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L'état de grâce de Simon Boulerice (ENTREVUE)

L'état de grâce de Simon Boulerice
Maxime Leduc

Les médias ont l’habitude d’écrire sur le talent et la multiplicité des publications de Simon Boulerice depuis des années. Mais l’écrivain montréalais vient d’atteindre un nouveau stade de sa carrière, un état de grâce qui rend chacune de ses œuvres plus remuantes encore.

Entre la fin septembre et le début octobre, l’auteur a appris qu’il était en liste pour le prix du texte de littérature jeunesse du Gouverneur général pour l’album Florence et Léon, créé avec Delphie Côté-Lacroix, et il a publié deux nouveaux romans: Géolocaliser l’amour (Éditions de ta mère) et L’enfant mascara (Leméac).

Dans le premier, on y suit un trentenaire dont le téléphone intelligent a récemment téléchargé les applications de rencontres Tinder et Grindr. Un jeune homme qui accepte toutes les invitations, à toutes heures et en tous lieux, tel un agent immobilier capable de reconnaître les quartiers et les propriétés dans la pénombre, toujours prêt à s’écarteler le cœur et le corps. Un auteur et comédien qui répond au nom de Simon.

«Je m’amuse entre le vrai et le faux, comme dans Simon a toujours aimé danser. Le personnage du roman, c’est un moi fantasmé, transformé. Je lui ai prêté des situations que j’aurais pu vivre en les hypertrophiant. Ce Simon-là est un fourre-tout de toutes les rencontres stimulantes et décevantes de mes amis.»

Sorte de romans par poèmes, Géolocaliser l’amour est probablement ce que Boulerice a écrit de plus beau. Après quelques pages seulement, on tombe à la renverse devant tant de maîtrise pour marier le quotidien au grandiose, avec un amalgame d’humour, de sensibilité et d’impudeur.

«Je dis tout. Le plus laid et le plus beau. J’aime lorsque le voile est retiré et qu’on voit vraiment qui sont les personnages. Je n’ai jamais aimé les héros. Je me reconnais beaucoup plus dans la chute que dans l’élévation.»

L’écrivain porte un regard empreint de lucidité et d’ironie sur la drague moderne. Même si son personnage est porté par une inébranlable volonté de rencontrer, comme un pauvre qui voudrait se sortir de la misère, il reste constamment sur sa faim, sentant que ses dates le laissent plus à moitié vide qu’à moitié plein.

«Simon est pleinement conscient qu’il projette plus de joie que ce qu’il possède en lui. C’est comme s’il était carencé. Il sent un trou béant qu’il essaie de colmater en allant vers les autres. Il se valide dans la multiplication des rencontres. Mais pourtant, il aspire à quelque chose de très consensuel: regarder Netflix en amoureux et profiter des blowjobs usuels d’un mari consentant. Plus on avance, plus on voit le clivage entre ce que à quoi il aspire et ce qu’on lui offre. En fait, le livre parle d’amour et aussi beaucoup de solitude…»

Dans la solitude de son appartement de Saint-Henri, Simon Boulerice a visiblement eu beaucoup de plaisir à se vider le cœur sur le dating, comme si quelque chose brûlait en lui. «J’ai rarement écrit avec autant d’euphorie! Et j’ai énormément retravaillé mes textes. Je tresse l’humour au drame comme je l’ai peu fait auparavant. Je ne suis ni défaitiste, ni dans la glorification. Je fais un état des lieux.»

Drame homophobe et transphobe

En 2008, en Californie, un adolescent de 15 ans s’est fait tirer dessus deux fois par son compagnon de classe, après que le premier ait demandé au deuxième s’il voulait être son valentin. Après avoir été maintenu en vie pendant deux jours, il est mort à la Saint-Valentin…

Voilà comment débute L’enfant mascara, un roman inspiré d’un fait divers tragique qui a ébranlé l’auteur. «Je suis né un 15 février et la Saint-Valentin fait un peu partie de ma mythologie. On m’a souvent appelé le petit Cupidon. Pour moi, cette fête est un moment heureux. Alors d’entendre parler d’un meurtre relié à l’amour, ça m’a bousculé.»

Boulerice a ressenti le besoin comprendre le destin de la victime, avant d’écrire le journal de son amour et de sa mort. Il y a trois ans, il a visité la Californie, l’école de Larry et questionné ses anciens enseignants. «J’ai fait du journalisme émotif avec un parti pris naturel pour Larry, la victime. Mais je voulais aussi que Brandon, le meurtrier, soit nuancé, et qu’on comprenne que l’amour ostentatoire de Larry l’a bouleversé. Il était humilié que la proposition soit faite au vu et au su de tous.»

Parce que voilà, le petit Larry était un débordement d’émotions et un manque d’attention sur deux pattes. Élevé dans une famille pauvre et non éduquée, battu par son père, qui le traite de fif et de dérangé, le garçon s’est toujours senti désaimé. «Son berceau familial n’était pas rassurant. Ses professeurs en font foi dans le documentaire réalisé sur lui: il a commencé à être plus radieux le jour où il a quitté la maison.»

En plus de gérer le rejet familial, Larry réalisait que sa différence ne se résumait pas par l’homosexualité, mais par la conviction d’être une fée née dans le mauvais corps. Peu à peu, il a commencé à se maquiller et à se transformer, en quête de sa propre identité.

«Il était énormément dans l’affirmation: il prétendait être la féminité incarnée. Il s’inspirait des vedettes du cinéma et de la chanson les plus glamour. Petit à petit, l’enfant qu’il était a pris de l’ampleur jusqu’à assumer sa véritable nature.»

Tant de lucidité sur ce qu’il était et si peu pour comprendre le désintérêt de Brandon envers lui/elle. «Il grappillait tout ce que Brandon lui disait, comment il le regardait et ce qu’il lui faisait, même si c’était méprisant. Dans sa tête, Larry se disait : “tu me craches dessus, j’avale, tu m’appartiens et tu es en moi”. C’était un résilient. Un flamboyant guerrier.»

Jusqu’à ce que la confrontation ultime le mette au plancher…

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La librairie "M'Enfin" à Rennes
Corps et âme de Matz, Walter Hill et Jef aux éditions Rue de sèvres."C'est un polar. Un jour une femme se réveille dans une chambre glauque. Très surprise de se voir dans la glace. Très surprise car normalement c'est un homme.A partir de là l'histoire d'une vengeance est racontée. Pourquoi lui a-t-on fait ça ? Comment ? Que lui est-il arrivé ? C'est une bande-dessinée divertissante et sombre, avec un peu les mêmes ambiances que les films de Tarantino. C'est une BD pour adultes."
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Même les pêcheurs ont le mal de mer de Diane Peylin aux éditions Les escales"Ce livre est très beau. C'est l'histoire de trois générations d'hommes: le grand-père, le fils et le petit-fils. Tout commence avec le décès du grand-père qui va briser le mal commun qui lie ces trois hommes: l'incapacité à dire ce qu'ils ressentent.Il se divise en trois partie. Chacune d'entre elles raconte la vie d'un homme avec de nombreux aller-retour entre le passé et le présent.Un vrai roman chorale."
Librairie "La Belle Lurette" à Paris
Tardigrade de Pierre Barrault aux éditions Arbre Vengeur"Tardigrade est un premier livre. On ne peut pas le qualifier de "roman", tant il est fragmentaire et singulier. Dans ce petit texte bourré d’humour et de fantaisie, il est question d’un animal minuscule aux propriétés extraordinaires, et de bien d’autre chose encore... Un narrateur pour le moins mystérieux nous fait part de son quotidien : ici, on fait chaque matin l’inventaire de ses organes, il se met à pleuvoir dès que l’on demande un peu d’eau, le sol se dérobe et les invités tombent des balcons, certains hommes ont deux têtes, d’autres n’ont qu’un seul côté, les visages se déforment quand on les regarde avec trop d’insistance et les pandas sont alternativement noirs, puis blancs; le tout raconté en une succession de passages plus ou moins brefs et sur un ton faussement léger, parfait pour ceux qui souhaitent rire ou sourire en laissant le réel de côté le temps d'une lecture."
Librairie "Vivement Dimanche" à Lyon Gabriel
Les méduses ont-elles sommeil ? de Louisiane C.Dor aux éditions Gallimard, collection Nos Vies"C'est un livre très court de 80 pages. Il m'a épaté. L'auteur a écrit 9a à 16 ou 17ans ! L'histoire est celle d'une jeune fille de 18 ans qui arrive à Paris. Pour elle, rien que d'arriver ici lui donne le sentiment d'avoir réussi sa vie. C'est une chronique d'une jeunesse sans horizon. Cette jeune femme va tomber dans la cocaïne sans s'en rendre compte. Ce qui est genial ce sont les descriptions de ses trips. On monte avec elle et on descend avec elle. Ca sent le vécu, c'est très réaliste et les descriptions sont poétiques. Un livre très original, étonnant et enthousiasmant. C'est vraiment génial !"
Librairie "Les Beaux Titres" à Levallois-Perret
Le miroir des illusions de Vincent Engel aux éditions Les Escales"Ce roman historique raconte une histoire de vengeance. Genève, 1849. Atanasio, jeune homme fraîchement arrivé de sa campagne toscane, apprend le décès de son protecteur Don Carlo, et la mission qui lui incombe pour toucher l'héritage de celui qui se révèle être son père. Il s'agit, selon un strict protocole, de le venger des quatre personnes qui ont fait de sa vie un enfer : son épouse Alba, son amant Wolfgang, et les deux bâtards engendrés par les autres infidélités de la première.Ce roman extrêmement bien construit m'a beaucoup plu dans sa peinture très touchantes des personnages. Les dialogues sont particulièrement bien menés, les longues descriptions, rares. Le lecteur accroche dès le prologue et ne relève pas la tête avant la fin des 500 pages. Un parfait roman pour l'été, profond et divertissant qu'il vaut mieux lire au calme pour pouvoir suivre l'intrigue à rebondissements."
Librairie "Les Volcans" à Clermont-Ferrand
La revue Reliefs aux éditions Panorama 5"C'est une revue dont deux numéros sont parus. Le prochaine arrive en semptembre. La ligne ? L'exploration au sens le plus large: des sciences, de l'histoire, des technologies, de la littérature... Un bel objet très instructif ."
Librairie "Violette and Co", à Paris
Mémoire de fille de Annie Ernaux aux éditions Gallimard"C'est un excellent livre d'une grande écrivaine, auteure de La Femme gelée ou encore Passion simple, qui écrit beaucoup de récits autobiographiques, comme c'est le cas ici. Dans ce livre, Annie Ernaux revient sur ses 18 ans, et raconte comment elle a vécu, pendant l'été 1958, sa première relation sexuelle avec un homme, ainsi que les deux années qui ont suivi et comment est née sa vocation d'écrivaine. C'est un livre très fort pour deux raisons. D'abord parce qu'elle revient sur cette expérience sexuelle qui fut un choc, un traumatisme et qu'elle essaye de retranscrire ce qui s'est passé. Ensuite parce qu'elle opère un va-et-vient entre son travail d'écrivaine, aujourd'hui et ce moment-là. C'est un ouvrage sur ce choc initial, sur le travail de mémoire."
Librairie "L'autre Rive" à Toulouse
Cinq Kopecks de Sarah Stricker aux éditions Piranha"Ce livre nous emmène dans la vie de la narratrice. Il parle de la seule faille. Enfant parfaite, élevée par un père tyrannique qui voulait qu'elle soit un géni en tout. Elle se promet une vie professionnelle assez grandiose puis épouse un homme qu'elle n'aime pas trop et tout à coup tombe amoureuse. Et toute la distance qu'elle avait auparavant s'écroule. L'amour s'incarne dans la personne d'un voisin. Il la chamboule. C'est un livre à la fois grave et très drôle. Les personnes sont danss l'exagération. La mère par exemple fait penser à Juliette Binoche dans le film Ma Loute. Le ton grave et humoristique m'a fait aimer ce livre mais aussi la peinture social du Berlin est après la chute du mur. Un roman assez complet et une chronique sociale de cette époque. Très beau style, assez chirurgical et avec un humour souvent grinçant."
Librairie "L'odeur du Temps" à Marseille
Boy, Snow, Bird de Helen Oyeyemi"Ca se passe dans l'entre deux guerre aux Etats-Unis. Il raconte l'histoire d'une jeune fille de 16 ans dont le pere a la main lourde. Elle s'enfuit et au bout de la ligne trouve refuge dans un foyer de jeune fille. Elle rencontre ensuite plusieurs personnes dont un type qu'elle ne supporte pas. Elle en tombe finalement amoureuse. Il s'agit d'un roman sur la question noire aux Etats-Unis mais pas seulement. Il se lit très facilement grâce à cette belle histoire et son humour un peu cynique par moment."
Librairie "Mollat" à Bordeaux
Le nuage d'Obsidienne d'Eric Mc Cormack aux éditions Bourgois"L'auteur est l'un des grands écrivains canadiens contemporains. Ce livre est le récit d'une vie, un livre d'aventure, un roman d'amour et de mystère. Un homme, en marge d'un colloque, découvre dans une librairie un livre qui parle d'un phénomène climatique en Ecosse. Un pays dans lequel il a vécu. Il va s'intéresser profondément à ce phénomène.Le récit de sa vie très fragmenté est très agréable à lire. Il joue sans arrêt sur les contre-pieds. Mais tout se tient . Le récit est bien construit et intelligent. Il y a un vrai plaisir à la fin de comprendre comment les fils ont été tressés, ce qui suscite l'envie de le relire, pour repérer tous les indices semés tout au long du livre."

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