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Panser les plaies de l'Afghanistan à coups de pinceau

Panser les plaies de l'Afghanistan à coups de pinceau
Radio-Canada

Un groupe d'activistes s'est donné pour mission d'embellir l'image de Kaboul, une murale à la fois. Pour Omeid Sharifi, à la tête du collectif Artlords, la peinture est une arme et un moteur de changement social.

Un texte de Marie-Eve Bédard

Dans le quartier des ministères et des ambassades, la capitale afghane a des airs de prison à ciel ouvert. Les rues ne sont qu'un labyrinthe de murs de béton armé et de fils de fer barbelé.

Omeid Sharifi veut changer l'image de ces enceintes derrière lesquelles se protègent les politiciens.

« Nous peignons pour des causes sociales », ajoute-t-il. « Il y a tant de choses qui nous font honte, comme le fait d'être parmi les trois pays les plus corrompus du monde. »

Mettre un frein à la corruption

Sur les murs de certains ministères, Omeid et ses compagnons ont peint une série de paires d'yeux géants qui fixent les passants d'un regard accusateur. Chaque paire appartient à quelqu'un que le groupe considère comme intègre. Un message accompagne chaque murale : « Nous vous voyons. »

L'idée n'est pas très populaire auprès des premiers intéressés. Omeid et les membres du collectif Artlords doivent obtenir tous les permis nécessaires avant de peindre chacune de leurs oeuvres.

Heureusement pour l'activiste, il a ses entrées auprès de la plus haute autorité du pays. Avant de faire dans l'art social, Omeid Sharifi était l'adjoint du président Ashraf Ghani.

« C'est un processus assez pénible », explique-t-il. « J'envoie des lettres et je dois faire le suivi avec cinq ou six bureaux différents; j'appelle constamment. Puis, on me refuse la permission. Alors je vais frapper chez le président, j'appelle mes amis, et tout s'arrange en une heure. Mais je tiens à faire toutes les démarches parce que je respecte le droit et les lois. »

Lutter contre la violence

Entre deux coups de pinceau, le son de sa voix enterré par le bruit du survol constant des hélicoptères au-dessus de la capitale, Omeid Sharifi décrit la dernière réalisation d'Artlords qui porte sur un autre fléau qui mine encore l'Afghanistan après plus de trois décennies : la violence.

« Tous les jours, des Afghans meurent », précise-t-il. « Et ils ne deviennent que des chiffres. Vingt personnes tuées ici, 30 personnes, là. »

Le kamikaze responsable de l'attentat qui visait ce qui était à l'époque les quartiers généraux de l'OTAN à Kaboul n'avait lui-même que 14 ans.

Pour illustrer la résilience de son peuple, Omeid a choisi de peindre l'image d'une jeune fille qui a survécu à l'attaque.

Mursal est tout sourire et un peu embarrassée par l'attention qu'elle reçoit, pendant que les artistes terminent la murale la représentant. Elle est venue avec sa guitare afin de jouer quelques morceaux pour le petit groupe qui s'est rassemblé pour l'occasion.

Elle rit, se chamaille avec espièglerie avec les autres enfants qui ont partagé son quotidien dans la rue. Bref, Mursal est une fille de 12 ans qui cache bien le drame qu'elle a vécu.

« Il y a eu une grosse explosion, deux de mes soeurs et le mari d'une autre de mes soeurs sont morts », raconte Mursal.

Là où ses soeurs Parwana et Khorchi ont perdu la vie, c'est aujourd'hui le sourire de Mursal qui est immortalisé.

Une survivante

Un peu en retrait, Fatima regarde la scène. Au premier coup d'oeil, l'adolescente à la dent en or a l'air d'un petit garçon. Ses années passées sur la rue l'ont forcée à se travestir, pour se protéger.

Fatima a eu la vie sauve le jour de l'attentat parce qu'on l'avait envoyée au marché chercher plus de foulards à vendre aux soldats. Depuis le massacre de ses amis, elle a quitté la rue et va maintenant à l'école. À 14 ans, Fatima est en deuxième année.

« Je ne sais rien. Sauf que je parle anglais mieux que tout le monde en classe. Quand le professeur me demande comment j'ai si bien appris à parler anglais, je mens. Je ne veux pas qu'on sache que j'ai connu les étrangers, ça pourrait être dangereux. »

Les risques

Le danger... C'est impossible de ne pas y penser, dit Omeid Sharifi. Lui qui se fait une fierté de n'avoir jamais quitté son pays malgré des décennies de guerre y songe parfois depuis qu'il est devenu papa.

« J'ai peur, j'y pense tous les jours », raconte-t-il. « Quand je reçois des menaces, que je me fais harceler par les policiers sur la rue, c'est dans ces moments que j'y pense. Mais si on abandonne l'Afghanistan maintenant, alors il y aura encore 50 ans de guerre. Ça va continuer. »

« Aujourd'hui, je suis ici et je peins là où on a commis un attentat-suicide », ajoute-t-il. « C'est en soi une déclaration. Je leur dis qu'ils ne gagnent pas. Tant que je suis ici, ils ne peuvent pas gagner. Ils ne sont que des nuages sombres qui vont s'estomper. »

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