éclatant de rire.

Si elle se trouve dans l'obligation de travailler en parallèle de sa carrière musicale, Fab affirme être très épanouie et équilibrée en jonglant avec ses différents emplois. Celle qui a un baccalauréat en traduction en poche avoue que le contact avec les gens la nourrit beaucoup: «Je suis zéro internet: ça me permet de rester connectée à ce qui se passe.» Et d'être inspirée aussi. Travailler avec des gens de partout, ça peut donner des idées... Et devenir traductrice, ça n'a jamais été un projet? «Pas derrière un bureau... Quand j'étais petite, je voulais devenir guide touristique. Aider les gens qui voyagent.»

«Si ton but c'est de faire de l'argent, les arts, ce n'est pas le bon milieu. C'est un peu comme gagner à la loterie: ce n'est pas tout le monde qui peut, tout à coup, être millionnaire.» Ou même, boucler ses fins de mois. «Si je voulais faire de l'argent, je chanterais en français, on ferait juste des tournées au Québec parce que c'est moins cher, on pourrait même être deux au lieu de quatre... Mais ça ne viendrait pas du coeur.»

Trouve-t-elle que le Canada offre assez de subventions pour les artistes qui chantent en anglais? «Ouf. Je ne voudrais pas entrer là-dedans, ça a un côté très politique. J'ai étudié en langues, en traduction, j'ai fait de la linguistique... Je comprends très bien ce que c'est de vouloir protéger sa langue. Par contre, le gouvernement canadien pourrait prioriser certaines dépenses pour faire en sorte que l'art puisse vivre. Les gens veulent écouter de la musique, consommer de l'art. On n'a qu'à regarder Spotify: 8 dollars par mois et on a accès à tout. C'est malade, même moi je le veux! Par contre, ça crée d'autres problèmes.»

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Parce qu'un album ne tombe pas du ciel, les artistes se retrouvent souvent le bec à l'eau avant même d'avoir l'idée d'en lancer un. «C'est moderne, c'est une nouvelle façon de penser. Mais ça coûte quand même de l'argent faire un album: il faut payer le studio, la couverture d'album, les vidéoclips, etc. Ça vient d'où cet argent-là? Si les ventes d'albums descendent et que les subventions sont coupées... Oui, on peut faire des spectacles, mais les promoteurs ont de moins en moins d'argent. Ce n'est pas pour rien qu'on voit apparaître de plus en plus d'artistes solos, qui chantent et font de la musique sur leur ordi. Ça a un côté positif: l'artiste a plus de liberté...» Pour le soutien financier, c'est une autre histoire.

Pour Random Recipe, pas question de tomber dans les questions de stratégie pour faire le plus d'argent possible: l'art passe avant tout. Un bon exemple? Le spectacle au Festival de Jazz de Montréal en 2014, dans lequel la formation a été accompagnée d'une chorale de 30 personnes, de 5 batteurs, de Dead Obies et de Pierre Lapointe. Il va sans dire que le cachet de chaque musicien n'aura pas été fou. «C'est un investissement à long terme: on veut donner le plus possible au public, en espérant qu'ils vont nous encourager.» Viendrait-on de trouver une partie de la solution?

Ton art/Ta job: une série à suivre sur Le Huffington Post Québec.

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