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Avec «La Délivrance», Jennifer Tremblay met fin à la trilogie de la maternité

Avec «La Délivrance», Jennifer Tremblay met fin à la trilogie de la maternité
Valérie Remise

Huit ans après avoir reçu le Prix du Gouverneur général pour La liste, une pièce où une femme sans nom refait sans cesse la liste des événements qui ont précédé une tragédie, Jennifer Tremblay a été interpellée par une question que se posaient plusieurs spectateurs : cette femme aime-t-elle ses enfants? La dramaturge leur a répondu avec deux pièces, Le Carrousel en 2014 et La Délivrance, présentée dès le 20 septembre.

L’auteure est d’avis qu’une part du public a été ébranlée par les tabous sur la maternité exprimés dans La Liste. «On est tellement habitués aux portraits idéaux de la mère québécoise que l’auditoire a été bousculé d’entendre une femme dire ce que toutes les mères ont pensé au moins trois secondes, une minute ou un mois dans leur vie : je ne veux plus être mère.»

«Après les représentations, quand les gens demandaient si le personnage aimait ses petits, ça me jetait par terre. Je leur ai répondu en écrivant Le Carrousel, sous forme de lettre d’amour de la femme à ses enfants. La Délivrance est une sorte d’hommage à la maternité.»

Tremblay utilise aussi la métaphore du corps humain pour décrire sa trilogie. «C’est clair que La liste est la tête, Le Carrousel le cœur et La Délivrance, c’est le ventre. Je parle de délivrance sous plusieurs points de vue : la naissance des enfants et l’expulsion du placenta, l’accès à la connaissance en philosophie, la libération de n’importe quelle prison et le pardon de ses pêchés dans la religion catholique.»

Dans le récit, l’Église occupe une place importante, alors que la femme cherche un prêtre pour donner les derniers sacrements à sa mère mourante. La femme tente également de satisfaire la demande de sa mère, qui veut retrouver le fils qui a été arraché à leur famille des années plus tôt.

À l’abri

«L’Église a été un refuge pour la femme quand elle était petite. Alors tant qu’à replonger dans le passé, elle se rend à l’église de son enfance pour faire appel au prêtre. Là-bas, elle va réfléchir sur l’existence et faire une crise à Jésus. En plus, elle discute au téléphone avec son frère, qui refuse de se rendre au chevet de leur mère. Elle va lui raconter leur enfance, car elle se rappelle de tout…»

Tout, le contexte familial, les violences cachées, insidieuses. Le beau-père qui rêvait d’une femme, sans les enfants qui venaient avec. Les blessures qui s’accumulent sans être nommées.

«La narratrice sait pourquoi il y a eu brisure dans la famille, mais son frère l’a subie sans connaître la vérité. Elle décide donc de tout lui dévoiler pour le convaincre d’aller voir leur mère.»

En parallèle, le public comprendra mieux la narratrice, dont l’évolution a été entachée par le contexte familial.

«Dans une famille, ceux qui sont partis, disparus ou morts sont toujours plus importants dans l’esprit des parents et ceux qui restent se sentent coupables d’être là. Un peu comme dans un drame humanitaire, lorsque les survivants ne comprennent pas pourquoi ils sont en vie et pourquoi les autres sont morts. Dans la pièce, les parents ont développé une forme d’obsession envers le fils et la situation laisse place à une grande violence.»

Bien que la thématique de La Délivrance soit résolument sombre, Jennifer Tremblay s’est assurée de conclure la trilogie avec un éclat de lumière. «Je ne pourrais pas supporter de laisser les gens sur quelque chose de noir. Je préférais offrir une part de résilience, qui s’exprime avec cinq ou six lignes.»

L’interprète et son auteure

Ces phrases, comme toutes les autres de la pièce, seront portées par Sylvie Drapeau, une actrice née pour jouer ses mots. «Quand j’écris, j’essaie de mettre de la beauté sur la laideur du quotidien le plus banal et le plus trivial. Je cherche une espèce d’élégance dans le langage, ce que rend naturellement Sylvie avec son timbre de voix, sa manière de bouger et son débit. Elle est devenue une inspiration. Quand j’écris, je l’entends dans ma tête.»

Mais il y a plus. L’interprète arrive à comprendre les nombreuses couches du sous-texte de la dramaturge. Originaires de la Côte-Nord – Drapeau de Baie-Comeau et Tremblay de Forestville – les deux femmes ont d’innombrables référents en commun.

«Quand on parle de l’aridité de la région, des hommes de la Côte-Nord et des contrastes avec la Rive-Sud, on comprend ce que ça veut dire jusqu’au profond de notre cœur. Et quand j’aborde la maternité – Sylvie a deux garçons et j’en ai trois –, elle a vite accès à l’inconscient de mon texte.»

Un peu comme si elles partageaient le même esprit… ou la même plume. «Certains lecteurs du roman de Sylvie, Le Fleuve, lui ont demandé si elle avait écrit Le Carrousel. Son histoire n’a rien à voir avec ce que je raconte, mais quand elle parle du pays, c’est vraiment le même.»

Projets jeunesse

Travaillant actuellement sur une pièce de théâtre jeunesse sur la garde partagée et sur un grand projet théâtral incluant plusieurs personnages féminins, Jennifer Tremblay publiera sous peu un roman : Saturne le cheval de cirque (Soulières). Une histoire sur la transmission de la violence, pour les jeunes lecteurs.

«Saturne est un cheval maltraité par le propriétaire d’un cirque et son fils. À un moment donné arrive une petite fille qui aime prendre soin des animaux. Elle va intervenir pour sauver la vie du cheval, en devenant amie du jeune garçon et en l’amenant à la ferme de son grand-père qui a un don : celui de parler à l’oreille des chevaux pour les calmer. La fillette se demande s’il peut faire la même chose avec les humains. Elle espère que le petit garçon ne soit plus jamais violent.»

Saturne le cheval de cirque sera en librairies en octobre.

La Délivrance sera présentée au Théâtre d’Aujourd’hui du 20 septembre au 15 octobre 2016. Cliquez ici pour plus de détails.

«La Délivrance», de Jennifer Tremblay

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