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Congrès national de Drummondville : La crise identitaire de la CAQ

La crise identitaire de la CAQ

QUÉBEC – La CAQ profitera de son congrès national cette fin de semaine pour définir concrètement son virage nationaliste annoncé l’an dernier. Test des valeurs, burkini, défense des intérêts québécois : François Legault peut-il espérer prendre le pouvoir en jouant la carte identitaire?

Outre l’article 1 de son programme, qui réitère que son projet se fera au sein de la fédération canadienne, la CAQ prévoit adopter plusieurs propositions qui vont de l’accroissement des pouvoirs de la province à la protection de l’identité québécoise.

Ainsi, la commission politique du parti suggère de créer un rapport d’impôts unique géré par Québec. Un gouvernement Legault demanderait également le transfert en bloc des fonds fédéraux dédiés aux infrastructures afin de décider lui-même où ces sommes seront dépensées. Le parti pourrait également demander le rapatriement des budgets fédéraux en culture dédiés au Québec et exiger que la province participe à la négociation des conventions internationales qui touchent ses champs de compétences.

«Je caricature un peu, mais la CAQ, c’est le Crédit social, version 2016.»

Louis Balthazar

Sur le plan de l’immigration, la commission politique de la CAQ propose de «rendre obligatoires» les cours de français aux nouveaux arrivants qui ne maîtrisent pas la langue. De la même façon, Québec pourrait récupérer d’Ottawa le pouvoir de déterminer les critères pour la réunification familiale. Pour le moment, la province applique ceux que lui dicte Ottawa.

Finalement, la commission politique propose que la loi 101 s’applique «à toutes les entreprises, même celles constituées en vertu de la loi fédérale».

Le problème d’identité de la CAQ

Pourquoi miser sur le nationalisme, alors que le parti s’était fait le champion de l’économie depuis sa création en 2011? Pour l’ex-ministre péquiste Yves-François Blanchet, la CAQ a «récupéré l’identité en raison de son problème d’identité».

Il souligne que le PLQ («économie et fédéralisme») et le PQ («souverainisme, centre gauche») ont des marques fortes. «La CAQ, elle, n’a pas d’identité claire, sauf pour dire qu’ils sont à droite», observe celui qui est aujourd’hui analyste aux affaires publiques, notamment pour l’émission Les Ex, à Radio-Canada.

D’ailleurs, le parti doit faire le grand écart pour aller chercher des votes chez les libéraux et les péquistes, souligne-t-il. «L’autre chose qui ne les aide pas, c’est qu’ils n’arrêtent pas d’adopter la saveur du mois, ajoute Yves-François Blanchet. Ça fait qu’il y a une incohérence à travers le temps dans leurs positions.»

Pour le professeur Louis Balthazar, auteur du livre Nouveau bilan du nationalisme au Québec (VLB, 2013), l’arrivée d’un parti nationaliste sur la scène provinciale était inévitable. «On a toujours eu besoin, au Québec, d’un parti nationaliste non indépendantiste, c’est une bonne voie pour eux, estime-t-il. Mais ça prend l’allure d’un nationalisme que je n’aime pas, une sorte de populisme facile, anti-islamiste.»

Louis Balthazar qualifie la position de la CAQ de «nationalisme ethnique» qu’il associe à l’Union nationale et au Crédit social. «Je caricature un peu, mais la CAQ, c’est le Crédit social, version 2016», lance-t-il en référence au défunt parti conservateur-populiste sur la scène fédérale, principalement populaire dans les milieux ruraux.

Conférencier régulier dans les événements de la CAQ, l’ex-animateur de radio Gilles Proulx voit ce virage nationaliste d’un bon œil. Mais François Legault risque de se heurter à un écueil important, note-t-il : son programme repose beaucoup sur la bonne volonté d’Ottawa. Lesage et Bourassa se sont fait dire «non» quand ils ont voulu obtenir plus de pouvoirs pour la province, rappelle-t-il.

«Comment François Legault réussira-t-il à élargir cette autonomie s’il se fait dire ‘‘non’’, demande celui qui avait été approché pour se porter candidat. C’est là que je crains qu’il ne se passe rien.» Gilles Proulx doute que Justin Trudeau soit l’interlocuteur idéal pour les velléités nationalistes de la CAQ.

Ni oui ni non

Malgré tout, le nouveau positionnement de la CAQ répond à une tendance de fond dans l’électorat québécois, croit Éric Montigny, directeur exécutif de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires à l’Université Laval.

«Il y a une érosion du clivage traditionnel entre les Oui et les Non», note Éric Montigny, en citant un sondage CROP commandé l’an dernier par sa chaire dans le cadre du 20e anniversaire du référendum de 1995.

La tendance est particulièrement perceptible chez les jeunes francophones. «Les jeunes générations ont beaucoup été socialisées avec le débat entre les carrés rouges et les carrés verts», illustre-t-il.

«La CAQ va consolider ce qu’on appelle, dans les officines, le caquistan.»

Yves-François Blanchet

Malheureusement pour les analystes, l’axe souverainisme/fédéralisme n’a pas été remplacé par un nouveau clivage simple à résumer. «C’est beaucoup plus fragmenté, dit Éric Montigny. Les priorités des Québécois portent sur des questions autres, comme les finances publiques, la santé, l’économie.»

La définition du nationalisme a aussi changé dans la population, note Éric Montigny, qui publiera la semaine prochaine (conjointement avec Marie Grégoire et Youri Rivest) un livre intitulé Le cœur des Québécois, sur l’évolution du Québec depuis 1976. «La souveraineté, l’indépendance, est très associée à 1976, souligne-t-il sur la base d’un sondage. Ce qui caractérise le nationalisme dans l’esprit des Québécois en 2016, ce sont deux choses : la capacité de réussir une intégration des nouveaux arrivants et le succès du Québec à l’étranger.»

Sortir du «caquistan»

Depuis qu’elle a entrepris son virage nationaliste l’an dernier, la CAQ a gagné six points dans les sondages. Elle est passée de 16% à 22% des intentions de vote des Québécois, selon la firme CROP. Le parti a même obtenu 26% au mois de septembre, lorsque le PQ était toujours sans chef.

La mauvaise nouvelle, c’est que ce score demeure sensiblement le même que celui qu’il a obtenu aux dernières élections générales (23%), ce qui lui a valu le rôle de deuxième opposition. La CAQ se retrouve en tête dans une seule région, soit celle de Québec, avec 36%.

Le parti peine également à percer chez les non-francophones, où il obtient seulement 8% des intentions de vote. Le Parti libéral domine ce segment de la population avec 75% des appuis.

D’ailleurs, Louis Balthazar estime que la CAQ ne peut «absolument pas» espérer faire des gains chez les non-francophones aux prochaines élections. «C’est un parti canadien-français qui recrute dans les régions, où il y a très peu d’immigrants», dit le professeur. Il avait fait le même commentaire à Mario Dumont, quand celui-ci a sollicité ses conseils à l’époque de l’ADQ.

«On n’imagine pas un Maka Kotto à la CAQ», ajoute-t-il, en référence au député péquiste d’origine camerounaise.

Les données d’Éric Montigny corroborent en partie cette lecture. L’érosion du clivage Oui/Non est beaucoup moins importante chez les non-francophones, tout comme dans les groupes plus âgés.

Pour Yves-François Blanchet, la stratégie identitaire de la CAQ ne lui permettra pas d’élargir sa base suffisamment pour prendre le pouvoir en 2018. «Dans le meilleur des scénarios, mais Dieu sait qu’au Québec ça évolue vite, la CAQ va consolider ce qu’on appelle, dans les officines, le caquistan», dit-il. Autrement dit, le centre du Québec, la région de Capitale-Nationale et la Beauce.

Évoquant la Charte des valeurs du PQ et l’ADQ de 2007, Louis Balthazar fait le même constat : la carte identitaire est un mirage. «Ça aide à marquer des points, mais ça n’a jamais fait gagner vraiment», souligne-t-il.

Quoi qu’il en soit, la CAQ version 2.0 connaîtra son premier test bien avant 2018. Aux élections partielles du 5 décembre prochain, deux circonscriptions serviront de baromètre, croit Yves-François Blanchet. «Si la CAQ ne réussit pas à aller chercher Saint-Jérôme en plus d’Arthabaska, dit-il, ça fera très mal à leur crédibilité.»

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